I.1.1) Détruire les fausses croyances par la méfiance envers l’évidence et par une distanciation rigoureuse

 

I.1.1) Détruire les fausses croyances par la méfiance envers l’évidence et par une distanciation rigoureuse

I.1.1.a) Les méfaits de la crédulité naïve, ses funestes conséquences

Peut-être faut-il bien croire en quelque chose. Peut-être même cette croyance est-elle nécessaire à la condition humaine.

“C’est la force et la beauté des religions d’enseigner à l’homme sa raison d’être et ses fins dernières. Quand on a repoussé les dogmes de la théologie morale, comme nous l’avons fait presque tous en cet âge de science et de liberté intellectuelle, il ne reste presque plus aucun moyen de savoir pourquoi on est sur ce monde et ce qu’on est venu y faire. […] C’est là, dans l’absolue ignorance de notre raison d’être qu’est la racine de notre tristesse et de nos dégoûts. Le mal physique et le mal moral[1], les misères de l’âme et des sens, le bonheur des méchants, l’humiliation du juste, tout cela serait encore supportable si on en concevait l’ordre et l’économie et si on y devinait la providence. Le croyant se réjouit de ses ulcères ; il a pour agréables les injustices et les violences de ses ennemis ; ses fautes même et ses crimes ne lui ôtent pas l’espérance. Mais, dans un monde où toute illumination de la foi est éteinte, le mal et la douleur perdent jusqu’à leur signification et n’apparaissent plus que comme des plaisanteries odieuses et des farces sinistres[2].”

Est-ce à dire précisément que dans un monde dans lequel on ne croit en rien, plus rien n’a de sens ? Et, dès lors, ceci signifierait-il qu’afin que le monde ait un sens, nous devons à tout prix croire en quelque chose ? Il est vrai que cette problématique est récurrente chez Anatole France. Mais elle nous semble symptomatique dans un passage précis… Penchons-nous ainsi sur le Livre IIde L’Ile des Pingouins, et constatons donc le processus de la naissance du « Dragon d’Alca »[3] qui, d’une simple légende à faire rire les enfants, devient le grain de sable qui déstabilisera un pays entier dans ses rouages les plus fondamentaux.

D’un côté, nous sommes en présence de Kraken[4], décrit ironiquement par Anatole France comme “un homme pingouin dont le bras était robuste et subtil[5].” Il habite des contrées désertes, sur le rivage des Ombres, qui terrorisent la population : on risque “d’y rencontrer les âmes des Pingouins morts sans baptême qui, semblables à des flammes livides et traînant de longs gémissements, erraient, la nuit, sur le rivage désolé[6].” Pour cette grave raison, nul n’ose évidemment s’approcher de la demeure caverneuse de Kraken. Ce dernier rencontre tout de même Orberose[7], dans la campagne. Evidemment, cette dernière prend Kraken pour l’une de ces âmes qui flottent dans les landes, et elle est terrorisée. “Elle parlait ainsi parce que les habitants d’Alca[8], n’ayant plus de nouvelles de Kraken depuis qu’il habitait le rivage des Ombres, le croyaient mort et descendu parmi les démons de la nuit[9].” On remarquera ici, dans un premier niveau, les méfaits –comiques car outranciers –de la fama. La rencontre porte à rire, puisqu’il existe un beau décalage entre ce qu’il paraît et ce qui est. Après tout, Kraken est un Pingouin comme tous les autres.

Arrive donc l’élément déclencheur de l’intrigue, l’intelligence qui exploitera la crédulité. Kraken expose à Orberose un plan machiavélique : il s’enrichira non pas par la tâche banale, laborieuse, préconisée par la société qu’est la pêche, mais bien par son intelligence :

“C’est ainsi que la belle Orberose devint la compagne du héros Kraken. Cet hymen ne fut célébré par des chants et des flambeaux, parce que Kraken ne consentait point à se montrer au peuple des Pingouins ; mais, caché dans sa caverne, il formait de grands desseins[10]. ”

Il est désormais montré de façon explicite que l’intrigue va se nouer autour d’une thématique oscillant entre l’obscur et le dévoilé, entre l’être et l’apparence.  La connivence établie par le narrateur avec le lecteur, tient au fait d’une double énonciation, comme au théâtre. Le lecteur connaît les ficelles simples usées par Kraken et Orberose, ce que le peuple ignore bien évidemment. C’est de cette ignorance, nourrie par les croyances excitées et suscitées par la fama, que le peuple va être ridiculisé par le narrateur, avec le sourire complice du lecteur.

Le mythe de la caverne de Platon est ici plus qu’une allusion. En effet, chez Platon, le monde est le lieu de l’ignorance, de la souffrance, de la punition, où les âmes humaines sont enfermées par les dieux comme dans une caverne. La caverne est l’allégorie de ce monde, car la lumière indirecte qui éclaire les parois vient d’un soleil invisible ; cependant, elle indique la route que l’âme doit suivre pour trouver le bien et le vrai ; la caverne a donc une portée morale et éthique : ses spectacles d’ombres déformées représentent ce monde d’apparences agitées, d’où l’âme doit sortir pour contempler le vrai monde des réalités, celui des Idées. On remarquera qu’ici, dans L’Ile des Pingouins, le mythe de la caverne est inversé, au travers d’un renversement dialectique du dedans et du dehors : Kraken et Orberose savent très bien, dans leur caverne secrète, que les fantômes n’existent pas. Leur univers lumineux est obscur et caché pour tous les autres. Ce secret s’épaissit dans une belle conspiration, selon laquelle l’intelligence, du côté de la lumière de la caverne, va provoquer frayeur et crainte chez les âmes simples et crédules. C’est dehors, dans le monde, que les gens croient aux apparences ; c’est dans la nuit la plus obscure seulement que le dragon leur apparaît, faiblement éclairé par la lune…

Ainsi, le plan échafaudé par nos deux personnages n’est réalisable que dans une situation sociale très précise. Le monde dépeint par Anatole France –qui ressemble un peu à l’organisation tripartite du Moyen Âge –est ici industrieux et prospère, sous la houlette des riches Pingouins qui font autorité sur le peuple. Ce dernier, soumis, est donc immergé dans la sécurité apaisante d’une vie régulière et plate, où nul ne se pose de problème là où il n’y en a pas : le monde est comme il va. Mais

“le peuple pingouin jouissait dans une tranquillité profonde des fruits de son travail quand, tout à coup, une rumeur sinistre courut de ville en village. On apprit partout à la fois qu’un dragon affreux avait ravagé deux fermes dans la baie des plongeons[11].”

Comme Orberose la vierge (!) a disparu, on la croit donc tout naturellement dévorée par le dragon. Ce dragon n’apparaît métaphoriquement que la nuit, dans la plus profonde des obscurités (dans la nuit sinistre). La dialectique ombre/lumière est ici fondamentale, et permet d’accomplir l’allégorie de la caverne avec force : de rien, la population finit par voir le dragon, par le sentir, par le décrire avec précision. Ainsi, le purement légendaire se réifie, devient une réalité indiscutable.

ceci ne lasse pas Anatole France de montrer que chacun affirme avoir vu le dragon selon sa propre imagination :

« Grand comme un bœuf.

–         Comme les grands navires de commerce des Bretons.

–         Il est de la taille d’un homme.

–         Il est plus haut que le figuier sous lequel vous êtes assis.

–         Il est gros comme un chien. »

Interrogés enfin sur sa couleur, les habitants dirent :

« Rouge.

–         Verte.

–         Bleue.

–         Jaune.

–         Il a la tête d’un beau vert ; les ailes sont orangé vif, lavé de rose, les bords d’un gris d’argent ; la croupe et la queue rayées de bandes brunes et roses, le ventre jaune vif, moucheté de noir.

–         Sa couleur ? Il n’a pas de couleur.

–        Il est couleur de dragon. » [12]

 

Pourtant, le grandiose du témoignage ne tient guère devant la piètre réalité ;

“Ce casque [dit Kraken], je l’ai taillé de mes mains, en forme de tête de poisson, dans la peau d’un veau marin. Pour le rendre plus formidable, je l’ai surmonté de cornes de bœuf, et je l’ai armé d’une mâchoire de sanglier ; j’y ai fait pendre une queue de cheval, teinte de vermillon[13].”

Il va de soi que ce jeu sur le témoignage, qui démontre toute la force de la subjectivité face à un fait anodin et concret, est une allégorie fort plaisante, qui se veut ludique voire pédagogique. Qui serait assez sot pour décrire un dragon, animal fabuleux qui n’existe pas, avec une précision telle que cette certitude montrerait que celui qui l’a vu a raison ? N’est-ce pas flatter l’orgueil d’un témoin que d’affirmer avec force qu’il dit la vérité ? Comment ne pas s’apercevoir que le glorieux dragon n’est qu’un déguisement artisanal ? A-t-on à ce point besoin impérieux de croire pour se délivrer de la quotidienneté peu glorieuse? Doit-on avaliser les apparences chimériques pour prouver aux autres avec force qu’on existe soi-même ?

Ce bref passage de L’Ile des Pingouins montre que, finalement, si on peut prendre l’apparence pour vraie sans aucun questionnement pour la remettre en cause, on tombe systématiquement dans le faux. De même, si on affirme que ce qu’on a vu est vrai[14], tout en se fiant aux apparences, alors cette vérité pour laquelle on peut combattre se montre dangereuse, car elle devient un dogme irraisonné. Cette leçon est toute voltairienne[15].  Toute croyance est donc un aveuglement. Croire, c’est opiner –c’est créer l’opinion[16]. Mieux, c’est même prêter son assentiment, son approbation aux illusions.

Dès lors, qu’adviendra-t-il du stratagème de Kraken et d’Orberose, qui consiste à montrer le dragon pour terroriser la population, pour mettre en scène la fausse et courageuse mise à mort du monstre afin d’accéder à la renommée ? Est-il possible qu’une si grossière représentation puisse fonctionner, puisse être accréditée par le peuple ?

Sous des apparences un peu lourdes, cette allégorie du dragon mise en scène par Anatole France est étoffée d’une réflexion sur la croyance plus subversive qu’elle n’y paraît. Saint Maël, la sommité morale d’Alca, continue inlassablement de méditer sur le dragon. Il étudie longuement les mœurs de ce ridicule animal de fable, pour découvrir des exemples à suivre dans la vie des saints[17]. Le système exploité par Anatole France est fort symptomatique d’une lutte contre la croyance ; dans la mesure où une autorité ne remet pas en cause les dires de la population, la population ne peut pas réfléchir sur la rumeur par elle-même, de façon autonome. Pis, elle enfle la rumeur en la défendant comme une vérité indiscutable, puisqu’elle est appuyée par ceux qui ont tout pouvoir. Et lorsque l’Autorité plonge les fondements de ses recherches dans des références fausses et infondées – ainsi que Maël qui cherche des exemples édifiants pour combattre le Mal dans une vie des saints tout à fait fantaisiste, ce qui est le propre de la casuistique – alors, logiquement, les croyances, excitées par d’irrationnelles terreurs, sont réifiées. L’empirique est de mise, tout en se confondant avec la morale ; la parole du faux sage est indiscutable :

“Ainsi parla le vieillard, et le jeune Samuel promit d’obéir. Dès le lendemain, il ceignit ses reins et partit avec deux de ses compagnons pour annoncer aux habitants d’Alca qu’une vierge était seule capable de délivrer les Pingouins des fureurs du dragon[18].”

Par manque de chance, aucune vierge n’est disponible… Les Pingouins forniquent sans retenue, y compris les religieux du petit monde d’Alca[19].

Dès lors, cette société est désabusée par les croyances qu’elle a elle-même enfantées. Elle est même prête à croire en ce qui la libérera de ses croyances, ce qui est un non-sens. Croire est une nécessité impérieuse, un besoin fondamental. Lorsque la vierge Orberose –enceinte, comme il se doit –symbolise la pureté, le courage, la libératrice, la Jeanne d’Arc d’Alba, l’exemple à suivre que tout le monde attend, elle n’a aucun mal à se faire passer pour une sainte femme, même par un discours sophistique du plus bel effet[20]. Maël n’y voit que du feu, lorsqu’elle proclame : “Je livrerai le monstre à Kraken qui l’égorgera de son épée étincelante. Car il faut que tu saches que le noble Kraken, qu’on croyait mort, reviendra parmi les Pingouins et qu’il tuera le dragon.” Il est difficile ici de ne pas voir une ridiculisante parodie de saint Georges[21] tuant le dragon. Comment ne pas voir une mise en garde d’Anatole France contre les croyances, ici d’origine “religieuse” ? Face à un peuple réclamant des exemples édificateurs, la moindre forme de messie suffit à remplir son rôle. Et si le doute arrive bien, c’est simplement parce que le déguisement de dragon est trop ridicule pour que les gens puissent assouvir leur soif de croire… Leur haine revendicatrice ne vient pas d’une conscience de la tromperie, mais bien du fait que la figure mythique du dragon est trop grossière pour être salvatrice[22]. Le dragon est devenue une nécessité sociale : il cimente l’ignorance dans une figure qui peut être nommée, et donc qui peut expliquer l’incompréhensible.

Evidemment, Orberose, avec un cynique opportunisme, se fait promettre une juteuse récompense contre ses hauts faits. Tuer le dragon devant tous, c’est offrir un mythe encore plus palpable au peuple, c’est offrir de quoi alimenter les discussions pour des siècles… Sous des airs de Jeanne d’Arc entendant des voix, elle ordonne impérieuse :

“Mais apprends, ô Maël, que j’ai eu la révélation que, pour loyer de sa délivrance, le peuple pingouin devra payer au chevalier Kraken un tribut annuel de trois cents poulets, douze moutons, deux bœufs, trois cochons, mille huit cents imaux de blé et les légumes de saison ; et qu’en outre, les enfants qui sortiront du ventre du dragon seront donnés et laissés audit Kraken pour le servir et lui obéir en toutes choses. Si le peuple pingouin manquait à tenir ses engagements, un nouveau dragon aborderait dans l’île, plus terrible que le premier. J’ai dit[23].”

Sous les aspects d’un conte tout à fait léger, nous assistons ici à l’intronisation d’un pouvoir indu, assis sur les bases de la terreur, des menaces, et jouant de la ruse contre l’incrédulité de tout un peuple qui acceptera sans ciller une sorte d’esclavage. La critique est rude, et montre le risque immense qui existe à croire ceux qui savent élever les légendes au rang de terreur, pour asseoir leur pouvoir ; en se servant avec habileté de la croyance, en manipulant les foules, le couple infernal Kraken / Orberose réussit à faire passer sa paresse, son intérêt particulier, avant l’intérêt général ; de plus, ce couple passe pour exemplaire, il symbolise le courage, l’honnêteté, le sacrifice individuel pour le bien de la communauté ; par une sorte de chiasme absurde, ce que le couple est en réalité, en essence,  laisse transparaître aux crédules une apparence totalement inverse, une apparence des plus nobles.

Poussé jusqu’aux derniers retranchements, ce système aux allures anodines va enclencher un processus totalement illogique et injuste :

“Objet de la vénération publique, [Orberose] fut admise, après sa mort, dans le canon des saints et devint la céleste patronne de la Pingouinie. Kraken laissa un fils qui porta comme son père la crête du dragon et fut, pour cette raison, surnommé Draco. Il fonda la première dynastie royale des Pingouins[24].”

Dès lors, nous constatons que la croyance aveugle en les légendes infondées n’est pas un fait qui entraîne de petites conséquences anodines pour la société ; au contraire, de la ruse habilement usée par une minorité pour satisfaire à ses bas instincts en manipulant les apparences peut naître, sur le terreau de la crédulité, un modèle social particulièrement néfaste pour chacun ; de plus, dans ce système à la cynique perversité, le peuple abusé adulera ce système, le tenant pour exemplaire. Nous pouvons voir ici, dans ce passage de L’Ile des Pingouins, une transposition imaginaire de l’Ancien Régime délivrant une critique très âcre de la monarchie appuyée sur l’autorité de l’Eglise et sur le droit divin[25]. Ce système social d’avant la Révolution Française, semble exclusivement tenir sa légitimité, selon Anatole France, de la crédulité du peuple. La pantomime de quelques personnages caricaturaux et dénués de scrupules renferme une morale de la tromperie.

La double énonciation du discours –comme au théâtre –a une valeur pédagogique ; après tout, le lecteur s’amuse de cette situation grotesque aux accents picaresques, dans laquelle personne n’a assez de distance avec l’action pour avoir le moindre doute. Les hauts faits d’arme n’ont ici aucune valeur historique et morale, mais ils deviennent pourtant exemplaires. C’est ainsi que des légendes fausses, anodines, jamais remises en cause, peuvent faire malgré tout autorité et se répercuter jusque dans le présent. Nul ne devrait donc croire en les fausses idoles, car le risque d’en être la proie est trop grand. Dès lors, dénoncer les fausses croyances est pour Anatole France une fondamentale nécessité. Dans le cas de L’Ile des Pingouins, en effet, le tyran bicéphale Kraken / Orberose ne voue-t-il pas ses crédules esclaves à l’adoration de l’image fausse à laquelle il prétend se confondre[26] ?…


 


[1] Par mal physique, Anatole France entend tout simplement la douleur et la souffrance corporelles. Par contre, Mal moral est une sorte de synonyme de mal métaphysique, mais avec une connotation volontairement dogmatisante : on souffre d’un état de fait entraîné par les croyances humaines qui brident la liberté individuelle de raisonnement ou de récrimination.

[2] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, p.51-52.

[3] Sur les problèmes complexes posés par la cosmogonie d’Alca dans L’Ile des Pingouins, voir infra, I.1.2, p.52. Le passage que nous étudions, « Le Dragon de l’île d’Alca », correspondant au Livre IIde L’Ile des Pingouins, est paru sous forme d’article du 8 avril 1906 dans le New York Herald Tribune. Il s’agissait à l’époque d’un récit autonome. L’histoire en est simple, puisqu’il s’agit d’une manière subversive de cheval de Troie, du moins dans le grossier procédé. Le chantage au dragon consiste, brièvement, à terroriser tout un peuple naïf en endossant un déguisement réaliste d’animal de fable, afin de libérer d’une manière chevaleresque mais néanmoins préméditée et convenue, le moment propice, ces contrées menacées. Il s’agit bien de l’art de passer facilement pour un héros. Le ridicule déguisement ? Anatole France le décrit avec précision : Kraken, notre coupable héros, “tira de sa tête son casque de veau marin surmonté de deux cornes de bœuf et dont la visière s’armait de crocs formidables. Il jeta sur la table ses gants terminés par des griffes horribles : c’était des becs d’oiseaux pêcheurs. Il décrocha son ceinturon où pendait une longue queue verte aux replis tortueux.”, L’Ile des Pingouins, Pléiade, tome IV, p.66.

[4] Kraken est le nom, dans la mythologie grecque, d’une entité océanique présidée par Poséidon, et qui détient le pouvoir de provoquer tempêtes et des raz-de-marée, sous les ordres de son dieu tutélaire.

[5] Anatole France, L’Ile des Pingouins, Pléiade, tome IV, p.51.

[6] Anatole France, ibid. Se reporter à Pierre Nozière, livre troisième, V, Pléiade, tome III, p.625-626  ; le petit Pierre écrit sur la Bretagne et l’île de Sein : “Je sens en ce moment pourquoi les Bretons aiment la mort. Il l’aiment, et l’âme celtique est souvent tentée par elle. Ils la craignent aussi, car elle est en horreur à tous les êtres. La mort plane sur ces parages, c’est elle qui, passant sur nos têtes avec le vent de mer, effleure nos cheveux. […] Les cadavres des naufragés qui ont péri dans l’Iroise sont amenés par le courant dans la baie des Trépassés. […] Suivant une tradition, ces prêtres gaulois qui furent plutôt des moines, les druides, étaient embarqués après leur mort sur cette côte pour être ensevelis dans l’île de Sein. […] Ici, on conte encore que, sur ces rivages, les âmes en peine se promènent en pleurant, tandis que les ossements des naufragés frappent aux portes des pêcheurs pour demander la sépulture. Et c’est une vive croyance chez les paysans que, pendant la nuit du 2 novembre, au jour fixé par l’Eglise pour la commémoration des fidèles défunts, les âmes des naufragés s’amassent en une nuée épaisse sur le rivage de la baie, d’où s’élève une clameur lamentable. Alors les morts, dit-on, reviennent sur la terre, « plus nombreux que les feuilles qui tombent des arbres, plus serrés que les brins d’herbe qui poussent dans les champs ».

[7] Anatole France ajoute une note ironique pour ce prénom : « Orbe, poétique, globe, en parlant des corps célestes. Par extension, toute espèce de corps globuleux. » (Littré)

[8] Alca est le nom scientifique du pingouin.

[9] Anatole France, L’Ile des Pingouins, Pléiade, tome IV, p.52.

[10] Anatole France, ibid., p.53.

[11] Anatole France, ibid.

[12] Anatole France, ibid., p.55.

[13] Anatole France, ibid., p.67.

[14] Il s’agit de la fameuse distinction entre le visum (l’être vu, l’inerte, sans force propre) et la fides (la foi, la confiance), qui accrédite notre vision des choses, et qui donne donc naissance à la croyance comme un acte volontaire, qui dépend de nous. A ce titre, voir Cicéron, Académiques, XI, 30.

[15] Voir Zadig, chapitre XVI, « Le Basilic » : “ « Seigneur, on ne mange point mon basilic, toute sa vertu doit entrer chez vous par les pores. Je l’ai mis dans un petit outre bien enflé et couvert d’une peau fine : il faut que vous poussiez cet outre de toute votre force, et que je vous le renvoie à plusieurs reprises  ; et en peu de jours de régime vous verrez ce que peut mon art. » Ogul, dès le premier jour, fut tout essoufflé, et crut qu’il mourrait de fatigue. Le second, il fut moins fatigué, et dormit mieux. En huit jours il recouvra toute sa force, la santé, la légèreté et la gaieté de ses plus brillantes années. « Vous avez joué au ballon, et vous avez été sobre, lui dit Zadig : apprenez qu’il n’y a point de basilic dans la nature, qu’on se porte toujours bien avec de la sobriété et de l’exercice, et que l’art de faire subsister ensemble l’intempérance et la santé est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l’astrologie judiciaire et la théologie des mages.”, p.126.

[16] Comme le souligne Parménide à propos des opinions des mortels, “en elles on ne peut se fier à rien de vrai.”, Fragments, I,30, in Parménide,  Le Poème de Parménide, traduction partielle française, présenté par J. Beaufret, PUF, 1955, p.25.

[17] On trouvera p.58-60 de L’Ile des Pingouins, Pléiade, tome IV, le fruit étonnant des recherches de Maël. Anatole France, après ses lectures pour composer la Vie de Jeanne d’Arc, a lui aussi compulsé une somme impressionnante de Vie des Saints (qu’il ridiculise aussi dans La Rôtisserie de la reine Pédauque, Pléiade, tome II, notamment p.7.) C’est le cas de La Légende dorée (Legenda aurea) rédigée entre 1250 et 1280 par Jacques de Voragine, qui inspire ici grandement notre auteur (voir Le Crime de Sylvestre Bonnard, Pléiade, tome I, p.157-158)  ; Anatole France ridiculise la vie de sainte Marthe tuant le dragon – il s’agit de l’une des saintes que Jeanne d’Arc aperçoit dans ses célèbres visions. Pour en savoir davantage, on consultera l’introduction de Marie-Claire Bancquart au troisième tome des Œuvres complètes d’Anatole France in la Pléiade, p. LX-LXVI. On se souviendra aussi de La Vie de Jésus d’Ernest Renan, qui s’efforçait de redonner une dimension humaine et historique au Christ, au-delà des ouvrages hagiographiques et parfois naïfs parus sur le Sauveur. Cet ouvrage impressionna beaucoup Anatole France dans sa démarche novatrice, en quête de démystification.

[18] Anatole France, ibid., p.60.

[19]  “Hélas ! ajouta le moine en gémissant, qui peut se vanter d’être chaste en ce monde où tout nous donne l’exemple et le modèle de l’amour, où tout dans la nature, bêtes et plantes, nous montre et nous conseille les voluptueux embrassements ? Les animaux sont ardents à s’unir selon leur guise  ; mais il s’en faut que les divers hymens des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons et des reptiles égalent en vénusté les noces des arbres. Tout ce que les païens, dans leurs fables, ont imaginé d’impudicités monstrueuses est dépassé par la plus simple fleur des champs, et, si vous saviez les fornications des lis et des roses, vous écarteriez ces calices d’impureté, ces vases de scandale.”, Anatole France, ibid., p.64. Par cet intermède darwinien et un rien amusé, Anatole France montre bien que le discours moralisateur n’est pas conforme à la nature des choses.

[20] Voir ibid., p.69-71.

[21] Il s’agit de l’un des saints qui, au Moyen Âge, eut la plus grande popularité. Les légendes dont on l’affubla furent tellement invraisemblables, que la congrégation des Rites prescrivit, en 1960 – bien après la mort d’Anatole France – de supprimer tout ce qui en était passé dans l’office divin. Cette méfiance n’était pourtant pas nouvelle, puisque le décret gélasien (le premier index de l’Eglise de Rome) de 496 classait déjà la Passion de saint Georges parmi les apocryphes.

[22] Voir Anatole France, ibid., p.65.

[23] Anatole France, ibid., p.71. On remarquera ici un vocabulaire pompeux, archaïsant et d’aspect juridique, qui caractérise une sorte d’édification législative médiévale: la forme institutionnalisante, faite pour impressionner les âmes trop crédules, enrobe un contenu tout à fait illégitime

[24] Anatole France, ibid., p.73.

[25] Cette problématique du droit divin et de la légitimité du roi est importante. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la théorie de la monarchie de droit divin telle qu’Anatole France pouvait l’entendre se cristallise, à savoir que le pouvoir du roi vient directement et immédiatement de Dieu, sans l’intermédiaire du peuple  ; le roi n’est responsable que devant Dieu. Cette loi renforce ainsi l’absolutisme – en attendant de le compromettre.

[26] Sur le caractère de la possession collective d’une mentalité, se reporter à Carl-Gustave Jung, Métamorphoses et tendances de la libido (Wandlungen und Symbole der Libido), traduction de L. de Vos, Paris, 1927.

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