Intro

A la recherche d’une philosophie du monde par l’écriture du Désir dans l’œuvre d’Anatole France

 

Le désir a conduit ma vie entière. Je puis dire que mon existence ne fut qu’un long désir. J’aime désirer ; du désir j’aime les joies et les souffrances.”, Anatole France, « En Huitième », L’Homme libre du 5 mai 1913.

Les mondes meurent, puisqu’ils naissent. Il en naît, il en meurt sans cesse. Et la création, toujours imparfaite, se poursuit dans d’incessantes métamorphoses[1]”, énonce Anatole France en 1894. A l’aune de cette conception toute darwinienne d’un monde en perpétuel mouvement dans la logique universelle et monotone de l’évolution, il  ajoute :

“Je sens que nous sommes une fantasmagorie et que notre vue de l’univers est purement l’effet du cauchemar de ce mauvais réveil qui est la vie. Et c’est cela le pis. Car il est clair que nous ne pouvons rien savoir, que tout nous trompe, et que la nature se joue cruellement de notre ignorance et de notre imbécillité[2].”

Le Jardin d’Epicure nous montre de manière emblématique un auteur plongé dans le paradoxe : certes, nous existons, et ceci est sans doute notre seule certitude. Mais nous existons au cœur d’un univers incompréhensible, qui nous ramène au statut d’existence absurde, accablée par notre ignorance. Dans ce cas, quel est le sens de notre existence, vers quoi l’humanité tend-elle ?

Pour Anatole France, la souffrance de l’ignorance semble exiger de nous une manière particulière de voir le monde et de penser : “C’est une grande niaiserie que le « connais-toi toi-même » de la philosophie grecque. Nous ne connaîtrons jamais ni nous ni autrui. Il s’agit bien de ceci ![3].” En d’autres termes, si l’homme naît avec l’impératif désir de se connaître, il naît aussi dans un univers qui lui offre la fausseté et le mensonge à satiété, à tel point que la soif de croire dans l’erreur se substitue bientôt au besoin de savoir la vérité ; dans ce cas, rechercher un sens à la vie humaine revient-il à faire le choix d’une confortable fausseté en refusant la souffrance de rechercher la vérité ? Car nul homme n’a jamais pu approcher la moindre vérité :

“C’est une grande erreur de croire que les vérités scientifiques diffèrent essentiellement des vérités vulgaires. Elles n’en diffèrent que par l’étendue et la précision. Au point de vue pratique, c’est une différence considérable. Mais il ne faut pas oublier que l’observation du savant s’arrête à l’apparence et au phénomène, sans jamais pouvoir pénétrer la substance ni rien savoir de la véritable nature des choses[4].”

Ainsi, dans la pensée francienne, ni la philosophie, ni la science ne peuvent saisir le monde au-delà de l’apparence ou du phénomène : l’homme est impuissant à saisir l’univers, tandis qu’il existe pourtant, à l’affût de cette vérité dramatiquement voilée qui enfin pourrait donner un sens à son existence.

C’est la raison pour laquelle le doute reste pour notre auteur profondément ancré dans sa perception de l’univers : que faire d’autre que douter lorsqu’on existe dans un monde incompréhensible ? Le fait d’exister est la seule chose qui outrepasse le doute ; il n’existe à part cette certitude aucune autre vérité ; le monde est fragmentaire et nous reste voilé :

 “Quand on dit que la vie est bonne et quand on dit qu’elle est mauvaise, on dit une chose qui n’a point de sens. Il faut dire qu’elle est bonne et mauvaise à la fois, car c’est par elle, et par elle seule, que nous avons l’idée du bon et du mauvais. La vérité est que la vie est délicieuse, douce, horrible, charmante, affreuse, douce, amère, et qu’elle est tout[5].”

Cet état de fait étranger à la volonté humaine semble insupportable à Anatole France : comment concevoir l’homme subordonné à l’entropie universelle, voué à naître et à mourir de manière stérile, comme s’il n’était que le chaînon nécessaire à une évolution incoercible qui le négligerait, le rendant condamné à avancer dans un mouvement infini et aveugle ? Comment l’homme ne serait-il que le fruit d’un univers en perpétuelle métamorphose, se jetant avec lui vers une fin inévitable et pourtant à jamais secrète, confinant toute son histoire, tous ses avatars, et même chacune de ses souffrances, à n’être que totalement absurdes[6] ? Certes, la révolution darwinienne, liée au positivisme et au scientisme, fut pour Anatole France déterminante, comme nous le verrons[7]. Cependant, les conclusions offertes par le darwinisme ne tardent pas à être battues en brèche par le doute lui-même : la science n’éclaire que très partiellement le sens de l’existence humaine, et elle doit être sujette à caution.

Il semble en fait qu’elle nous apprenne surtout à combattre la moindre certitude ; la science est le ferment salvateur du scepticisme :

“Votre science ne peut aspirer à nous gouverner parce qu’elle est d’elle-même sans morale et que les principes d’action qu’on pourrait en tirer seraient immoraux. Elle est inhumaine ; sa cruauté nous blesse ; elle nous anéantit dans la nature ; elle nous rapproche des animaux et des plantes en nous montrant ce qu’ils ont de commun avec nous, c’est-à-dire tout : les organes, la joie, la douleur et même la pensée[8]. Elle nous montre perdus avec eux sur un grain de sable et elle proclame insolemment que les destinées de l’humanité tout entière ne sont pas quelque chose d’appréciable dans l’univers. […] Et quant à l’homme même, qu’en a fait la science ? Elle l’a destitué de toutes les vertus qui faisaient son orgueil et sa beauté. Elle lui a enseigné que tout en lui comme autour de lui était déterminé par des lois fatales, que la volonté était une illusion[9] et qu’il n’était qu’une machine ignorante de son propre mécanisme[10].”

De fait, après la révolution copernicienne de l’héliocentrisme[11], la révolution darwinienne, à la suite des recherches de Lamarck[12] et de A. R. Wallace[13], prône une conception de l’homme fortement relativisée, dépossédée de toute particularité naturelle par rapport aux autres espèces[14] : l’homme n’est plus créé à l’image de Dieu[15], il n’est rien d’autre qu’un avatar de la vie animale, et à ce titre, il ne peut prétendre posséder l’univers. Au contraire, c’est l’univers qui le possède, l’enferme dans ses lois selon son bon vouloir, et à ce titre, le sens de l’existence humaine est réglé : les civilisations, dans toutes leurs avancées techniques ou morales, malgré les guerres et les révolutions, malgré tous les efforts pour vaincre l’inertie[16], ne sont rien face au temps qui les érode imperturbablement, réduisant tout progrès à l’état de ruine.

“Tous les changements dans l’ordre social comme dans l’ordre naturel sont lents et presque insensibles. Un géologue d’un esprit profond, Charles Lyell[17], a démontré que ces traces effrayantes de la période glaciaire, ces rochers énormes traînés dans la vallée, cette flore des froides contrées et ces animaux velus succédant à la faune et à la flore des pays chauds, ces apparences de cataclysmes sont, en réalité, l’effet d’actions multiples et prolongées, et que ces grands changements, produits avec la lenteur clémente des forces naturelles, ne furent pas même soupçonnés par les innombrables générations des êtres animés qui y assistèrent[18].”

 Quant à l’individu lui-même, sa destinée est encore plus vite engloutie ; le je humain n’est rien d’autre qu’une portion infinitésimale de l’univers, sans aucune prise avec le monde, il doit se résumer à être passif tout en attendant la mort[19] dans l’ignorance de sa destinée. La mort “nous ôte toute espérance, car ce que nous souhaitons le plus, c’est de devenir tout autres que nous ne sommes. Mais ceci nous est bien défendu[20].” Vouloir métamorphoser le monde pour acquérir la moindre certitude ou la moindre sécurité – c’est là une des définitions du progrès technique[21] – est une absurdité, puisque l’évolution s’en charge à sa façon, lentement, sans à-coup, mais de manière incoercible.

Dès lors, outre la certitude propre à chaque individu d’exister, rien d’autre ne peut donner un sens à notre existence. Ceci provient de la substance qui nous constitue comme êtres humains: “Nous sommes enfermés dans notre personne comme dans une prison perpétuelle[22]. […] Nous sommes dans la caverne et nous voyons les fantômes de la caverne[23].” En d’autres termes, le corps, en prise avec le temps et la mort, enferme dramatiquement notre je, tout en voilant de son imperfection charnelle le sens de l’univers : “Savons-nous quoi que ce soit du monde extérieur, et percevons-nous autre chose dans toute notre vie que les vibrations lumineuses ou sonores de nos nerfs sensitifs[24] ?

Le malheur humain, pour Anatole France, semble ainsi d’être un je cloisonné à l’intérieur de ce que nous appellerons la réalité charnelle[25]. Le corps est en effet ce qui lie toute notre intériorité avec le monde, nous n’existons qu’au travers d’un corps : “Nous ne voyons le monde qu’à travers nos sens, qui le déforment et le colorent à leur gré[26].” En d’autres termes, le corps est le filtre à travers lequel le monde nous parvient, fragmenté et déformé : c’est notre corps fini, en prise à l’entropie du temps, ridiculement petit dans l’espace, qui nous voile l’univers dans toute son immensité impalpable.

Ainsi, dramatiquement, ni la science, ni la philosophie ne peuvent aller au-delà de nos perceptions du monde par les sens, nous sommes irrémédiablement voués à l’absurde confrontation aux apparences : “Tout est mystère dans l’homme et nous ne pouvons rien connaître de ce qui n’est pas l’homme. Voilà la science humaine[27] !” Par conséquent, l’homme dans son existence ne possède rien d’autre que sa réalité charnelle, en prise au temps et à la mort.

Dès lors, comment l’homme peut-il donner un sens à son existence ? Puisqu’il est à ce point immergé dans l’univers par sa réalité charnelle, doit-il transgresser son corps pour dépasser la vision du monde faillible et fragmentaire offerte par ses sens ? Doit-il aller à l’encontre de sa propre nature humaine pour comprendre le monde, peut-il même saisir quoi que ce soit d’universel ou d’absolu ?

Assurément non[28]. “Aussi bien est-ce faire un abus vraiment inique de l’intelligence que de l’employer à rechercher la vérité[29].” En effet, puisque ni la science, ni la philosophie ne peuvent dépasser la vision du monde qui nous est offerte par nos sens, et que rien, pas même l’intelligence, ne peut transgresser notre réalité charnelle, la recherche de la vérité est elle-même une pure absurdité. La pensée “est l’acide qui dissout l’univers, et, si tous les hommes se mettaient à penser à la fois, le monde cesserait immédiatement d’exister[30].

Nous comprenons ici immédiatement le paradoxe qui semble sous-tendre la pensée francienne.

D’une part, l’homme caresse chèrement le projet de connaître le sens même de son existence, et il ne peut ignorer sa conformation d’animal pensant :

“Quiconque croit posséder la vérité doit la dire. Il y va de l’honneur de l’esprit humain. […] Les droits de la pensée sont supérieurs à tout. C’est la gloire de l’homme d’oser toutes les idées. […] L’homme ne serait pas l’homme s’il ne pensait librement[31].”

Mais d’autre part, l’univers est impossible à connaître, puisque notre je pensant est trompé par la substance même de notre réalité charnelle :

“Nous voulons savoir ; il est vrai que nous ne saurons jamais rien. Mais nous aurons du moins opposé au mystère universel qui nous enveloppe une pensée obstinée et des regards audacieux ; toutes les raisons des raisonneurs ne nous guériront point, par bonheur, de cette grande inquiétude qui nous agite devant l’inconnu[32].”

Dès lors, le combat de la pensée contre l’univers est perdu d’avance.

L’existence humaine est elle-même définie par ce paradoxe. Tandis que l’homme voit sa réalité charnelle en prise avec le temps et la mort, ses aspirations le poussent vers les hautes sphères d’une vérité éternelle et impossible à atteindre par la pensée, ou du moins par l’intellect. Pourtant, le seul honneur de l’homme semble être de repousser le voile universel pour regarder le monde en face, dénudé, afin de donner un sens à son existence. Anatole France montre ainsi la primauté de notre réalité charnelle – de nos sens – sur tout intellect, cherchant ainsi ce qu’il appelle ironiquement “la vraie science de la vie[33].”

Cette vraie science de la vie reste problématique. L’homme semble, pour Anatole France, mis face à l’évidence du temps et de la mort provoquant notre intolérable ignorance ; le temps n’a pas d’autre sens, dans une optique darwinienne, que de mettre fin à notre existence de manière injuste, incompréhensible, et donc absurde :

“La figure de l’humanité ne reste pas un moment la même. Ses transformations sont continues et c’est par cela même qu’elles sont peu sensibles. Elles opèrent avec l’impitoyable lenteur des forces naturelles. Elles ne s’arrêtent ni ne se hâtent jamais.[34]

Parce que l’homme est ruiné par l’immuable avancée du temps, la mort tend naturellement à vider la vie humaine de tout sens, elle est insérée dans les lois universelles de l’évolution. Parce que l’homme est fini, il ne peut embrasser l’infini. Pourtant, paradoxalement, ces mêmes lois ont conduit l’homme jusqu’à la conscience du monde, y compris jusqu’à la conscience du temps qui s’écoule. Comment dépasser ce non-sens, sinon en se tournant vers ce que le monde nous offre à sentir et à être, et en renonçant à une absurde quête de la vérité absolue ? Anatole France abandonne toute certitude pour s’orienter vers une quête du sens de l’existence humaine s’appuyant sur la désillusion universelle comme unique point de départ :

“La tristesse philosophique s’est plus d’une fois exprimée avec une morne magnificence. Comme les croyants parvenus à un haut degré de beauté morale goûtent les joies du renoncement, le savant, persuadé que tout autour de nous n’est qu’apparence et duperie, s’enivre de cette mélancolie philosophique et s’oublie dans les délices d’un calme désespoir[35]. Douleur profonde et belle, que ceux qui l’ont goûtée n’échangeraient pas contre les gaietés frivoles et les vaines espérances du vulgaire[36].”

Mais qu’on ne s’y trompe pas : cette quête initiatique du sens est bel et bien celle d’une philosophie du monde. Et c’est l’un de ses paradoxes fondamentaux.

En effet, cette philosophie du monde est une véritable révolte[37] contre tout dogmatisme, toute doctrine en valant une autre et ne possédant donc aucune vérité absolue; la philosophie francienne est avant tout une recherche issue de la révolte, de la tabula rasa[38], et de la liberté[39] :

“Laissons toutes les doctrines se produire librement, n’ameutons jamais contre elles les petits dieux domestiques qui gardent nos foyers. N’accusons jamais d’impiété la pensée pure. Ne disons jamais qu’elle est immorale, car elle plane au-dessus de toutes les morales. Ne la condamnons pas surtout pour ce qu’elle peut apporter d’inconnu… C’est la pensée qui conduit le monde. […] Moi-même je me permis de défendre non telle ou telle théorie scientifique ou philosophique, mais les droits mêmes de l’esprit humain, dont la grandeur est d’oser tout penser ou dire. J’étais persuadé – et je le suis encore – que le plus noble et le plus légitime emploi que l’homme puisse faire de son intelligence est de se représenter le monde et que ces représentations, qui sont les seules réalités que nous puissions atteindre, donnent à la vie tout son prix, toute sa beauté[40].”

Comprendre l’existence humaine diffère ainsi pour Anatole France de la recherche du sens de l’univers lui-même ; au contraire, pour échapper aux lois darwiniennes, c’est-à-dire au temps et à la mort, l’homme n’a de ressource que de se fonder sur ses sens, sur ses représentations, détachés de tout dogme et de tout absolu : comprendre le sens de l’existence humaine revient à ne se fonder que sur ses seules certitudes ontologiques[41] ; ce n’est donc plus l’univers qui sécrète l’homme, c’est l’homme qui sécrète l’univers à travers ses représentations[42]. Dans cette optique, partir en quête des représentations humaines revient à partir en quête du monde. La pensée francienne n’évolue ainsi que dans la sphère du mythe[43], comme nous aurons le loisir de le montrer tout au long de notre étude ; le mythe, chez Anatole France, est une revanche contre l’univers.

C’est dire combien la recherche de la vérité induite par cette philosophie du monde est étrangère à Anatole France. La vérité n’existe pas, s’y substitue la seule réalité de nos sens. Le corps est replacé au centre de l’univers, en tant que produisant les seules représentations que nous en avons, et cet anthropocentrisme salvateur[44] nous sauve en fait de tout mensonge, de toute fausseté, de tout dogmatisme. L’homme n’a pas à percer le voile de l’univers, il ne le peut pas car sa réalité charnelle est en prise avec l’entropie du temps et de l’espace, il a avant tout à concurrencer l’univers, à se révolter contre lui, puisqu’il existe en son sein, afin d’en découvrir non la vérité, mais l’essence. En d’autres termes, c’est dans cet univers mythique que notre auteur va lutter pour dévoiler le sens de l’existence, et pour combattre la lutte pour l’existence proposée par le darwinisme. Ainsi, dans la nature, la vie est d’une férocité aveugle : “On ne vit qu’en dévorant la vie[45].” Il vient de cette constatation que l’humanité elle-même est en prise avec ces lois : “La faim et l’amour sont les deux axes du monde. L’humanité roule tout entière sur l’amour et la faim[46].” C’est pourquoi il faut chercher le sens de notre existence dans ce qui dépasse ces instances darwiniennes, dans ce qui dépasse cette lutte, dans ce qui dépasse la triste réalité du monde.

Le Désir[47] francien sera donc défini comme cette volonté irrépressible de dépasser le temps et la mort, afin d’entreprendre une quête fondamentale contre l’absurdité universelle, vers la recherche du sens de l’existence humaine ; c’est le Désir qui donne son premier sens à l’existence :

“Ayant eu peu de part aux biens de ce monde, j’ai aimé la vie pour elle-même, je l’ai aimée sans voiles, dans sa nudité tour à tour terrible ou charmante. La pauvreté garde à ceux qu’elle aime le seul bien véritable qu’il y ait au monde, le don qui fait la beauté des êtres et des choses, qui répand son charme et ses parfums sur la nature, le Désir[48].”

Ainsi, l’écriture francienne semble fermement inscrite dans cette quête du Désir : puisque l’univers est irrémédiablement incompréhensible, notre auteur semble le nier pour le réécrire. Le mythe, chez Anatole France, est l’émanation même de cette réécriture niant les lois de la nature qui ont cours dans le réel[49], et qui rendent absurde[50] l’existence de l’homme. Des œuvres comme La Rôtisserie de la reine Pédauque, L’Ile des Pingouins ou La Révolte des anges le montrent bien : Anatole France n’hésite pas à y construire de véritables cosmogonies originales, dont les lois diffèrent fondamentalement des lois du réel[51]. Dans ces horizons mythiques, artificiels et concurrençant le réel, le scepticisme francien l’emporte sur la désagrégation occasionnée nécessairement par  les lois naturelles. Le Désir francien porte en son sein les ferments d’une révolte contre l’univers, et le mythe en est l’incarnation textuelle.

C’est la raison pour laquelle le temps et l’espace littéraires franciens sont tellement particuliers. Les univers mythiques mis en œuvre se situent en effet dans l’antiquité[52] aussi bien que dans le futur lointain[53], en passant par la Renaissance[54], le XVIIIe siècle de la Révolution française[55] ou les temps contemporains[56]. Certains se situent même dans des temps fictifs[57]. Les lieux mis en œuvre par Anatole France sont également très hétéroclites ; Paris représente bien entendu le lieu le plus souvent décrit, mais aussi le Moyen-Orient[58], l’Italie[59] ou même la Pingouinie[60] ; nous ne pouvons ici dresser de liste exhaustive[61]. C’est dire combien cette variété est représentative d’un système littéraire fondé sur le mythe concurrençant le réel. La quête du Désir des personnages franciens est mise en scène dans des univers qui lui permettent d’être menée de manière expérimentale, en mettant le réel entre parenthèses le temps du texte.

Nous verrons que cette condition est nécessaire à l’achèvement de la quête. Celle-ci n’est pas, comme nous l’avons dit, orientée vers la recherche de la vérité. Ceci serait d’autant plus absurde dans une sphère mythique. Cependant, elle ne se borne pas à concurrencer le réel de manière révoltée ; elle semble également prétendre réduire à néant, par l’arme du scepticisme, toutes les faussetés, tous les dogmes, tout ce qui appartient à l’absolu. L’acte d’écrire, chez Anatole France, revient à fonder un univers affranchi des coercitions du réel, quelles qu’elles soient :

 “On a beau être raisonnable et n’aimer que le vrai, il y a des heures où la réalité commune ne nous contente plus et où on voudrait sortir de la nature. Nous savons bien que c’est impossible, mais nous ne le souhaitons pas moins. Les désirs les plus irréalisables ne sont-ils pas les plus ardents ?[62].”

C’est dire combien le monde mythique produit par Anatole France par l’écriture aura pour fonction justement de laisser libre cours au Désir, ou plus précisément de conformer des univers propres à mettre le Désir en situation d’être assouvi, chose impensable dans le réel[63].

En effet,

“sans doute – et c’est notre grand mal – nous ne pouvons sortir de nous-mêmes. Nous sommes condamnés irrévocablement à voir les choses se refléter en nous avec une morne et désolante monotonie. C’est pour cela même que nous avons soif de l’inconnu et que nous aspirons à ce qui est au-delà. Il nous faut du nouveau. On nous dit : « Que voulez-vous ? » Et nous répondons : « Je veux autre chose. » Ce que nous touchons, ce que nous voyons n’est plus rien : nous sommes attirés par l’intangible et par l’invisible. Pourquoi s’en défendre ? N’est-ce pas là un naturel et légitime sentiment ? C’est peu de chose que l’univers sensible, oui, peu de chose, puisque chacun de nous le contient en soi. Sans manquer de respect à la physique et à la chimie, on peut deviner qu’elles ne sont rien à côté de l’ultra-physique et de l’ultra-chimie, que nous ne connaissons pas[64].”

Anatole France applique cette recherche de l’ailleurs, de ce que nous définirons comme l’aspiration à la partance[65], à la conception des univers mythiques qu’il produit par l’acte d’écrire. Ceci signifie que mettre en situations le Désir ne revient pas à instaurer une anarchie[66] absurde dans laquelle le Désir reviendrait à exiger une liberté totale et absolue : les univers mythiques franciens ne sont pas un défouloir cathartique où l’auteur se vengerait vainement des imperfections du réel[67] ; au contraire, ils sont structurés selon des lois qui sont sous-tendues par ce souci récurrent de mettre à néant la fausseté pour rechercher le sens même de l’existence humaine.

Anatole France va donc plus loin, il justifie sa production littéraire comme une nécessité de partance :

“Un livre est, selon Littré, la réunion de plusieurs cahiers de pages manuscrites ou imprimées. Cette définition ne me contente pas. Je définirais le livre une œuvre de sorcellerie [sic] d’où s’échappent toutes sortes d’images qui troublent les esprits et changent les cœurs. Je dirais mieux encore : le livre est un petit appareil magique qui nous transporte au milieu des images du passé ou parmi les ombres surnaturelles. Ceux qui lisent beaucoup de livres sont comme des mangeurs de haschisch. Ils vivent dans un rêve. Le poison subtil qui pénètre leur cerveau les rend insensibles au monde réel et les jette en proie à des fantômes terribles ou charmants. Le livre est l’opium de l’Occident[68].”

Ainsi, la quête du Désir semble être le moyen par lequel la partance est rendue possible. C’est dire combien son importance est, pour notre auteur, fondamentale et ontologique.

Cependant, puisque la quête est orientée vers la négation des faussetés et de tout absolu, et puisqu’elle est une sorte de laboratoire expérimental visant à l’assouvissement[69] ultime du Désir dans un univers mythique, que recherche-t-elle vraiment, vers quel but tend-elle ? S’agit-il simplement de mettre en scène un simple hédonisme où la recherche du plaisir prendrait le pas sur toute autre fin ? Vraisemblablement non, comme le prouve la complexité de la littérature francienne. Le Désir conduit notre auteur vers une instance qui lui est sans doute particulière. Elle ne peut en rien être la vérité elle-même, pour les raisons que nous avons montrées plus haut ; d’ailleurs, Anatole France le dit explicitement :

“La chimie contemporaine aussi s’est fait une idée nouvelle et philosophique des choses. […]  Elle a fondé le dogme de l’instabilité universelle. Elle a dit : « Chaleur, lumière, électricité, magnétisme, affinité chimique, mouvement sont les apparences diverses d’une même réalité encore inconnue. L’illusion, l’éternelle illusion révèle seule le dieu caché. La nature ne nous apparaît que comme une vaste fantasmagorie et la chimie n’est que la science des métamorphoses. Il n’y a plus ni gaz, ni solides, ni fluides, il y a seulement le sourire de l’éternelle Maïa[70]. »”

Au contraire, il semble que la finalité de la quête du Désir réside dans cette Ultima Thulé qu’est la pénétration même du cœur des choses, au-delà des apparences ou des phénomènes.

Nous avons vu en effet que l’homme, enfermé dans sa réalité charnelle, ne peut en rien accéder à cet envers du décor dans la réalité. Mais dans l’univers littéraire mythique, Anatole France met tout en œuvre pour sortir de lui-même afin de posséder l’essence du monde qui constitue finalement l’ultime Désir assouvi. Posséder l’essence du monde, c’est se fondre en lui, c’est être le monde en essence. Dans cette optique, ceci revient non seulement à dépasser la fragmentaire appréhension du monde offerte par la faillible réalité charnelle, mais à dépasser le temps, l’espace et la mort. La quête du Désir ne se borne pas à chercher à dévoiler le monde pour en dépasser les apparences, mais elle conduit à épouser le monde, à y être confondu en essence, de manière ontologique. C’est essentiellement cette recherche de syncrétisme, ou disons plutôt de fusion[71] avec l’univers, qui préside, comme nous allons le voir, à la destinée de la plupart des héros franciens[72].

Cette phase de la quête francienne où le Désir est assouvi momentanément mais de manière absolue, nous la désignerons par le logos[73] francien. Celui-ci est entièrement distinct de la vérité. Il désigne le recueillement et le rassemblement de tout l’univers au sein même du personnage francien, qui fusionne, le temps d’une parenthèse, avec lui. Le logos reste cette instance qui permet à notre auteur de décrire l’essence du monde au-delà des apparences. Le logos est la parole de notre auteur disant l’univers dévoilé et possédé par le Désir qui, à ce point de sa quête, est assouvi. Ce faisant, et de manière synchrone, le personnage francien connaissant le logos a trouvé le sens de son existence. C’est dire combien le logos ordonne, et même « architecture » toute la destinée des personnages franciens qui vouent leur existence à sa découverte progressive : le héros francien assouvi, ayant connu le logos, est celui ayant vécu une ontologique fusion avec le cœur des choses.

La recherche francienne du logos par le Désir ne semble d’ailleurs pas se restreindre à donner un sens à l’existence des nombreux personnages mis en scène par Anatole France. Elle dépasse cette fonction de deux manières fondamentales.

D’une part, elle offre au monde des lois particulières, qui régissent nos héros ; elles se substituent aux lois du réel en offrant au monde la nécessaire volupté qui lui fait défaut dans le réel où sévit la lutte pour l’existence. Nous reviendrons sur chacune de ces lois qui hiérarchisent l’univers francien[74]. Il n’est pas question, dans ce monde littéraire concurrençant le réel, de laisser à la fausseté le soin d’aveugler les personnages ; lorsque c’est tout de même le cas, ceci a une valeur récriminatrice, la fausseté donnant lieu à une réflexion intentionnelle de la part de notre auteur[75]. Nous l’avons dit, la révolte du Désir donne lieu à une tabula rasa fondamentale, où la société française de cette fin de XIXe siècle sera bien souvent transposée pour être mieux critiquée, combattue et reconstruite dans une utopie particulière au Désir[76]. Les lois du Désir luttent contre tous les abus du réel, et la morale qui découle du Désir se substitue elle-même à toute morale fondée sur un dogme[77] ; donc, ce qui sera du côté du Bien[78] sera tout ce qui ira dans le sens de l’assouvissement du Désir. Ce qui sera du côté du Mal[79] sera tout ce qui entravera la quête du Désir, empêchant l’accès au logos. Nous verrons que ceci est fondamental, puisque les repères d’une herméneutique[80] ainsi que d’une heuristique[81] du monde en seront fortement changés. Que dire en effet d’un diable[82] qui divulgue la vérité – c’est-à-dire qui donne aux personnages franciens les clefs de l’assouvissement du Désir, seule vérité à atteindre, ainsi que dans Thaïs ou dans La Révolte des anges – tandis que Dieu est lui-même considéré comme un menteur impuissant empêchant le Désir de mener à bien sa quête, et plongeant donc l’humanité dans la fausseté et les souffrances absurdes – comme c’est le cas dans L’Ile des Pingouins ou La Révolte des anges ? La morale[83] du Désir est fort particulière, et elle oriente les univers mythiques fondés par Anatole France vers un déplacement des valeurs, et plus particulièrement des valeurs judéo-chrétiennes[84]. Mais elle dépasse de loin une simple mission protestataire. Certes, nous savons qu’Anatole France était fermement opposé au catholicisme en tant que religion instrument de pouvoir[85]. Cependant, la morale du Désir implique une véritable renégociation des valeurs morales habituellement admises, ce qui transforme la conformation même de l’ordre cosmique tout entier. La morale du Désir fait de notre auteur un démiurge[86]. Le pansexualisme est également un avatar de cette renégociation des valeurs morales. Nous aurons l’occasion de le montrer à maintes reprises[87]. Les références incessantes d’Anatole France à la gnose[88] en sont un autre.

Mais parallèlement à tous ces épiphénomènes engendrés par la morale du Désir, la quête francienne du Désir va jusqu’à orienter la structure même de la poétique de notre auteur. Nous verrons d’ailleurs qu’un bon nombre de thèmes franciens, centraux dans l’architecture de l’œuvre, ne sont pas toujours aussi inédits qu’ils le paraissent. Nous tenterons de montrer comment ces topoï littéraires, saisis dans l’air du temps, sont réinjectés dans le mécanisme particulier du Désir. Anatole France est un écrivain du palimpseste. Par contre, nous mettrons aussi en relief une description de la stylistique francienne ne renfermant guère d’originalité spéciale. Manifestement, la structuration même de la pensée de notre auteur ne rejaillit pas, dans toute sa révolte, sur le métier scriptural de l’écrivain. C’est là un autre paradoxe de France : autant sa pensée paraît avant-gardiste, autant son écriture se réclame d’un classicisme parfois en très net décalage avec la philosophie soutenue. Nous verrons une certaine logique darwinienne à cette attitude. Pour autant, ce sera vraisemblablement ce classicisme qui entraînera la prise de position très virulente des surréalistes, en 1924, à l’encontre de cette œuvre littéraire : ce procès – appelons les choses par leur nom – n’était-il pourtant pas le fruit d’un malentendu ?

Nous verrons en effet que les mondes mythiques produits par Anatole France conservent invariablement une structure particulière, qui est disposée par ce que nous appellerons l’érotogenèse[89]. L’érotogenèse est le processus selon lequel les personnages franciens se représentent le monde au travers de leur Désir, et selon lequel le monde, dialectiquement, est sécrété lui-même par les personnages franciens. Nous assisterons dès lors, de manière invariable dans toutes les œuvres littéraires franciennes[90], à une évolution progressive du héros dans le monde vers le logos, au travers d’une succession d’épisodes qui montrent dans le même temps une évolution du monde lui-même tendant vers le même point. En d’autres termes, le monde et le héros francien ne font qu’un, ils sont une dyade[91] indissociable. Cette conception particulière du monde romanesque impliquera pour Anatole France la fondation d’une structuration originale des univers mythiques immergeant ses héros – qui parfois, nous l’avons dit, n’échappent pas aux topoï littéraires –, entièrement sous-tendue par la quête du Désir : par conséquent, étudier la quête du Désir des héros franciens revient à étudier, semble-t-il, l’écriture même de ce Désir : la poétique du Désir rejoint de plain-pied la recherche du logos, c’est-à-dire de la parole d’un univers dévoilé et possédé par le Désir assouvi.

La poétique du Désir est une quête aussi bien heuristique qu’herméneutique du monde ; si l’écriture du Désir n’a pas pour but de trouver une vérité absolue, elle tend pour le moins à construire un système de pensée rigoureusement architecturé, qui permet d’accéder à un sens de l’existence humaine au travers d’un trajet initiatique. Il apparaît que ce trajet vaut moins par le but de sa quête – le logos – que par la manière dont Anatole France le constitue ; les études critiques anciennes[92], reprises parfois par les plus récentes menées sur Anatole France[93], montrent présentement de manière traditionnellement admise que le doute sceptique de notre auteur structure sa pensée, et donc sa poétique tout entière. A l’occasion de notre étude, nous souhaiterons souligner que le scepticisme de notre auteur n’est lui-même qu’une conséquence de la quête du Désir : nous montrerons que c’est le Désir qui « architecture » la pensée francienne, y compris son scepticisme. D’ailleurs, l’importance de la volupté[94] dans la littérature francienne s’avère mise en évidence fort tardivement dans les études critiques[95], ce qui signifie que ce champ restait encore vraisemblablement à explorer.

Anatole France, par l’écriture du Désir, paraît en effet bien fonder une philosophie du monde[96], quoique son doute ne lui permette pas de l’affirmer comme telle ; son trajet heuristique et herméneutique du Désir fait pourtant partager au lecteur une soif irrépressible de posséder le monde, de fusionner avec lui, de s’y fondre pour lui ôter ses zones d’ombre en s’affranchissant dans le même mouvement du temps, de l’espace, de la matière et de la mort : la quête du Désir francien est peut-être avant tout la parole sage et révoltée de celui qui cherche à recueillir non seulement le sens de son existence, mais le bonheur de goûter la liberté de l’assouvissement et le détachement de toutes les entropies. C’est dans ce sens que chaque étape de ce long trajet scriptural du Désir semble donner naissance de manière coextensive et progressive à une philosophie du monde : pour Anatole France, le Désir semble non seulement présider à l’élaboration d’une écriture, mais au-delà, il nous permet de sortir de nous-mêmes pour nous rendre vers cet ailleurs inaccessible dans le réel, cet ailleurs situé au-delà des apparences, du temps, de la matière et de la mort, et qui constitue l’objet de connaissance le plus chèrement recherché par Anatole France.

 

 


[1] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, Calmann-Lévy, Paris, 1894, p.5.

[2] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.65.

[3] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.53.

[4] Cité par Marie-Claire Bancquart, Anatole France, œuvres complètes, Pléiade, tome II, p.XXXI.

[5] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.67.

[6]Il n’y a qu’une chaîne d’évolution continue qui se poursuit à travers les siècles et en dépit de toutes les crises, assurant la continuité et l’unité secrète de la civilisation occidentale.”, H.-I. Marrou, « Culture, civilisation, décadence », in Revue de synthèse, décembre 1938.

[7] Voir infra, I.1.2, p.52.

[8] Sur les rapports existant entre Anatole France et Schopenhauer, voir infra, I.3.2.d, p.226.

[9] Sur les rapports existant entre Anatole France et l’inconscient, voir infra, II.3.1, p.289.

[10] Anatole France, Vie Littéraire, IV: Mysticisme et science, p.43-44, 27 avril 1890.

[11] Copernic défend cette idée que la terre n’est pas au centre de l’univers dans De Revolutionibus Orbium Coelestium, en 1543.

[12] J.-B. de Monet, chevalier de Lamarck, Discours d’ouverture du cours , 27 floréal an X et Philosophie zoologique , 1809 (in Inédits de Lamarck, Masson, Paris, 1972.)

[13] A. R. Wallace, La Sélection naturelle. Essais, 1870.

[14] Voir C. Darwin, L’Origine des espèces, (première parution en 1858), Flammarion, Paris, 1992. Voir infra, I.1.2.d, p.63.

[15] Voir glossaire.

[16] Voir glossaire.

[17] Voir infra, I.1.2.d, p.63.

[18] Anatole France, Monsieur Bergeret à Paris, Pléiade, tome III, p.294.

[19] Voir glossaire.

[20] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.36.

[21] Voir infra, II.1.2, p.240.

[22] Anatole France, Vie littéraire, IV, préface, p.IX.

[23] Anatole France, Vie littéraire, ibid., p.XII.

[24] Anatole France, Vie littéraire, I, p.185.

[25] Voir glossaire. Voir infra, I.3.1, p.199.

[26] Anatole France, Vie littéraire, III, préface, p.XII.

[27] Anatole France, Vie littéraire, II, p.79.

[28] C’est ici l’une des principales critiques que mène Anatole France contre les religions. Voir infra, I.2.2, p.151.

[29] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.60.

[30] Anatole France, Vie littéraire, II, p.173.

[31] Anatole France, Vie littéraire, III, « La Morale et la science », p.63-74.

[32] Anatole France, Vie littéraire, III, p.77-78.

[33] Anatole France, Le Mannequin d’osier, Pléiade, tome III, p.61.

[34] Anatole France, Vie littéraire, I., p.37.

[35] Ceci est une autre manière de dire que la parole que nous produisons est plus sécurisante que le silence offert par le monde que nous tentons de comprendre.

[36] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.105.

[37] Voir glossaire.

[38] Voir infra, II.1.1, p.236.

[39] Voir glossaire.

[40] Anatole France, Vie littéraire, III, « La Morale et la science », p.72-74.

[41] Voir glossaire.

[42] Sur la phénoménologie du Désir, voir infra, III.1, p.379.

[43] Voir glossaire.

[44] Voir infra, I.2.3.b, p.174.

[45] Anatole France, Vie littéraire, III, p.73. A mettre en parallèle avec la réflexion suivante : “Mars selon toute apparence est habitable pour des espèces d’êtres comparables aux animaux et aux plantes terrestres. Il est probable qu’étant habitable, il est habité. Tenez pour assuré qu’on s’y entre-dévore à l’heure qu’il est.”, in Anatole France, Le Jardin d’Epicure, ibid., p.5-6.

[46] Anatole France, Vie littéraire, I, p.347.

[47] Voir glossaire.

[48] Anatole France, La Vie en fleur, Pléiade, tome IV, p.1171.

[49] Voir glossaire.

[50] Voir glossaire.

[51] Si ces œuvres sont symptomatiques de cette démarche, elles ne sont pas les seules : nous verrons que cette loi du Désir recréant le monde comme mythique peut être généralisée à toute l’œuvre francienne. Voir notamment infra, II.1, p.236.

[52] Voir notamment Thaïs, mais aussi Le Procurateur de Judée ou Laeta Acilia.

[53] Voir Sur la pierre blanche et L’Ile des Pingouins.

[54] Voir Le Puits de sainte Claire.

[55] Voir La Rôtisserie de la reine Pédauque et Les Dieux ont soif, ainsi que de nombreuses nouvelles de L’Etui de nacre.

[56] Voir notamment la trilogie de Histoire contemporaine, ou encore Le Lys rouge, Les Désirs de Jean Servien, et les œuvres dites autobiographiques (Le Livre de mon ami, Le Petit Pierre, Pierre Nozière et La Vie en fleur.)

[57] Voir « Abeille » ou Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.

[58] Voir notamment Thaïs ou  « Balthasar ».

[59] Voir Le Crime de Sylvestre Bonnard, Le Puits de sainte Claire ou Le Lys rouge.

[60] Voir L’Ile des Pingouins.

[61] Voir infra, III.1, p.379 et III.2, p.430.

[62] Anatole France, Vie littéraire, I, p.117.

[63] C’est pourquoi nous établissons une distinction entre l’engagement de notre auteur dans le monde réel, et sa production littéraire ; le mode de pensée d’Anatole France, s’il est complexe, reste cohérent : d’une part, notre auteur est un personnage historique, socialiste humaniste, et cela suffit à expliquer ses engagements dans la vie publique. Anatole France, en tant qu’homme public, a été abondamment commenté (voir surtout Marie-Claire Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, Calmann-Lévy, Paris, 1984.) Son engagement aboutit à un prix Nobel en 1922, il aboutit également à la fondation de la Ligue des Droits de l’homme, à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, à la révision du procès Dreyfus et à la réhabilitation du soldat bafoué ; il donne lieu aussi à des menaces de mort lorsque Anatole France réclamait la fin immédiate de la guerre de 14-18 sous le nom d’un pacifisme pur et sans compromission. Enfin,  il aboutit à un avertissement sans condition de la montée du fascisme, du danger des armes nucléaires – qui n’existent pas encore mais qui sont pressenties –, de la frustration allemande qui voudrait en découdre une seconde fois tôt ou tard, du communisme qui serait despotique en URSS après les espoirs de 1917 et après la longue série de procès suivant la révolution russe. Cependant, si évidemment la biographie d’Anatole France est d’un grand intérêt quant à l’appréhension de son œuvre littéraire, elle ne suffit pas à comprendre l’œuvre littéraire. Nous le verrons, l’engagement d’Anatole France et le Désir semblent se trouver sur deux plans différents : ce n’est certes pas la recherche d’Eros ou de Vénus Uranie qui guide la vie de Monsieur Bergeret, seulement un profond humanisme sceptique ; si les combats d’Anatole France dans le réel sont précieux pour comprendre l’engagement francien, ils ne semblent guère éclairer l’existence de Thaïs ou de Jacques Tournebroche, et c’est en quoi nous nous défendrons d’amalgamer engagement et Désir. Certes, parfois, les frontières entre ces deux instances se recoupent, mais nous les délimiterons avec précision pour ne pas entretenir de confusion entre les sphères du mythe et de l’histoire. Voir infra, II.1.2.a, p.240.

[64] Anatole France, Vie littéraire, I, p.118.

[65] Voir glossaire. Voir infra, I.3, p.199, et notamment I.3.3, p.232.

[66] Voir glossaire.

[67] Sur les rapports entretenus par Anatole France et l’anarchie, voir infra, II.1, p. 236 et notamment II.1.2.a, p.240 et b, p.243.

[68] Anatole France, Vie littéraire, I, p.VII-VIII(à Adrien Hébrard, directeur du Temps.)

[69] Voir glossaire.

[70] Anatole France, Vie littéraire, III, p.XVIII. Maïa est la déesse romaine représentant la grande mère des dieux. Elle est la plus jeune des pléiades et la mère d’Hermès.

[71] Voir glossaire.

[72] Nous reviendrons continuellement, tout en l’affinant progressivement, sur le logos francien. Voir toutefois infra, III.1.3, p.420, et plus précisément III.1.3.b., p.425.

[73] Voir glossaire.

[74] Voir infra, I.3, p.199 et sqq., jusqu’à la fin de notre travail.

[75] C’est le cas pour des personnages aussi emblématiques que Gamelin dans Les Dieux ont soif ou que Paphnuce dans Thaïs, qui sont en prise directe avec la fausseté. Nous verrons en quoi ceux que nous désignerons comme les héros de l’échec participent pleinement de la quête francienne du Désir. (Voir notamment infra, III.2.1.b, p.445.)

[76] Sur le sujet de la transposition et du pastiche, voir notamment infra, I.1.2.e, p.67. Sur l’utopie du Désir, voir infra, II.1.2, p.240.

[77] Voir infra, II.3, p.289.

[78] Voir glossaire.

[79] Voir glossaire.

[80] Voir glossaire.

[81] Voir glossaire.

[82] Voir glossaire.

[83] Voir glossaire.

[84] Voir notamment infra, II.3.2, p.320 et II.3.3, p.335.

[85] Voir notamment infra, I.1.3.a, p.199.

[86] Voir notamment infra, II.3.3.a, p.341 et II.3.4, p.368.

[87] Voir notamment infra, II.3.3, p.335.

[88] Voir glossaire. Voir infra, I.2.1.b, p.139 et c, p.143, et I.2.2, p.151.

[89] Nous utilisons ce néologisme qui signifie étymologiquement création du Désir pour désigner un concept qui semble original à la pensée francienne. Voir glossaire. Voir infra, III.1.2, p.404.

[90] A l’exclusion des œuvres politiques (Histoire contemporaine) et des œuvres dites autobiographiques (Le Livre de mon ami, Le Petit Pierre, Pierre Nozière, et, dans une moindre mesure, La Vie en fleur.)

[91] Voir Glossaire. Voir infra, III.1, p.379.

[92] Nous pensons en particulier à A. Antoniu, Anatole France, critique littéraire, Boivin, Paris, 1929, et à J. Levaillant, Les Aventures du scepticisme, essai sur l’évolution intellectuelle d’Anatole France, A. Colin, Paris, 1965.

[93] Nous pensons ici aux études de Marie-Claire Bancquart, qu’il s’agisse de Anatole France, un sceptique passionné, ou de l’appareil critique mis en œuvre dans l’édition des Œuvres complètes d’Anatole France dans les quatre tomes de la Pléiade – sur lesquels nous nous appuierons. “L’inquiétude ne lui [Anatole France] a pas manqué, il s’en faut. Il l’a mise dans ses idées générales sur l’existence et dans ses prévisions sur l’immédiat avenir. […] Il prévoit les dangers courus par notre civilisation, et jusqu’à sa destruction par des méthodes de désintégration de la matière. Nous pouvons en être plus frappés que ceux qui, à la mort de l’écrivain [en 1924] et ensuite, croyaient aux lendemains qui chantent, ignoraient la bombe atomique… Et à propos de la destinée humaine, du Jardin d’Epicure à La Vie en fleur, l’écrivain a fait entendre sur la solitude de l’homme dans l’univers, sur son intelligence douloureuse, sur la pérennité de l’art, des paroles qui sont dans la grande tradition des penseurs « existentiels ». Il suffit qu’on les lise. Et qu’on veuille bien comprendre la position d’Anatole France : nous sommes assez accablés par notre « être-là » inexplicable, pour ne pas majorer le pathétique et nous répandre en plaintes. Sa devise, curieusement stoïcienne en apparence – mais elle est bien plutôt tirée de la lecture de Lucrèce – était : Quidquid erit pati [« Endurer tout ce qui se présentera. »] Supporter tout ce qui arrive, sans exagérer les tourments.”, Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome IV, p.LXVII-LXVIII. Voir aussi Marie-Claire Bancquart, ibid., p.LIX-LXIII.

[94] La volupté est un thème connexe et subordonné au Désir. Voir notamment infra, II.3.3, p.335 et III.2.2, p.467.

[95] C’est Marie-Claire Bancquart qui inaugure véritablement cette piste : “Le pessimisme d’un tel bilan [dressé dans la dernière œuvre d’Anatole France, La Vie en fleur] est balancé, le temps de notre lecture, par un sourire ou un attendrissement qui viennent du ton des évocations de jeunesse ; il est balancé plus généralement par la certitude que les illusions heureuses du désir viennent compenser le malheur inhérent à l’existence. Ces illusions, intuitions d’un « monde inconnu » sans doute inconnaissable, sont concrétisées du moins par les œuvres d’art, moins éphémères que les hommes.”, Marie-Claire Bancquart, ibid., p.LXIII.

[96] Voir infra, III.3, p.488.

 

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