III.2.1.b) Œuvres et héros de l’échec : une poétique de la dégradation

III.2.1.b) Œuvres et héros de l’échec : une poétique de la dégradation

 

« Non ! dit-il, non ! je ne puis plus supporter cette vie ; je suis malheureux, je souffre, je hais ! »”, Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, Pléiade, tome I, p.407.

 

Certains héros franciens resteront en effet englués ontologiquement dans l’effondrement du monde. C’est le cas de notre fameux Paphnuce, l’archétype francien du héros éternellement en proie à la frustration. La mort dans Thaïs acquiert un statut nulle part ailleurs mis en œuvre. Elle libère certes Thaïs et en la sanctifiant, lui permet de réintégrer le principe féminoïde pansexualiste dont elle est issue. Mais cette mort est prophétisée par Paul le Simple[1], et comme telle, offre à Paphnuce la conscience de son existence absurde et mensongère, ratée pour ainsi dire. Lorsque notre ascète rencontre Antoine, il croit orgueilleusement être l’objet d’éloges, il pense être le champion des ascètes. Et pourtant, contre toute attente, Paul le Simple annonce la mort de Thaïs à un Paphnuce désespéré et blessé dans son orgueil :

“Paul le Simple leva les yeux ; son visage resplendit et sa langue se délia. « Je vois dans le ciel, dit-il, un lit orné de tentures de pourpre et d’or. Autour, trois vierges font une garde vigilante afin qu’aucune âme n’en approche, sinon l’élue à qui le lit est destiné. » Croyant que ce lit était le symbole de sa glorification, Paphnuce rendait déjà grâces à Dieu. Mais Antoine lui fit signe de se taire et d’écouter le Simple qui murmurait dans l’extase : « Les trois vierges me parlent ; elles me disent : « Une sainte est près de quitter la terre ; Thaïs d’Alexandrie va mourir. Et nous avons dressé le lit de sa gloire, car nous sommes ses vertus : la Foi, la Crainte et l’Amour. » […] Je vois, murmura-t-il, trois démons, qui, pleins de joie, s’apprêtent à saisir [Paphnuce]. Ils sont à la semblance d’une tour, d’une femme et d’un mage. Tous trois portent leur nom marqué au fer rouge : le premier sur le front, le second sur le ventre, le troisième sur la poitrine, et ces noms sont : Orgueil, Luxure et Doute. J’ai vu. »[2]

Cette mort prophétisée préfigure, dans son expansion momentanée du monde – elle est une déchirure, une ouverture béante dans le Tout – l’engluement à venir de notre personnage dans un monde aride, fait de frustration et de regrets. Paphnuce ne s’en sortira jamais. Thaïs est nettement une œuvre de l’échec dans l’optique particulière de Paphnuce qui symbolise toute forme de coupable ascétisme. Mais nous verrons que malgré cela, Thaïs peut aussi être classé parmi les œuvres de la volupté – dans le point de vue de Thaïs elle-même. Cette ambivalence décrit le polymorphisme du Désir profondément ancré dans le point de vue de chaque personnage qui se confronte au monde et à l’Autre. Chaque roman francien ne met donc pas en scène un dogme du Désir, mais bien le Désir propre de chaque protagoniste dans une perspective de forte confrontation.

En effet, l’érotogenèse n’est que le fruit d’un point de vue, d’une individualité, d’une intériorité. Un monde effondré autour d’un héros particulier peut aussi bien être un monde en expansion pour un autre héros, au sein du même texte. Dans Thaïs, ceci est parfaitement manifeste selon qu’on se place sous l’angle de Paphnuce ou de Thaïs, qui sont deux personnages radicalement opposés.

Dès lors, nous n’aborderons à partir de maintenant les œuvres franciennes qu’à travers la dyade héros/monde : c’est bien la poétique francienne qui détermine si oui ou non un héros voit son Désir assouvi, en posant au héros les conditions ou non de cet assouvissement. Nous allons voir que l’échec des héros franciens tient surtout au refus du Désir pour des raisons religieuses ou idéologiques, dogmatiques en tout cas[3]. Ce refus se répercute directement sur le monde lui-même ; les héros franciens naissent reclus de manière originelle, et cette réclusion ontologique est le prétexte à la révolte et à l’initiation du Désir vers le cœur des choses. La révolte du Désir semble la seule possible dans le monde francien. Ceux qui prétendent se révolter par idéologie et qui mettent ainsi le Désir de côté, vont au devant de cruelles désillusions. Le monde se charge de les engluer, de les visser au temps et à la mort tout en veillant à ce que leur réclusion originelle continue de présider à leur destinée tout entière.

Gamelin illustre parfaitement ce propos dans Les Dieux ont soif[4]. Ce héros est déterminé par sa lutte schizophrénique entre la soif de pouvoir et de justice confinant à la terreur, et son amour pour la jeune Elodie Blaise. La réclusion de Gamelin dans la fausseté est poussée tellement loin qu’elle envoie notre héros à la mort elle-même, à une mort froide et aride qu’il accepte d’ailleurs parce qu’il ne s’est pas donné le choix d’assouvir son Désir. L’expansion du monde prévue par Gamelin dans le futur au travers de l’instauration par la force d’un monde idéal n’aura jamais lieu. Un retour cruel à la nature des choses s’impose alors à lui dans ce monde révolutionnaire au pansexualisme nié mais pourtant présent en la personne d’Elodie Blaise. Lorsque Gamelin est en route pour l’échafaud,

“des femmes qui reconnaissaient Gamelin lui criaient : « Va donc ! buveur de sang ! Assassin à dix-huit francs par jour !… Il ne rit plus : voyez comme il est pâle, le lâche ! » C’étaient les mêmes femmes qui insultaient naguère les conspirateurs et les aristocrates, les exagérés et les indulgents envoyés par Gamelin et ses collègues à la guillotine[5].”

Cependant, une fois que notre héros a reconnu que sa mort n’était que justice[6], il n’est pas dit que le monde ne connaisse pas une certaine expansion – trop tardive pour Gamelin – lorsqu’une fenêtre s’ouvre métaphoriquement et qu’Elodie lui lance un œillet. Gamelin exprimerait-il un regret, comprenant – une fois que son sort est joué – qu’il a eu tort toute sa vie ?

“Quand la charrette passa devant la fenêtre de gauche [du magasin d’Elodie], la fenêtre de la chambre bleue, une main de femme, qui portait à l’annulaire une bague d’argent, écarta le bord de la jalousie et lança vers Gamelin un œillet rouge que ses mains liées ne purent saisir[7], mais qu’il adora comme le symbole et l’image de ces lèvres rouges et parfumées dont s’était rafraîchie sa bouche. Ses yeux se gonflèrent de larmes et ce fut tout pénétré du charme de cet adieu qu’il vit se lever sur la place de la Révolution le couteau ensanglanté[8].”

Que devient le Désir d’Elodie Blaise après la mort de son amour bafoué par la rigidité dogmatique ? Elle va connaître le logos dans les bras d’un autre homme, et même vraisemblablement la béance[9]. Les Dieux ont soif n’est un roman de l’échec que pour Gamelin et ses idéologies injustifiables. Après sa mort, le monde acquiert par ailleurs une autre teneur, il n’est plus effondré, il est ouvert dans l’immensité de la nuit qui s’annonce belle et étoilée : Elodie

“se décoiffa lentement devant la glace de la cheminée. ; puis elle regarda, avec mélancolie, la bague qu’elle portait à l’annulaire de sa main gauche, une petite bague d’argent où la figure de Marat, tout usée, écrasée, ne se distinguait plus. Elle la regarda jusqu’à ce que les larmes eussent brouillé sa vue, l’ôta doucement et la jeta dans les flammes[10]. Alors, brillante de larmes et de sourire, belle de tendresse et d’amour, elle se jeta dans les bras de Philippe. […] Les derniers tisons brillaient dans l’âtre. Elodie laissa retomber sur l’oreiller sa tête heureuse et lasse[11].”

Cette fin est métaphorique : quand Elodie laisse retomber sa tête heureuse et lasse sur l’oreiller, nous pensons immédiatement à la tête de Gamelin qui finit dans un panier… L’amour d’Elodie Blaise pour Gamelin n’a été qu’un épisode à mettre en alternance avec la suite de sa vie. L’héroïne connaîtra l’union qui conduit au cœur des choses avec Philippe Desmahis, Gamelin n’aura été qu’une étape dans l’initiation. Dans Les Dieux ont soif, le protagoniste n’est peut-être pas celui qu’on croit : c’est sans doute Elodie Blaise qui est malgré les apparences au centre du roman. Les Dieux ont soif est donc le récit d’un échec relatif, qui obéit au principe de la morale du Désir[12]. Dans ce sens, la mort représente pour Elodie une renaissance, une libération, la fin de sa propre réclusion. Nous pouvons remarquer qu’Elodie Blaise est une anti-Félicie Nanteuil, alors que Gamelin est un anti-Chevalier. Il se pourrait en effet que nous soyons face à un jeu de miroirs entre Histoire comique et Les Dieux ont soif, puisque ces deux romans s’opposent dans une structure en chiasme saisissante, presque trop manifeste pour n’être pas intentionnelle de la part d’Anatole France[13].

Cependant, Félicie Nanteuil, Paphnuce et Gamelin ne sont pas les seuls héros franciens à être marqués du sceau de l’échec, même s’ils sont sans doute les membres les plus représentatifs de cette sombre « confrérie ». Comment ne pas ici évoquer les d’Astarac[14], les Fra Giovanni[15] ou même Jean Servien[16] ?

Ce dernier est un personnage traité avec une certaine tendresse par Anatole France. D’ailleurs, Les Désirs de Jean Servien est un roman à teneur plus ou moins autobiographique[17], puisque la belle Gabrielle[18] pourrait être une transposition d’Elise Devoyod, l’une des femmes qui infligea vers 1866 une fin de non recevoir à notre auteur. Cette demoiselle passe souvent pour être le premier amour de France.

La fatalité enserrant Jean Servien est la conséquence directe de la mort de sa mère qui survient quelques jours après sa naissance. En effet, l’espoir caressé par cette femme morte prématurément est que son fils parvienne, après de brillantes études, à un poste haut placé d’un point de vue social. Dès lors, le père de Jean l’oblige littéralement à poursuivre des études en lui trouvant un maître, Tudesco[19], afin d’être conforme aux aspirations de la défunte. C’est vraisemblablement la première fatalité de Jean Servien[20]. Il en est une autre :

“En femme du peuple qui ne connaissait les hautes fonctions sociales que par quelques éclats de leur pompe extérieure et par les révélations informes des portiers, des valets et des cuisinières, elle rêvait son fils à vingt ans plus beau qu’un archange et couvert de décorations, dans un salon plein de fleurs, au milieu de femmes du monde ayant toutes d’aussi bonnes manières que les actrices du Gymnase[21].”

N’est-ce pas cette vision du monde naïve qui entraînera Jean à désirer Gabrielle, de manière évidemment inconsciente[22] mais d’autant plus impérieuse ?

La vie entière de Jean Servien va être présidée par le Désir de sa défunte mère, Clothilde, relayé par l’intransigeance de son père. Or, qui est cet enfant, véritablement, et est-il conforme à l’image idéalisée qu’en dresse sa mère ? “Elle frémissait comme la mère d’un dieu, cette pauvre ouvrière malade dont l’enfant chétif languissait près d’elle dans le mauvais air d’une arrière-boutique[23].” L’enfant n’est pas aussi fort que prévu, et son père se trouve malgré tout dans une frustration fondamentale : puisque sa femme est morte, ne pas respecter ses dernières volontés serait une trahison entraînant une culpabilité invivable, d’où l’idéalisation ferme et rigoureuse du destin de Jean, au détriment de la nature même de l’enfant. Le père de Jean, malgré son autorité, est un lâche[24]. La mort prématurée de Clothilde détermine la frustration de son mari – lui-même, par nature, un personnage reclus –, et par ricochet celle de l’enfant même. Cette mort représente donc aussi la réclusion de Jean :

“Le temps coula. Peu à peu, le souvenir de la morte prit dans la mémoire du relieur un caractère de douceur et de vague. Une nuit il essaya, sans y réussir, de se représenter la figure de Clothilde, alors il se dit qu’il pourrait peut-être retrouver les traits de la mère sur le visage de l’enfant, et il lui vint un grand désir de revoir et de reprendre ce reste de celle qui n’était plus[25].”

Jean Servien se trouve devant une alternance fondamentale, qui présidera à toute sa destinée de manière un peu dramatique : il devra d’une part concilier son Désir pour les femmes, Désir qui a une teneur particulière puisqu’il est déterminé par la description mythique et tronquée des grandes dames que lui fit Clothilde avant de mourir[26]. Et d’autre part, Jean devra contenter le Désir incoercible d’ascension sociale exigé par son père à la suite de la mort de Clothilde. Or, ces Désirs ne semblent pas conciliables et devant cette fragmentation, c’est la personnalité même de Servien qui va se désagréger.

Tudesco arrive dans la vie de Jean de manière impromptue ; c’est un mendiant érudit payé par le relieur pour apprendre à l’enfant le français et le latin, conformément aux souhaits de Clothilde. Si le relieur est impressionné par Tudesco, l’enfant n’est pas dupe :

“Jean s’amusait à son insu des malices et de l’éloquence de ce vieillard, qui réunissaient en lui le prélat et le bouffon. Les récits de ce rare conteur passaient l’intelligence de l’enfant mais non sans y laisser certaines impressions confuses d’audace, d’ironie et de cynisme[27].”

Le savoir sur lequel Clothilde comptait naïvement afin que son fils parvienne à un haut statut social se borne sans guère d’autre effet à éveiller l’imagination fantasque de Jean. De plus, Tudesco est de ces précepteurs sceptiques – dont Coignard sera le meilleur exemple – qui tendent à démontrer que le monde n’est vivable que si nos plus profonds Désirs sont assouvis, et que l’existence humaine n’est qu’une quête vers cet assouvissement. Tudesco est l’incarnation même du principe qu’il édicte : c’est un mendiant, et pourtant il est érudit. Il est donc absurde de penser que le savoir suffit pour grimper les échelons sociaux et arriver au sommet. Le relieur est bien naïf d’employer Tudesco dans cette fin, puisque le mendiant incarne lui-même la négation du rêve de gloire de Clothilde. A ce titre, la leçon de philosophie transcendante de Tudesco est exemplaire :

“Si tu t’élèves un jour au-dessus de ta condition et si tu parviens à prendre connaissance de toi-même et du monde, tu reconnaîtras que les hommes n’agissent que par égard à l’opinion de leurs semblables[28], en quoi ils sont, per Bacco[29] ! de bien grands insensés. Ils craignent qu’on les blâme et souhaitent qu’on les loue[30]. Ils ne savent donc pas, les sots, que le monde ne se soucie pas plus d’eux que d’une noisette et que leurs plus chers amis les verront glorifiés ou déshonorés sans perdre une bouchée de leur festin. Apprends de moi, caro figliolo[31], que l’opinion ne vaut pas le sacrifice d’un seul de nos désirs[32].”

Nous revenons ici aux fondations mêmes de la destinée de Jean, tiraillée entre la réclusion du regard de ses parents et son propre Désir. Cette fragmentation du Désir n’est certes pas vivable, et l’intériorité de Jean est ainsi organisée et structurée par cette ontologique scission[33].

Cette leçon de « philosophie » est en fait l’unique chose retenue par Jean, de manière vraisemblablement inconsciente. Le marquis de Tudesco ne tarde pas à s’évaporer, tandis que l’enfant âgé de onze ans se retrouve en pension. Là encore, il laisse libre cours à son esprit fantasque : il n’est en rien destiné à devenir un personnage illustre. En pension, il attend avec impatience l’heure du soir, des rêveries et des jeux. Il est enivré par l’atmosphère et le décorum de l’église, s’attendant à des miracles, mais déçu, il se détache bien vite de la religion. Point par point, sa destinée se désolidarise de manière inertielle de l’idéal de Clothilde et du relieur.

Jean reste à la recherche d’une présence féminine et maternelle, d’une mère de substitution, sans aucune autre arrière-pensée. Inopinément, Ewans, un camarade de classe, lui propose de l’inviter chez lui pour connaître sa famille. Le père de Jean lui en donne la permission, tout simplement parce que la fréquentation de cette famille aisée est une bonne façon de s’introduire dans les milieux bourgeois. Il va de soi que cette manière d’appréhender les choses n’est pas conciliable avec le Désir de Jean. La vue de la mère d’Ewans est un bouleversement ontologique – la première assertion explicite du Désir dans la vie de Jean, par le regard évidemment :

“Jean aperçut dans cette ombre une dame trop différente de celles qu’il avait remarquées jusque-là pour pouvoir se faire une idée de sa nature, de sa beauté, de son âge. Il n’avait jamais vu d’yeux d’un éclat si vif sur une peau si mate, ni de lèvres si rouges, souriant avec une telle expression d’habitude et presque de fatigue[34].”

La pièce dans laquelle l’action se situe est l’inverse de l’arrière-boutique de son père. C’est une concentration réflexive du Désir de Jean, un salon parfumé comme une chapelle :

“Jean, mal à l’aise sur le bord de sa chaise, contemplait dans le salon des choses étranges et somptueuses qui lui semblaient tenir mystérieusement à la personne de Mme Ewans et qui le troublaient presque autant qu’elle-même l’avait troublé. Enveloppée d’une odeur légère et d’un frisson de soie, elle reparut en ajustant les brides du chapeau qui lui faisait un léger diadème[35].”

A partir de ce moment précis, l’effondrement du monde n’est plus celui de la réclusion exigée par le Désir post mortem de Clothilde. Madame Ewans incarne la première apparition du pansexualisme dans le roman et le Désir de Jean Servien prend maintenant le relais du Désir parental. C’est alors que le combat entre les deux va débuter et que la quête du Désir de Jean va changer radicalement de teneur, accentuant son désaccord avec les volontés paternelles.

Mme Ewans a un amant, un vendeur de porcs[36], ce qui la place au-delà de toute accessibilité, entraînant chez Jean une frustration sous-jacente. Il prend conscience ici de la leçon de philosophie de Tudesco : au mythe d’ascension sociale se substitue le Désir pur et simple. Le monde se géométrise, se précise, la fête foraine[37] n’en est que l’indice. Cette fête représente le paroxysme du jeu, du ludique et de la gratuité, elle est à l’inverse de l’ambition sociale figurée par le cadre stricte et réclusif de la pension. L’inaction est le symptôme d’un Désir qui s’insinue en l’intériorité tout entière de Jean.

“Ils savouraient en silence leur lassitude délicieuse. Ils voyaient la rivière et ses berges vertes à travers une arcade de vigne vierge. Leur pensée coulait insensiblement comme l’eau qu’ils regardaient. L’ombre et la fraîcheur du soir vinrent les caresser mollement. C’est alors que Jean Servien, en regardant Mme Ewans, éprouva pour la première fois la douceur de se sentir près d’une femme[38].”

L’image pansexualiste de la femme se substitue à l’ombre maternelle, comme le Désir entreprend sa quête initiatique.

Elle commence mal. Mme Ewans invite Jean à danser une polka, et lui est saisi – au sens propre comme au figuré – par le pansexualisme :

“Dès les premières mesures, Mme Ewans n’y put tenir. Elle attira Jean contre elle, lui arrangea les bras dans les siens et, d’un coup de hanche l’élevant de terre, se mit à danser avec lui. Elle se balançait au rythme de la musique, mais lui, gauche et troublé, ne s’enlevait pas ; il la retardait et la heurtait. Elle se détacha brusquement de lui et dit avec une impatience sèche : « Vous ne savez donc pas danser ! Viens, Edgar. »[39]

De fait, nous assistons ici à l’effondrement du monde par le Désir, tandis que la frustration triomphe alors que la réclusion originelle de Jean n’est plus de mise. La frustration du Désir se substitue à tout l’idéal parental, dans un grand mouvement d’alternance :

“Servien, sentant son impuissance, était devenu sombre. Une colère sourde lui montait au cœur. Il souffrait, et il se sentait un besoin de haïr. […] En rentrant au logis, il s’aperçut pour la première fois d’une odeur de colle[40] qui lui sembla insupportable. La chambre où il avait longtemps dormi heureux et aimé lui parut misérable. […] Tout ce qui l’entourait lui semblait animé contre lui d’un esprit méchant et injuste[41].”

Nous voyons combien le Désir rend le monde réflexif, et combien la révolte du Désir est intimement liée à l’intériorité profonde des personnages franciens. Lorsque Jean Servien entreprend sa propre quête du Désir, le monde entier est ébranlé et effondré sur lui-même, et la honte qu’il ressent pour son père n’est que la personnification de cet écroulement. Désormais, pour Jean Servien, rien ne comptera plus que la recherche du cœur des choses, recherche diamétralement opposée au besoin forcené d’ascension sociale caressé avec tellement de ferveur par ses parents[42].

Mme Ewans est donc une femme concentrant toutes les frustrations de Jean : c’est une figure maternelle autant que féminine, mais simplement, Jean prend conscience qu’on n’a qu’une mère, et que la sienne n’est pas Mme Ewans ­– et ne le sera jamais. Sa frustration le pousse donc à une révolte ontologique contre sa condition sociale, mais celle-ci n’est qu’un épiphénomène du Désir et ne le pousse pas à aller à l’encontre de cet effondrement, afin de se hisser positivement jusqu’aux hautes sphères sociales. Nous arrivons donc à une autre alternance, à un autre mode de la quête :

“A compter de la journée de Saint-Cloud, Jean se crut malheureux et il le devint en effet. Il s’efforça d’être insoumis ; il était fier de rompre la discipline et de mépriser les châtiments[43].”

Ainsi, Jean est un très bon latiniste, ce qui ne l’empêche pas, malgré son savoir, de trahir le Désir parental. Il prend plus ou moins la route de Tudesco. Cependant, son Désir reste impérieux :

“Il allait, les jours de congé, sur les boulevards et il contemplait avidement, à travers les glaces des boutiques, les bijoux, les étoffes, les bronzes, les photographies de femmes, les mille choses dont les caprices frivoles lui semblaient les formes nécessaires du bonheur[44].”

Dès lors, Jean Servien est hanté par le jeu des passions. Il passe certes son baccalauréat, avec une intelligence remarquable due à une imagination des plus vives – cette imagination est l’un des traits fondamentaux du Désir, puisque celui-ci remplace les zones d’ombre et les frustrations du monde par des mythes. Mais ceci ne l’empêche pas de fréquenter le théâtre comme s’il répondait inconsciemment au Désir prophétique de Clothilde, pour qui les femmes du monde les plus parfaites sont les comédiennes du Gymnase. Le monde du théâtre est celui du leurre, de l’artifice et surtout de l’exaltation des passions[45]. C’est une mise en abyme réflexive du Désir de Jean[46] :

“Il ne connaissait encore les spectacles que par les affiches. Il choisit, pour cette soirée, un grand théâtre où on jouait une tragédie. Il prit son billet de parterre[47] avec l’espoir confus d’entrer dans un monde de passions et de voluptés. Tout est trouble aux âmes troublées[48].”

Nous ne reviendrons pas sur la rencontre de Jean avec Gabrielle T »’, que nous avons déjà étudiée[49]. Nous avons vu que Jean n’arrivait en rien à la posséder, et que sa quête du logos restait lettre morte :

“Il devinait que son baiser n’avait pas mis de frisson dans cette chair, et qu’il n’avait pas su mordre sur cette créature. […] Il avait perdu jusqu’à l’avantage d’être inconnu d’elle. Bien qu’il n’eût point d’orgueil, il rejeta sur le sort les insuffisances de sa nature. Ainsi donc, songeait-il, il était pauvre et n’avait pas le droit d’aimer[50].”

C’est dire combien la frustration des parents de Jean fusionne avec sa propre frustration. Jean Servien vit dans un monde fatalement écroulé sur lui-même. Cet effondrement est doublement douloureux, puisque son Désir s’étant détaché du Désir de ses parents, sa propre frustration s’ajoute à la leur, comme un monstre bicéphale. Jean est donc bien fatalement un héros de la réclusion : “Quel Dieu inepte et féroce avait muré dans la pauvreté son âme pleine de désirs ?[51].

Pourtant, Jean Servien prend conscience que sa frustration n’est pas issue de son statut social, mais bien d’autre chose. D’où une nouvelle alternance. Garneret, jeune ouvrier amoureux en passe de se marier, le lui apprend :

“Servien comprenait mal cette nature de bon ouvrier, pour laquelle le monde est une immense usine où on travaille habit bas, les manches retroussées, la sueur au front et une chanson aux lèvres. Il concevait encore moins un amour qui n’était pas né dans les prestiges du théâtre ou dans les somptuosités de la vie oisive[52]. Mais il sentait à tout cela un grand sens et une véritable force[53], et, comme il avait besoin de confident, il raconta ses amours à Garneret, avec l’accent d’un amer désespoir et un secret orgueil d’éprouver des douleurs distinguées[54].”

Il n’y a pas de Désir élitiste et l’idéal de ses parents se plaque sur le Désir réel de Jean. Il est lui-même idéalisé, ce qui est un non-sens absolu, puisque le Désir est intimement lié à la réalité charnelle de celui qui désire, et qu’il ne saurait en aucun cas devenir dogmatique au risque de se fondre dans le néant de la frustration. Jean avoue à Garneret qu’il se meurt d’amour pour une femme qu’il ne connaît même pas et cette dernière acquiert donc le statut de mythe, cristallisant par là même toutes les frustrations de Servien – et de ses parents – depuis qu’il est enfant. Gabrielle devient l’incarnation de la frustration. Or, on ne peut désirer un mythe sans se heurter à l’aporie absurde d’un Désir qui se désire lui-même et sans objet.

Cela explique par ailleurs relativement bien l’obsession handicapante de Jean. Lorsqu’il évoque son Désir pour Gabrielle, il ne dit mot de la femme qu’il désire, il ne parle que de la teneur même de ce Désir sans objet : “Il parla d’influences mystérieuses, d’affinités, d’effluves et de divine essence[55].” Garneret prouve à Jean qu’il est absurde d’idéaliser une femme ou un Désir, dans le sens où une femme est l’inverse d’un mythe. Elle est très « concrète », et si son essence est de ne pas correspondre à l’intériorité profonde de celui qui la désire, il est absurde de vouloir se lier à elle, comme il est absurde de ne désirer que le mythe qu’elle représente. Le cœur des choses ne peut être accessible qu’au prix d’un accord profond, ainsi que l’illustre la métaphore de Garneret : s’il essayait une douzaine de violons, il n’en tirerait que des sons infects. Si Paganini[56] passe après lui, il trouvera l’harmonie avec le bon violon[57]. Il explique ainsi à Jean Servien que pour sortir de sa réclusion, ce dernier doit oublier Gabrielle T »’[58], et négliger aussi son origine sociale qui n’entre pas en cause dans les questions concernant le Désir. Servien prend alors conscience de l’absurdité de son Désir, d’une manière évidemment révoltée, mais qui inaugure une nouvelle alternance :

“Eh bien ! s’écria Jean Servien, je t’ai dit que je l’aimais. Ce n’est pas vrai. Je la hais ! Je la hais pour tous les tourments qu’elle m’a donnés, je la hais parce qu’elle est belle et qu’on l’aime. Et je hais toutes les femmes parce que toutes aiment, et que ce n’est pas moi ![59].”

Cette manière d’appréhender le Désir démontre à quel point l’univers de Jean Servien est effondré sur lui-même. Mais notre personnage a-t-il eu, jusqu’à présent, la possibilité d’entrevoir l’horizon dans ce système d’érotogenèse qui lui est particulier, alors que depuis toujours il vit dans l’obsession de sortir de son origine modeste ? Garneret est un double libre de Servien, et qu’il ait accepté son rang social ainsi que l’objet de ses Désirs – une femme décrite comme sans dot, pas jolie, mais douce et délicate – fait de lui un sage qui a connu vraisemblablement le logos, c’est-à-dire le cœur des choses, d’où sa sérénité. Sa sagesse éclaire Servien :

“Tu n’as dans tes passions rien d’affectueux, rien de bienfaisant ni d’utile. Depuis que tu aimes Mlle T »’, as-tu jamais pensé un seul moment à lui épargner une peine? As-tu rêvé de te sacrifier pour elle ? S’est-il glissé quelque chose d’humain dans ton amour ? Y sent-on la force ou la bonté ? Non. Eh bien ! lorsqu’on est de pauvres diables comme nous et qu’on a tout à conquérir dans la vie, il faut être courageux et bon[60].”

Le Désir ne peut s’assouvir dans sa propre révolte et ne peut non plus exister dans la soif de se venger de soi-même. La quête du logos reste la quête de la connaissance d’un noûs, elle ne peut en rien prétendre à une vile tabula rasa de ce qu’on est en essence. Pour l’heure, le Désir de Jean n’est synonyme que de la conscience ontologique de sa réclusion, et c’est cette propre terreur de l’enfermement qui motive sa révolte stérile. L’objet Gabrielle T »’ une fois oublié, le Désir de Servien devrait pouvoir se réorienter dans un nouvel épisode d’alternance. Cependant, la réclusion reste comme une fatalité. Jean rencontre une ouvrière, au hasard d’une promenade nocturne, et la dédaigne. Celle-ci est pourtant une incarnation du pansexualisme, une incarnation de la béance[61] :

“Quelque chose de doux, qu’il ne sentit pas tout d’abord, le touchait et le pressait. Il se retourna et vit une ouvrière en petit chapeau noir, à rubans bleus. Elle était jeune et assez jolie. Il songeait aux grâces terribles et surhumaines d’une Electre ou d’une Lady Macbeth[62]. […] Il s’en alla avec ses visions sous les vieux arbres de l’avenue. Après deux tours de promenade, il vit la petite ouvrière au bras d’un beau garçon, habillé à la mode, avec une grosse chaîne de montre. Ce garçon lui prenait la taille dans l’ombre ; elle riait. Alors Jean Servien eu regret de l’avoir dédaignée[63].”

Ce dédain projette notre personnage dans une autre alternance, qui va cette fois être une véritable hyperbole de la dégradation. Non seulement le monde va s’effondrer encore plus autour de lui, mais de plus, lui-même va se désagréger.

Notre héros échoue à son examen pour l’admission au ministère des Finances. Il n’est donc digne ni de ses propres désirs, ni de ceux de ses parents. A courir deux lièvres à la fois, il n’en attrape aucun et sombre dans une révolte haineuse et violente, sans objet. C’est cette révolte qui reste le fil directeur de Servien dans tous ces épisodes en alternance. Elle peut être d’une puissance aveugle :

“Jean tout rouge, enflammé de haine et de colère, les yeux fixes, la gorge sèche, les dents serrées, incapable de dire un mot, se retourna tout d’une pièce et fit claquer la porte avec un bruit de tonnerre[64].”

Et pourtant, le mythe de Gabrielle T »’ continue de faire partie de l’intériorité profonde de Jean Servien, ce qui motive cette révolte ininterrompue. Lorsqu’il est pion – son père pense naïvement que cette place peut permettre à son fils de devenir un jour professeur d’Université –, il monte une pièce de théâtre avec ses élèves, mais le fantôme de Gabrielle plane sur sa mise en scène. Jean veut briller pour elle[65], alors qu’elle ignore dans la « réalité » jusqu’à son existence et qu’elle l’a oublié depuis longtemps. La mère de Jean, qui lui parlait lorsqu’il était bébé des actrices du Gymnase, est un sceau insurmontable inscrit à jamais dans sa chair. Cette réclusion fatale incarnée dans le mythe de Gabrielle reste le malheur de Servien. Le collège est lui-même une mise en abyme réflexive de sa réclusion, preuve que malgré l’alternance des épisodes, le monde reste écroulé sur Servien. “Les murs suintaient et on voyait, derrière le grillage des fenêtres, une pluie fine tomber du ciel gris[66].” Le thème de la grille reste omniprésent. Dans cet effondrement, la figure de Gabrielle se dresse, impérieuse et frustrante, comme l’indice d’un pansexualisme mouché par la destinée. Pendant une étude, un soir obscur, Jean connaît l’érosion d’une fusion mensongère au cœur des choses effectuée dans une solitude ontologique sans bornes :

“Alors le sang lui monta aux joues. La femme qui était pour lui l’unique incarnation de tout l’éternel féminin lui apparut avec une netteté prodigieuse ; un douloureux frisson de volupté hérissa tous les poils de sa chair, ses ongles entraient dans la paume de ses mains, et ce qu’il voyait lui causait des souffrances indicibles, des souffrances délicieuses : c’était Gabrielle en peignoir devant les fleurs et les cristaux d’une table élégante et petite. Il voyait nettement et fouillait des yeux tous les plis de la molle étoffe que soulevait à la gorge le souffle de la jeune femme[67]. Son visage, son cou, ses mains animées avaient un éclat extraordinaire et pourtant si naturel que le désir s’en exhalait comme de la réalité même. Le magnifique tissu des lèvres, pleines comme un fruit mûr, et le beau grain de la peau étalaient ces trésors pour lesquels on risque la mort et le crime[68].”

Cette émanation hallucinée de la frustration de Jean fait irruption dans le monde, l’emplit et écarte les murs de la réclusion dans une intense expansion universelle et fait bien penser au logos. Pourtant, c’est la frustration qui motive ce logos, et non le Désir assouvi. L’hallucination est le symptôme d’une frustration tellement prégnante qu’elle devient palpable, visible, et pour ainsi dire vécue.

Cet épisode ne décrit en fait la fusion avec rien d’autre qu’une figure mythique, la Gabrielle vue par Jean n’est rien qu’une image, une représentation, une construction du Désir frustré de Jean. C’est dire comme ce cœur des choses est un logos de pacotille, un paroxysme du leurre ontologique confinant à l’hystérie[69]. Le Désir joue encore à ne posséder que lui-même.

“C’était la tragédienne enfin vue par les deux yeux qui de tous les yeux du monde avaient su le mieux la voir[70]. Elle n’était pas seule : un homme la regardait dans les prunelles en lui versant à boire. Ils se penchaient l’un vers l’autre. Jean retenait ses sanglots[71].”

Cet homme est l’émanation même de la frustration et prouve que le cœur des choses n’est en rien atteint ici. Gabrielle devient un véritable objet de culte, ce qui est une hérésie dans un processus érotogénétique[72] puisque le culte est détaché de toute réalité charnelle. Dès lors, le mythe s’est substitué irrémédiablement au Désir, et pour ainsi dire, parallèlement, à toute avancée sociale. Jean Servien n’existe plus, il est enterré dans le monde abattu sur lui.

Lorsque Jean Servien revient sur les quais de la Seine, lieu qu’il fréquentait lorsqu’il était petit, il est toujours reclus et sa quête du Désir n’a pas évolué. Il est l’un des rares personnages franciens à rester stable, dans son état originel, et cette stabilité le fait paradoxalement fondre dans la désagrégation : “L’enfant devenu homme a été blessé par la vie, tandis qu’il poursuivait des ombres”, lui disent symboliquement – par réflexivité – les eaux de la Seine. Jean Servien est jeté hors du collège après un scandale causé par la visite impromptue de Tudesco, ce qui ne fait qu’attiser encore un peu plus sa frustration. Cette frustration aime à créer des images de femmes mythiques qui n’existent en rien, parachevant ce leurre malsain qui caractérise Servien malgré lui :

“Ce fut bientôt un désordre sublime dans lequel flottaient Ophélie[73] et Cassandre[74], Marguerite[75], Délie[76], Phèdre[77], Manon[78] et Virginie[79] et, au milieu d’elles, des ombres sans nom encore, presque sans forme et pourtant séduisantes ! […] Et Jean les entendait qui lui disaient : « Si nous existons jamais, nous existerons par toi. Et quel bonheur ce sera pour toi, Jean Servien, de nous avoir créées. Comme tu nous aimeras ! » Jean leur répondait : « Revenez, revenez, ou plutôt ne me quittez pas. Mais je ne sais comment vous rendre plus visibles ; vous vous effacez dès que je vous contemple, et je ne puis vous prendre dans le filet des beaux vers ![80].”

Nous sommes encore en présence d’une thématique des masques qui caractérise chez Anatole France les figures féminines liées au mythe des comédiennes ou des actrices[81]. Toutes ces figures pansexualistes ne sont que des formes vides, des rôles, sous lesquelles Gabrielle se tient sans pourtant apparaître, puisqu’elle est évidemment absente en essence de tout ce délire de Jean. Le jeune homme recherche toujours une image éternelle de la féminité comme s’il était marqué à jamais par la disparition prématurée de sa mère. Pour lui en effet, les femmes sont interchangeables, elles gravitent toujours sous leur forme polymorphe autour de l’unique Gabrielle T »’, elle-même l’idéal féminin de Clothilde. Les Désirs de Jean Servien est une œuvre désespérée, où chaque épisode de la vie de Jean, en alternance avec d’autres, n’est qu’une variation sans succès pour sortir de la réclusion originelle. Sa mère et son père sont une véritable malédiction.

Lorsque Servien devient soldat[82] avec Garneret, il paraît sauvé de l’image de Gabrielle :

“Garneret était, par bonheur, son compagnon de garde, et Servien subissait l’influence de cette pensée ordonnée et riche, soumise au devoir et à la réalité. Cela seul le sauvait d’un amour sans passé comme sans espoir qui prenait la fixité dangereuse d’une maladie mentale[83].”

Il cesse de la chercher. Cette dernière réapparaît bien évidemment de manière impromptue, courtisée par M. Bargemont, un républicain modéré harcelé par les communards. Jean s’évanouit sous le choc et le pire est que Gabrielle ne le reconnaît pas. Elle le soigne par devoir, étant devenue infirmière pendant la guerre car les théâtres sont fermés. Et logiquement, Jean Servien redevient la proie du Désir et de la frustration, une nouvelle alternance a lieu :

“Il rouvrit les yeux, la vit, poussa le plus grand soupir d’amour qui soit jamais sorti d’une poitrine humaine et sentit ses paupières retomber doucement. Il ne se rappelait rien ; seulement elle était penchée sur lui, et elle l’avait caressé de son souffle. Elle lui mouillait les tempes, et il se sentait renaître, délicieusement[84].”

On reconnaît là une mise en abyme de la prime enfance de Servien, lorsqu’il était bercé par sa mère. Le cynisme d’Anatole France est acéré. Dans cette optique, le fait que Gabrielle est la maîtresse de Bargemont, ce gros homme tiède et ridicule, précipite Servien dans les confins de la révolte désagrégative, et le monde lui-même s’effondre encore davantage sur lui-même.

“C’était pour Jean Servien la plus horrible torture et la plus inattendue. Il avait de la haine et du mépris pour ce gros homme dont il connaissait la fausse bonhomie, la brutalité, la sottise et la platitude. Cette face couperosée, ces yeux hors de la tête, ce front traversé par une veine bleu noir, cette main lourde, cette âme louche et vulgaire, était-ce donc là… Oh ! quel dégoût de le penser ! Le dégoût, voilà ce que la nature délicate de Servien ressentait le plus péniblement. […] Ne jamais posséder la plus désirable des femmes, ne plus la revoir, il le voulait bien encore, mais la savoir dans les bras de cette lourde brute, c’est ce qui lui rendait impossibles la pensée et la vie[85].”

Dès lors, Jean Servien se retrouve dans une cave, à attendre la fin des bombardements avec son père dans un insupportable huis-clos qui reste également une mise en abyme de sa réclusion la plus absolue. La désagrégation et l’écroulement du monde ne sont pas un vain mot, puisqu’ici, ils sont littéraux : “A ce moment, une formidable explosion secoua les pierres de taille et remplit la cave de poussière[86].” Servien s’endort comme sous le joug d’une érosion définitive de son intériorité. On remarquera la ponctuation qui clôt le chapitre XXVIII du roman, page 416. Elle ressemble à celle mise en œuvre dans Thaïs[87] lorsque Paphnuce tombe frappé par la foudre. Cette suite de points matérialisant le silence absolu, le néant, est propre aux héros dont la quête du Désir est vouée à l’échec. Dans Les Désirs de Jean Servien, il s’agit de la seule mise entre parenthèses du monde, Jean Servien ne connaît pas le cœur des choses, il ne connaît que la fusion avec le néant.

La désagrégation se poursuit avec la méningite de notre héros. Elle parachève sa destinée. Lorsque Servien est dans le coma, il continue de délirer – à voix haute – sur Gabrielle, signe que son Désir est fermement inscrit au cœur de sa réalité charnelle, bien en-deçà de toute rationalité. Or, son père regrette à présent d’avoir obligé son fils à faire des études car selon lui, elles l’ont amené à avoir des pensées exaltées. Nous sommes là au comble de l’absurde, puisque le regret du père est une manière de rendre gratuite toute la souffrance de son fils, comme toute sa destinée.

Lorsque Servien est convalescent, il n’a plus en tête que le visage de Gabrielle penché sur lui, il poursuit son hystérie monomaniaque. De plus, Tudesco est devenu ingénieur et colonel, ce qui là aussi est le comble de l’absurdité. Le monde s’est métamorphosé tandis que Jean en est resté à son point de départ. Il est inutile de préciser qu’en fait, il a tout raté. Tudesco résume bien la situation, sans le savoir :

“Vous êtes jeune et amoureux. Il y a deux génies qui soufflent tour à tour leurs inspirations irrésistibles à l’oreille des humains : l’Amour et l’Ambition. L’Amour parle le premier : et vous l’écoutez encore mon jeune ami[88].”

Le fruit de cette rencontre est absurde. D’une part, Bargemont est arrêté par les autorités, ce qui ruine dans une certaine mesure la vie de Gabrielle T »’ de manière purement gratuite. D’autre part, Jean Servien lui-même est arrêté pour avoir soi-disant voulu tuer le colonel, alors que celui-ci est en proie à une crise de delirium tremens après avoir vidé des bouteilles de Cognac. On constate que la destinée recluse de Servien se termine par une arrestation, ce qui est cyniquement logique.

Que restera-t-il de l’intériorité de Jean Servien, hormis une haine féroce contre Tudesco et un amour transi pour un fantôme ? Pourtant, cet amour est-il tellement révolté, lorsque Servien croupit au fond de sa cellule[89], enveloppé par le monde d’une manière définitive préfigurant la mort ? Jean semble au contraire avoir acquis une certaine sérénité, propre finalement à ceux dont le Désir est une fois pour toutes tu et sans objet :

“Il songeait tous les jours, il songeait toutes les heures à Gabrielle ; mais comme il sentait pour elle un amour nouveau ! C’était une pensée tranquille et tendre, un sentiment désintéressé, un rêve plein de douceur. C’était un songe merveilleusement délicat, comme la solitude et le malheur en forment seuls dans les âmes qu’elles arrachent aux rudesses de la vie commune : l’idée d’une belle vie pleine d’ombre, vouée tout entière, sans salaire ni retour, à la femme aimée de loin, comme la vie du bon curé de campagne est vouée au Dieu qui ne descend point du tabernacle[90].”

Ce Désir désespéré, c’est-à-dire sans plus d’espoir, conclut la quête initiatique de Jean Servien, ce qui est troublant, puisqu’une certaine sérénité du néant en émane : c’est malgré tout logique, puisque Jean Servien n’a pas existé. A l’heure où les fusils sont braqués sur lui, l’infecte allégorie de la république communarde mourante sous les traits d’une grosse cantinière vulgaire, braillarde et haineuse, glisse sur Jean Servien comme si celui-ci n’existait plus depuis toujours. Tudesco, sur la fin de sa vie, fait partie de cette république grossière, violente et caricaturale, il finira vraisemblablement avec elle, et c’est lui malgré tout qui a décidé du sort de Servien. Lui-même est voué au néant, tout comme Gabrielle pour qui Jean n’occupa que quelques heures de sa vie. Le monde des Désirs de Jean Servien finit non dans la fragmentation ou l’éparpillement, mais dans le rien, il est totalement effondré sur lui-même jusqu’au néant. L’allégorie de la république communarde danse sur le cadavre de Jean avec obscénité, peut-être même avant de se faire tuer elle-même par les fédérés, tandis que notre personnage gît, une balle dans la tête, dans la boue, une expression libérée sur le visage. Il est en fait vraisemblable que Jean Servien est mort le jour où sa mère est morte elle-même.

Nous le voyons, les héros de l’échec sont, chez Anatole France, pour une grande part des héros n’ayant pu trouver la béance, la brèche salvatrice leur permettant de dépasser leur réclusion originelle, afin de connaître la fusion avec le cœur des choses. Ils restent enserrés dans un monde effondré autour d’eux, parfois même désagrégé, et ils ne tardent pas à être eux-mêmes partie intégrante de cette sombre hyperbole de la dégradation. Leur érotogenèse est restée lettre morte et le sens de leur existence est resté absurde ou pire, inconnu, tout comme le monde.

Cependant, il est également des héros franciens au statut intermédiaire. Ceux-ci peuvent sortir de leur réclusion, peuvent parvenir au cœur des choses, mais sont incapables de trouver d’autre sagesse que celle de l’inertie.

 


[1] Voir Anatole France, Thaïs, Pléiade, tome I, p.854-859.

[2] Anatole France, Thaïs, Pléiade, tome I, p.857.

[3] Ce n’est pas le cas dans l’œuvre très particulière Les Désirs de Jean Servien. Nous allons y revenir.

[4] Voir aussi supra, II.3.3.b, p.353.

[5] Anatole France, Les Dieux ont soif, Pléiade, tome IV, p.616.

[6] Voir Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.617.

[7] Evidemment, métaphoriquement, ce lien est coextensif à la réclusion.

[8] Anatole France, Les Dieux ont soif, idem.

[9] Voir glossaire. Voir infra, III.2.2, p.467.

[10] Elle détruit ainsi la dernière vision de Gamelin : elle se libère par là même comme le monde connaît une nouvelle et dernière expansion, préludant au logos.

[11] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.624.

[12] Voir supra, II.3.3, p.335.

[13] Une étude de ces deux œuvres (qui ont neuf ans d’écart) sous cet angleserait sans doute particulièrement intéressante à mener.

[14] Voir La Rôtisserie de la reine Pédauque, Pléiade, tome II.

[15] Voir « L’Humaine Tragédie », Le Puits de sainte Claire, Pléiade, tome II.

[16] Voir Les Désirs de Jean Servien, Pléiade, tome I.

[17]C’est assurément une autobiographie transposée.”, Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome I, p.1184.

[18] Gabriel est le nom d’un ange. Cela illustre subversivement le fait que le destin de la jeune fille reste hermétique au destin de Jean Servien : la mythification qu’il va en faire n’est issue que de lui seul.

[19] Ce nom est plus ou moins une anagramme de studeo, qui signifie en latin rechercher, étudier ou encore… désirer.

[20] Nous voyons que dans sa forme, Les Désirs de Jean Servien est presque une tragédie. Le protagoniste est en effet prédéterminé par une fatalité qui ne le lâchera plus et qui présidera à sa destinée entière, jusqu’à la fin.

[21] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, Pléiade, tome I, p.338.

[22] Cette problématique recoupe celle mise en œuvre – plus tard – par Anatole France dans « L’œuf rouge ». Voir supra, II.3.1.b, p.295.

[23] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[24] Il ne serait pas faux de voir en ce relieur une transposition du père d’Anatole France.

[25] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.339.

[26] Le Désir de Jean pour les femmes est lui-même ambigu, puisqu’il apparaît alors que Jean est encore un tout jeune enfant ; lors d’une promenade dans les faubourgs, Jean Servien âgé de sept ans est attiré par une grande dame : “Comme elle sent bon, la dame !” (in Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.340.) Cette femme correspond à la description que dressait Clothilde des grandes dames à Jean, y compris des actrices du Gymnase.

[27] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.343.

[28] C’est là exactement la définition du rêve de Clothilde pour Jean.

[29]Par Bacchus !

[30] La mère de Jean Servien se serait – inconsciemment – servi de son fils pour vivre par procuration une vie de bourgeoise, afin de se sortir de sa vie d’ouvrière. Quoi qu’il en soit, Jean aurait été asservi par le regard de sa mère, et cet asservissement est relayé par la frustration de son père. On comprend alors vraisemblablement mieux le nom de Servien – qui fut certes le nom de l’un des riches intendants de Richelieu, dévoué aux tâches guerrières, mais qui ici, en l’occurrence, tire ses racines du latin servus, qui signifie esclave.

[31]Mon cher garçon.

[32] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.344.

[33] Cela éclaire le titre de l’œuvre, Les Désirs (au pluriel) de Jean Servien.

[34] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.350-351.

[35] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.352.

[36] Ce décalage entre une femme précieuse et belle et son amant qu’on imagine rural et grossier est particulièrement pernicieux sous la plume d’Anatole France.

[37] Voir Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.354-356.

[38] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.356-357.

[39] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.357.

[40] Il s’agit évidemment de la colle à reliures utilisée par son père.

[41] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[42] C’est un peu ce que ressentait Anatole France, de manière certes transposée, lorsqu’il menait ses études au lycée Stanislas.

[43] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.359.

[44] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[45] Ce thème est également nervalien, puisqu’il est présent également dans Octavie.

[46] Nous ne reviendrons pas sur ce thème fondamental dans l’œuvre francienne, ni sur le thème coextensif de la comédienne. Nous l’avons vu lorsque nous avons étudié Thaïs et Histoire comique.

[47] Le parterre au théâtre est l’endroit où les places sont les moins onéreuses, à l’inverse du poulailler, qui représente symboliquement dans les théâtres à l’Italienne le paradis, et où seules les personnes les plus fortunées peuvent prendre place. Même au sein de l’endroit fantasmatique par excellence qu’est le théâtre, Jean Servien garde donc la trace de son origine sociale comme une fatalité.

[48] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.360.

[49] Voir supra, II.3.3.b, p.353.

[50] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.386.

[51] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[52] Cela prouve que l’épisode Ewans a laissé des stigmates de frustration insurmontables pour Jean Servien.

[53] Cela préfigure l’alternance à venir, et peut-être cela lui laisse-t-il entrevoir la possibilité de connaître le logos.

[54] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.388.

[55] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[56] Niccolò Paganini (1782-1840), compositeur et violoniste italien, passe pour être l’inventeur du type du violoniste virtuose romantique à l’inimaginable prouesse technique.

[57]Paganini passe après moi ; il explore d’un seul coup d’archet les plus secrètes profondeurs de ces boîtes harmonieuses : le premier violon est sourd, le deuxième aigre, le troisième presque muet, le quatrième enroué, cinq autres n’ont ni force ni justesse, mais le douzième rend sous l’archet du maître des sons suaves et puissants. Paganini reconnaît un stradivarius ; il l’emporte ; il le garde en jaloux ; il tire de cet instrument, qui aurait toujours été pour moi un sabot sonore, des notes qui font pleurer, qui font aimer et qui donnent l’extase ; il fait un testament pour qu’on enferme son violon avec lui dans le cercueil. Paganini, c’est l’amant, la machine à table d’harmonie, c’est la femme. […] Il faut surtout qu’elle tombe aux mains d’un exécutant habile.”, in Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.389.

[58]Tu n’as pas la prétention d’étonner T »’ par des munificences de bon goût. Ton père te donne cent sous par semaine ; c’est beaucoup pour un relieur, mais c’est peu pour une femme dont les robes coûtent de cinq cents à trois mille francs chaque. Et, comme tu n’es ni directeur de théâtre pour signer des engagements, ni auteur dramatique pour donner des rôles, ni journaliste pour faire des articles, ni commis de nouveautés pour profiter d’un caprice dans les hasards de la livraison à domicile, je ne vois pas du tout comment tu pourras te faire aimer et je trouve que ta tragédienne a eu bien raison de te fermer la grille au nez.”, in Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.390. On reconnaît encore la thématique de la grille et donc de la réclusion.

[59] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.390.

[60] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[61] Voir infra, III.2.2, p.467.

[62] C’est là toute l’erreur de Servien, qui continue à s’enferrer dans le mythe semé par sa mère.

[63] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.393.

[64] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, p.394.

[65]Jean Servien souriait au fantôme, visible pour lui seul, de Gabrielle, son inspiratrice.In Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.398.

[66] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.399.

[67] On pensera ici au songe de Paphnuce dans Thaïs.

[68] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.400.

[69] Nous avons là encore un exemple de l’inconscient tel que la définit Anatole France. Voir supra, II.3.1, p.289.

[70] La même la phrase se désagrège au travers d’une syntaxe complexe et hachée.

[71] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[72] Voir Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, chapitre XXIV, ibid., p.402.

[73] Ophélie est le nom de la femme dont Hamlet est amoureux dans la tragédie de Shakespeare.

[74] Cassandre est à interpréter comme le caractère de la comedia dell’arte, ou encore comme l’héroïne de l’Agamemnon d’Eschyle.

[75] Marguerite est l’une des principales héroïnes du Faust de Goethe.

[76] Délie est l’héroïne du premier cycle amoureux de la Renaissance française, créée par Maurice Scève (1500-1560.) Nous ne savons pas si Délie a été adapté pour le théâtre. Ce thème revient pourtant à la mode au XIXe siècle, après une longue période d’oubli, sous la plume de Mallarmé et de Valéry.

[77] Nous ne reviendrons pas sur la tragédie de Racine dont Phèdre est l’héroïne éponyme.

[78] Personnage de l’opéra de Massenet (1884), d’après le fameux roman de l’Abbé Prévost Manon Lescaut.

[79] Héroïne du roman bien connu de Bernardin de Saint Pierre Paul et Virginie.

[80] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.408.

[81] Voir notre étude d’Histoire comique.

[82] Il s’agit de la guerre de 1870 contre la Prusse.

[83] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.411.

[84] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.413-414.

[85] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.414-415.

[86] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.416.

[87] Voir Anatole France, Thaïs, Pléiade, tome I, p.851.

[88] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, Pléiade, tome I, p.420. Ici encore, Anatole France fait allusion aux principes de la tragédie, où la fatalité est personnifiée dans des dieux cruels qui parachèvent la destinée des héros malheureux.

[89] Le parallèle entre Servien et Paphnuce est parfois troublant. Les héros de l’échec francien ont bien des similitudes.

[90] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.425.

 

Précédent – III.2.1.b – Suivant >

image_pdfimage_print