II.3.3.b) Principe féminoïde et morale du Désir

II.3.3.b) Principe féminoïde et morale du Désir

 

Peut-on ainsi dire que toute femme est, chez Anatole France, non une Enoia-Hélène, mais une Thaïs qui s’ignore[1] ? En effet, l’imaginaire francien recourt sans faille au pansexualisme, avec des variantes d’une œuvre à l’autre. Nous allons tenter de voir que les invariants de ce pansexualisme caractérisent le monde francien comme la morale qui en découle.

Par exemple, Jean Servien lorsqu’il a dix-huit ans et qu’il est reçu bachelier[2], court au théâtre voir une tragédie, avec “l’espoir confus d’entrer dans un monde de passions et de voluptés[3].” Le théâtre, cette mise en abyme du monde, est un thème francien très souvent rencontré, et fortement connexe aux femmes[4]. Or, lorsqu’il regarde la tragédie, Jean Servien ne voit pas la pièce. Dans l’obscurité de la salle, il ne scrute fasciné que la comédienne qui est sous son costume, de manière bien évidemment allégorique.

“Il sentit en la voyant une joie inconnue qui peu à peu devint aiguë et presque douloureuse. La succession des scènes amena sur le théâtre une confidente, puis un héros, puis des comparses. Mais il ne voyait que la première apparition[5]. Ses regards s’attachaient avidement à elle ; ils caressaient les deux bras nus, autour desquels jouaient des anneaux ; ils glissaient le long de la hanche, sous la haute ceinture ; ils plongeaient dans les cheveux bruns, ondulés sur le front et liés au chignon par trois bandelettes blanches ; ils se pressaient contre cette bouche qui remuait et contre les dents humides que, par moments, un reflet de la rampe faisait étinceler. Il voulait sentir, prendre, retenir cette chose belle et vivante qui lui était offerte en spectacle ; il l’enveloppait, l’étreignait des yeux[6].”

Le Désir est souvent, chez Anatole France, affaire de regard[7]. Sous son ordre impérieux, il se fait pénétrant, d’une acuité presque surnaturelle. Il sonde un avant-goût du logos. Pourtant, il butte sur le corps et son altérité.

Ainsi, le Désir provoque toujours une période d’obsession de la femme désirée. Jean Servien ne fait pas exception à la règle :

“En sortant, le premier souffle d’air frais qui lui frappa le visage dissipa son ivresse. Il se remit à sentir et à penser[8]. Mais il ne pensait qu’à la tragédienne et ne voyait distinctement que l’image de cette femme. Cette obsession dans les rues noires lui était douce, et il fit de longs détours par les quais pour prolonger son rêve, emportant de volupté autant et plus qu’il n’en pouvait contenir[9].”

Gabrielle T »’ – c’est le nom de l’actrice – est finalement désirée de la même manière que Paphnuce désire Thaïs, et ne reste au début qu’une obsession qui va entièrement habiter Jean Servien. Cette obsession est finalement une première tentative de fusion avec l’Autre, puisque dans cette perspective, l’altérité n’existe plus : le Désir s’approprie l’Autre pour le faire sien. Cependant, Jean Servien ne désire qu’une image, qu’un souvenir, qu’un corps, qu’un idéal et n’est donc encore que tourmenté par un leurre. Néanmoins, lorsqu’il revoit Gabrielle dans un autre rôle, il en voit de nouveaux détails, guère flatteurs. Toutefois,

“à la longue, ces défauts lui furent agréables parce qu’ils étaient en elle, et il l’en aima davantage. Cette fois, par le changement qui est l’essence même de la vie et par l’imperfection qui est le caractère des êtres vivants, elle lui inspirait un intérêt sensuel et l’idée d’une chose humaine à laquelle on pouvait se prendre et se mêler[10].”

Non seulement le corps est au centre du débat, mais pour Jean Servien, le corps de Gabrielle est au centre du monde. Cette obsession illustre donc ce bouleversement ontologique qui remet l’humain au centre de l’univers, la femme obsédante dépasse l’intellect et son cortège de questions sans réponses. La femme désirée – et le Désir lui-même – se placent naturellement au centre de l’univers.

Cette phase obsessionnelle est une sorte de manifestation de l’anthropocentrisme salvateur, de recentrage universel où le monde se revêt d’une humanité signifiante et empêchant l’homme de se perdre à jamais dans un absolu dont il l’ignore tout. Cet anthropocentrisme salvateur est donc une constante du pansexualisme. L’obsession de l’être désiré remplit le monde de sens – dans toute la polysémie du terme – et se substitue de manière innée, sans transition, au désert universel dans lequel l’homme existe sinon.

Cette constante francienne est par ailleurs fondamentale, car rien d’autre que la femme ne peut offrir cette aménité de manière aussi directe[11]. Ainsi, la vie de Jean Servien devient guidée par son Désir – comme n’exprime pas tout à fait le titre même du roman. Gabrielle devient l’unique finitude de son existence. De manière idéale – et nous n’en sommes encore qu’au leurre – la mort en est exclue.

Pourtant, cette période du Désir n’est effectivement inscrite que dans le leurre : Jean Servien, dans sa période d’obsession, n’en est pour l’heure qu’à une vision idéale et désincarnée du logos. Autant dire que cet impalpable objet du Désir n’offre que des reflets, que le Désir ne voit encore dans la Gabrielle inconnue que lui-même. L’ivresse de l’obsession réside dans la promesse de l’union, mais cette promesse n’est encore que projet : “Sa vie n’était plus dans la maison, elle était tout entière là-bas, près de l’inconnue, dans des régions qu’il imaginait éclatantes de poésie, de richesse et de volupté[12].” Tant que Jean reste spectateur et désire Gabrielle en secret, dans une sorte de voyeurisme, il ne peut être que désespéré, car son Désir reste inassouvi. Cette timidité[13] teintée d’idéalisme sournois est une entrave fondamentale à l’union des principes féminin et contraire, et reste donc du domaine de la faute.

Or, cette faute provient explicitement de l’éducation de Jean Servien, dont le père exige qu’il mène de brillantes études ne correspondant pas à sa sensibilité. Jean Servien est donc un frustré par nature et l’autorité parentale l’empêche de mener à bien ses désirs, de manière inconsciente – dans le sens francien du terme. Le Désir peut donc avoir, pour Anatole France, une dimension récriminatrice, car tout ce qui l’entrave est du côté du Mal. Ainsi, la réussite sociale et l’assouvissement ontologique du Désir sont très souvent incompatibles, surtout lorsque la censure paternelle fait des siennes. Par conséquent, Jean Servien dépasse ses inhibitions d’une manière peu glorieuse[14]. Sa déclaration auprès de Gabrielle est d’un ridicule fâcheux :

“ « Je vous aime et je suis malheureux. Je ne sais plus comment vivre, et je ne veux pas mourir, puisque je ne vous verrai plus. Laissez-moi près de vous quelquefois. On doit y être si bien ! » « Mais, monsieur, je ne vous connais pas, moi ![15]. »”

Dans un monde tendu par le pansexualisme, toute entrave au Désir est rédhibitoire. Servien passe donc, auprès de l’actrice, pour être

“un menu bourgeois, vivant tranquillement de peu, nourri dans l’épargne, serré, mesquin comme ces petits fournisseurs qui venaient lui demander des acomptes en geignant […] Elle ne ressentit pas pour lui l’intérêt qu’il lui eût également inspiré riche avec des bouquets et des bijoux ou pauvre et affamé à lui tirer des larmes. Il fallait l’éblouir ou l’attendrir, cette femme ! […] Il est inutile que vous reveniez me voir. D’ailleurs cela serait ridicule[16].”

Dès lors, la femme francienne est d’autant plus ambivalente que si elle détient invariablement la clef du syncrétisme pansexualiste – comme l’illustre l’état dans lequel Jean Servien se trouve, elle n’est pas nécessairement une « bonne déesse. » Lorsque Jean surprend l’apprenti de son père avec une fille malsaine et jolie, il en ressent une ontologique jalousie. Par conséquent, autant la femme francienne peut être la clef de la révélation du logos, autant elle peut s’avérer source inépuisable de frustration. Il n’est pas de la destinée de l’homme d’être tenu à l’écart du logos en restant enserré dans le monde des pires illusions possibles. La femme francienne peut donc se situer elle-même du côté du Mal, si elle est instigatrice du Désir tout en restant éternel objet d’obsession, sans céder. C’est là toute la définition de l’inédite femme fatale francienne, qui diffère catégoriquement de l’acception traditionnelle de la femme fatale.

La femme jouant avec le Désir de l’Autre l’entraîne dans la pire des souffrances par l’arme de la frustration, de manière intentionnelle ou non. Cette bipolarité de la femme francienne demeure fondamentale. Elle rend l’accès au logos et la participation de l’existence humaine à l’harmonie universelle encore plus ténue, plus rare et plus précieuse. Ceci dit, l’existence humaine devient dès lors fatalement davantage enserrée dans le Désir incoercible, mais également, en cas d’échec, dans la frustration. C’est dire combien l’illusion offerte par l’obsession est au plus haut niveau possible de la tromperie, du leurre et du Mal. Ce sera peut-être l’une des armes les plus noires des femmes fatales.

Ainsi, en résumant notre propos, les femmes créées par Anatole France peuvent jusqu’alors être classifiées selon deux « types » contraires :

D’une part, les femmes fatales, jouant de la frustration pour asseoir leur puissance ou leur orgueil coupable – que ce soit d’une manière intentionnelle ou non ; leur réalité charnelle est un barrage complet à tout accès vers le logos, et ces femmes fatales se situent du côté des valeurs négatives de la morale du Désir ;

D’autre part, les femmes que nous appellerons transcendantes, aptes à offrir une fusion profonde de l’homme avec l’univers, au travers d’un assouvissement momentané du Désir. Ces femmes transcendantes se situent du côté des valeurs positives de la morale du Désir.

Il est à noter que toutes ces femmes participent de manière indifférenciée au pansexualisme francien.

Jean Servien reste donc le jouet de la frustration, à tel point qu’il idéalise maintenant Gabrielle, l’objet de son Désir, à travers la soumission et du meurtre, ce qui est à l’inverse de toute perspective d’union : le Désir frustré devient une immense puissance de destruction, comme pour compenser l’inassouvissement provoqué par la femme fatale dont il est la victime.

“Il s’aperçut qu’il la haïssait, qu’il l’exécrait de toute la force de son intelligence, de ses muscles et de ses nerfs. Il eût voulu la déchirer, la broyer. Il ne pouvait soutenir sans fureur l’idée qu’elle se mouvait, qu’elle parlait, qu’elle riait, qu’elle vivait enfin. Il lui semblait bon du moins qu’elle souffrît, que la vie la blessât et fît saigner sa chair. Il fut content à la pensée qu’elle mourrait un jour et que rien alors ne resterait plus d’elle, rien de ses formes, rien de sa chaleur, et qu’on ne verrait plus les jeux magnifiques de la lumière dans sa chevelure, sur ses yeux et sur sa chair tantôt mate et tantôt nacrée. […] Oh ! quelles délices de plonger un poignard dans ce sein tout chaud ! oh ! la volupté de bien tenir cette femme renversée sur un genou et de lui dire entre deux coups de couteau : « Suis-je ridicule, maintenant ? »[17].”

La frustration se hisse à un statut aussi ontologique que le Désir. Lorsque nous parlerons désormais de frustration[18], nous désignerons cette instance destructrice fortement ancrée dans le pansexualisme francien, mais qui sera à l’inverse du Désir. Pour utiliser le vocabulaire de la psychanalyse, le Désir est du côté de l’Eros, de la pulsion[19] de vie, de cette impulsion qui conduit l’homme vers la quête de la lumière afin de dépasser sa réalité charnelle et de connaître et comprendre l’univers ; et la frustration est du côté du Thanatos, de la pulsion de mort, de cette impulsion qui rejette l’homme dans la conscience trop vive de la mort, du temps et de l’impuissance face à l’univers.

Par conséquent, toute démarche philosophique tendant à expliquer le monde ne peut en aucun cas entrer en concurrence avec l’attrait de la femme. Cet antagonisme est une constante primordiale de la pensée francienne, explicite par exemple dans La Rôtisserie de la reine Pédauque où Jacques Tournebroche vient de se faire expliquer par Astarac, d’une manière brillante – et grotesque – le péché originel. Le maître conclut :

“Voilà, mon fils, la véritable explication du péché originel. Elle vous enseigne votre devoir, qui est de vous tenir éloigné des femmes. Le penchant qui vous y porte est funeste. Tous les enfants qui naissent par cette voie sont imbéciles et misérables[20].”

Astarac insiste sur l’idée que le seul amour possible –excluant tout Désir, par-là même – est issu de l’union des hommes et des Génies de l’air, qui sont intelligents et beaux. De cette union naquirent toute une série fantaisiste de grands hommes, de Jules César à Merlin l’Enchanteur. Pour connaître une gentille Salamandre, il suffit de posséder une boule de verre. Alors, il en est vingt ou trente qui se proposent. La réaction de Jacques Tournebroche est inscrite dans un Désir teinté d’ironie :

“Il me restait de ce long entretien le sentiment confus d’un rêve ; l’idée de Catherine m’était plus sensible. En dépit des sublimités que je venais d’entendre, j’avais grande envie de la voir, bien que je n’eusse point soupé. Les idées du philosophe ne m’étaient point assez entrées dans le sens pour que j’imaginasse rien de dégoûtant à cette jolie fille. J’étais résolu à pousser jusqu’au bout ma bonne fortune, avant d’être en possession de quelqu’une de ces belles furies de l’air qui ne veulent point de rivales terrestres[21].”

La Rôtisserie de la reine Pédauque prouve, sur un mode ironique empreint de légèreté, qu’aucune philosophie ne peut se substituer au Désir dans la quête du logos. Cette quête est innée, elle n’est initiatique que si elle est vécue et la femme en est l’unique clef. D’ailleurs, l’image de Catherine – dont la relation avec Jacques n’est pas encore consommée – se superpose aux livres de la bibliothèque d’Astarac :

“La pensée de Catherine occupa mon esprit pendant toute la semaine qui suivit cette fâcheuse aventure. Son image brillait aux feuillets des in-folio sur lesquels je me courbais, dans la bibliothèque, à côté de mon bon maître[22].”

Chaque nouveau discours philosophique d’Astarac réveille systématiquement a contrario le Désir de Jacques, comme par un principe de vases communicants. Ainsi, lorsque Jahel apparaît, c’est par une sorte de pur hasard, comme si le Désir de Jacques s’était évaporé dans le monde et avait guidé les pas de la jeune femme vers Tournebroche, comme si le Désir était dans le monde le seul principe de causalité :

“Je glissai dans un demi-sommeil plein d’Egyptiens d’or et d’ombres lascives. Cet état incertain, pendant lequel le sens de l’amour vivait seul en moi comme un feu dans la nuit, durait depuis un temps que je ne puis dire, quand je fus réveillé par un bruit léger de pas et d’étoffes froissées. J’ouvris les yeux et poussai un grand cri[23].”

La description de Jahel est par ailleurs idéalisée et cette jeune fille ressemble elle aussi à une semi-divinité. Cependant, elle existe, elle est bien une incarnation du principe féminin de l’univers. Jacques en connaît le bouleversement ontologique :

“Une merveilleuse créature était debout devant moi, en robe de satin noir, coiffée de dentelle, brune avec des yeux bleus, les traits fermes dans une chair jeune et pure, les joues rondes et la bouche animée par un invisible baiser. Sa robe courte laissait voir des pieds petits, hardis, gais et spirituels. Elle se tenait droite, ronde, un peu ramassée dans sa perfection voluptueuse[24].”

Lorsqu’il s’unit à Jahel, il connaît cette désincarnation momentanée, ce dévoilement du logos et cet oubli ontologique : “Je la pris dans mes bras, et je la portai sur le sofa, j’y tombai avec elle, je la couvris de baisers. Je ne me connaissais plus. […] Nous nous plongeâmes dans l’abîme des délices[25].

Là encore, et malgré les apparences, c’est Jahel, femme transcendante, qui est au centre de la structure de La Rôtisserie de la reine Pédauque. Ce roman, qui commence sous la forme d’un roman initiatique[26], relate l’ascension progressive de Jacques Tournebroche dans le savoir, de l’enseignement naïf de ses parents à Coignard, en passant par le frère Ange et d’Astarac. Parallèlement, l’impétrant franchit également les étapes du Désir auprès des femmes, de l’image d’Eve dénudée dans la Bible à Catherine. Mais Jahel incarne l’aboutissement de la quête heuristique de Jacques, et cette première union peut être considérée comme le climax de La Rôtisserie de la reine Pédauque. Cependant, cette union provoquera directement le drame de la fin du roman, lorsque Jérôme Coignard, le bon maître de Jacques, sera accusé à tort par Mosaïde, oncle castrateur et possessif de Jahel, d’être le séducteur de sa nièce adorée.

La mort de Coignard[27] – ce personnage symbolise la sagesse classique et la philosophie épicurienne – est directement provoquée par l’accession de Jacques Tournebroche au savoir le plus haut que l’existence humaine puisse acquérir. Chez Anatole France, nous sommes toujours confrontés à ce principe des vases communicants ; de la fusion ontologique au logos en concurrence avec la philosophie la plus sage, c’est l’union au logos qui triomphe et la plus sage des philosophies qui s’efface. Même la philosophie la plus ancrée dans le plaisir ne peut se substituer au Désir et à son assouvissement : parler du Désir dans la sphère de la spéculation n’est pas assouvir le Désir dans la sphère de la réalité charnelle.

Jusqu’alors, nous avons vu que la relation au logos, dans l’imaginaire francien, est univoque : la femme francienne participe d’un principe universel féminoïde, tandis que l’homme assouvissant son Désir par union avec la femme fusionne avec l’univers tout entier en donnant un sens ontologique à son existence. Mais nous pourrions nous demander si ce système est réversible : la femme francienne, par l’essence même de sa féminité, et puisqu’elle participe du logos, n’est-elle pas pour autant elle-même dans la nécessité d’assouvir son propre Désir ?

La relation homme-femme n’est effectivement univoque qu’en apparence dans l’imaginaire francien. En fait, elle est plutôt réciproque. La femme n’est pas une maîtresse absolue, laissant l’homme à l’état d’esclave perpétuel. Elle peut elle-même être le jouet de son amant. Nous pouvons le constater de manière explicite en nous penchant sur le cas de la malheureuse Sophie T »’, héroïne infortunée des Contes de Jacques Tournebroche[28]. Cette jeune fille, très belle, manque de mettre fin à ses jours en se jetant dans la Seine et est sauvée in extremis par Coignard et Jacques. Alors elle se confie :

“Vous l’aviez deviné : c’est la trahison d’un amant trop chéri qui m’a réduite au désespoir. Si vous jugez que ma douleur est démesurée, c’est que vous ne savez point jusqu’où allait ma confiance et mon aveuglement, et que vous ignorez à quel rêve enchanteur je viens d’être arrachée[29].”

L’histoire de Sophie T »’ est classique : elle vit le bonheur parfait avec un jeune homme riche et brillant qui doit pourtant un beau jour partir à l’armée et se fiancer, sous la demande impérieuse de sa famille fortunée, avec la fille d’un riche négociant.

“Aussi la vue de cette bourse qu’il me tendait souleva mon indignation, et me donna la force de chasser de ma présence l’imposteur qu’un seul instant m’avait mise à même de connaître et de mépriser. Il soutint sans trouble mon regard indigné et m’assura le plus tranquillement du monde que je n’entendais rien aux obligations qui remplissent l’existence d’un homme de qualité[30].”

Le jugement du sage Jérôme Coignard sur cette histoire sans grand intérêt est pourtant fort éclairant :

“Je suis heureux de discerner que votre mal est guérissable. Outre que votre amant ne méritait guère les bontés que vous avez eues pour lui et qu’il s’est montré, à l’épreuve, léger, égoïste et brutal, je distingue que votre amour pour lui n’était qu’un penchant naturel et l’effet de votre sensibilité dont l’objet importait moins que vous ne vous le figurez. Ce qu’il y avait de rare et d’excellent dans cet amour venait de vous. Et rien n’est perdu, puisque la source demeure. Vos yeux, qui ont coloré des nuances les plus belles une figure sans doute fort vulgaire, ne laisseront pas de répandre encore ailleurs les rayons de l’illusion charmante[31].”

Jérôme Coignard révèle que le Désir provient en effet surtout de soi, beaucoup plus que de l’être désiré. Ceci signifie bel et bien qu’il est projection, et doit être projection réciproque pour être assouvi. Tant que le Désir subsiste, le suicide est impossible[32]. Cependant, Coignard fait preuve ici une attitude digne de Lucrèce :

“Mais il convient de fuir sans cesse ces simulacres[33], de repousser ce qui peut nourrir notre amour, de tourner notre esprit vers d’autres objets ; il vaut mieux jeter dans le premier corps venu la liqueur amassée en nous que de la garder pour un unique amour qui nous prend tout entiers, et de nous réserver la peine et la douleur certaines. Car, à le nourrir, l’abcès se ravive et devient un mal invétéré ; […] Eviter l’amour, ce n’est point se priver des jouissances de Vénus, c’est au contraire en prendre les avantages sans rançon[34].”

Or, cette haute philosophie épicurienne ne provoque pas de bouleversement chez Sophie T »’, ce qui prouve qu’elle n’est pas applicable dans le monde : “Mais tandis qu’il parlait, Sophie, qui, depuis quelques instants, avait laissé fléchir sa tête sur l’épaule du meilleur des hommes, s’endormit doucement[35].” La philosophie est bel et bien impropre à appréhender le Désir, et seul ce qui est vécu a de l’importance : le Désir ne peut donc bel et bien être assouvi dans l’imaginaire francien que s’il est réciproque. Cela signifie par ailleurs qu’aucun mensonge, de part et d’autre, ne devrait entraver cette réciprocité nécessaire. Si le mensonge est certes l’attribut de la femme fatale, il l’est aussi de l’homme frustré ou de l’homme faux, qui dans ce cas ne fait qu’assouvir un désir charnel à l’opposé du Désir.

“Si nous aimions avec humilité et dans l’oubli de nous-mêmes, ou seulement d’un cœur simple[36], nous serions satisfait de ce qu’on nous donne et nous ne tiendrions pas pour trahison le mépris qu’on fait de nous[37].”

Tournebroche reverra Sophie sous les traits d’une comédienne, après la mort de Coignard et le départ Jahel avec un autre. L’objet du Désir est donc au centre de l’univers francien et il détermine toutes les destinées humaines. Le monde imaginaire francien reste chevillé au pansexualisme.

Le Barbe-Bleue francien ne tue pas ses femmes par une dure atrocité et un plaisir raffiné confinant au sadisme, comme c’est par exemple le cas chez Huysmans[38]. Ici, Gilles de Rais est un petit homme fou de Désir et en proie à une extrême timidité :

“Les femmes exerçaient sur lui un invincible attrait et lui faisaient une peur insurmontable. Il les craignait autant qu’il les aimait. Voilà l’origine et la cause initiale de toutes ses disgrâces. En voyant une dame pour la première fois, il aurait mieux aimé mourir que de lui adresser la parole, et, quelque goût qu’il en conçût, il restait devant elle dans un sombre silence ; ses sentiments ne se faisaient jour que par ses yeux, qu’il roulait d’une manière effroyable[39].”

Or, il a l’infortune de tomber sur des femmes dont les appas charnels contrastent fortement avec ce qu’elles sont réellement. Les sept femmes de Barbe-Bleue sont sept femmes fatales, dans le sens francien du terme. C’est dire combien enfle la frustration de Gilles de Rais (qui est transposé par Anatole France sous les traits de Monsieur de Montragoux), et combien cette non-réciprocité du Désir est la cause de tous ces meurtres. Certes, ce conte, tiré des Contes de ma mère l’Oye (1697) – on retrouve ici Pédauque – et adapté par Pierre et Charles Perrault, est une sinistre farce. Barbe-Bleue ne rencontre que des femmes invivables, ivrognesses ou infidèles. La fameuse sœur Anne, qui ne voit jamais rien venir, est celle qui traditionnellement ressuscite ses six autres sœurs. C’est la plus belle et la plus futée de toutes. Elle connaît le secret du maître des lieux et sait très bien le sort qui attend sa sœur encore vivante, qui succombera nécessairement à la curiosité lors du voyage de son redoutable amant. Et pourtant, elle ne fait rien pour empêcher le sixième meurtre, étant certaine que ses frères viendront les libérer toutes. Anatole France reprend ce motif, mais fait de la sœur Anne le summum de la lâcheté et de la frigidité coupables ; en fait,

“Anne de Lespoisse était la plus méchante de la famille. Elle demeurait étrangère aux faiblesses des sens et restait chaste au milieu des débordements de la maison ; non qu’elle se refusât des plaisirs qu’elle jugeait indigne d’elle, mais parce qu’elle n’éprouvait de plaisir que dans la cruauté[40].”

Ainsi, Barbe-Bleue est victime d’un complot familial visant à le faire disparaître pour prendre toute sa fortune.

Symboliquement, ce conte, parfait pastiche du conte de Perrault[41], qui pourrait paraître d’un intérêt secondaire, est pourtant plus emblématique qu’il n’y paraît. On y voit en confrontation un homme au comble de la frustration, et sept femmes fatales qui préparent un odieux complot en exploitant la faiblesse d’un homme consumé de Désir. Ce conte est écrit entre 1908 et 1909 et édité en juin 1909, lorsque Anatole France est en partance pour l’Amérique du Sud. Cette période est l’une des plus noires de son existence[42] et il connaît dans sa vie réelle de nombreux bouleversements sentimentaux, étant en prise avec une Mme de Caillavet vieillissante, marquée par le temps et autoritaire, et une très douloureuse séparation d’avec sa fille extrêmement malheureuse dans son mariage de convenance (elle attend une petite fille) avec Psichari. Dès lors, ce Barbe-Bleue pourrait être une transposition dans l’univers mythique du conte de la frustration qu’il rencontre dans la vie réelle. Or, si Anatole France remet en cause, le temps d’un conte très court, l’existence même de ce que nous avons appelé la femme transcendante, il ne remet absolument pas en cause le pansexualisme, et les femmes dépeintes – aussi lamentables soient-elles – restent au centre de la structure de l’univers.

Ceci renforce encore l’ambivalence essentielle de la femme francienne. Qu’elle soit fatale ou transcendante, elle reste l’incarnation du pansexualisme, au fondement même de la destinée humaine. Barbe-Bleue l’apprend à ses dépens. La morale du Désir qui en découle est encore ici affinée. Dans le réel historique – ou dans les références littéraires sur lesquelles Anatole France s’appuie – le conte de La Barbe-Bleue reste édifiant. La morale du conte en est, schématiquement, que la pureté triomphe toujours de la cruauté. Chez Anatole France, c’est l’inverse : la perversité des femmes fatales triomphe du Désir d’un homme en proie à une frustration savamment entretenue. Les meurtres cruels du maître sont transformés en annulations de mariage, en départs des femmes avec leurs amants, et ainsi de suite. On constate que la morale du Désir transpose le Bien et le Mal d’une manière inédite et logique, dans une acception restant totalement ancrée dans le pansexualisme. Ceci signifie que le Désir ne peut lutter contre les travers purement humains et que sa transcendance exige non seulement réciprocité, mais aussi pureté des intentions.

Ainsi, le pastiche que fait Anatole France de l’histoire de Barbe-Bleue pourrait être scandaleux, vis-à-vis de l’histoire traditionnelle de ce sombre personnage. Les valeurs morales n’y sont que trop parfaitement inversées, d’où le scandale qui en est issu. Réhabiliter un monstre pour en faire une victime est en effet inacceptable pour la morale judéo-chrétienne et dangereux à plus d’un titre. Cependant, Anatole France mène ce renversement des valeurs sciemment, d’une manière qui dépasse encore une fois une simple catharsis. Il illustre, sous un mode ludique, avec Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue, une la morale n’étant elle-même que relative : celle qui est engendrée par le Désir en vaut bien une autre. La morale du Désir justifie le Bien et le Mal non au travers de dogmes absolus et jugés péremptoires par Anatole France à travers la crainte qu’ils inspirent, mais tout au contraire au travers d’un refus pragmatique de la souffrance, de toute frustration vécue et ressentie au cœur de la réalité charnelle. La morale du Désir est une ode à l’existence humaine refusant toute frustration, et justifie tous les moyens possibles pour sortir d’une conception par trop cruelle d’un univers où l’homme n’aurait pas sa place et souffrirait.

Dès lors, tout dogme quel qu’il soit ne peut plus être compatible avec le pansexualisme et la morale du Désir. Le dogme est non seulement faux, selon Anatole France, mais de plus il est dangereusement aveuglant. C’est tout le drame de la vie d’Evariste Gamelin, dans Les Dieux ont soif[43]. Sa cruauté et sa férocité proviennent justement du fait qu’il ne peut mener jusqu’au bout la réciprocité de son Désir avec celui de la femme qu’il aime, Elodie Blaise. Il ne peut scinder sa vie en deux, jouant à réussir une vie d’homme public et révolutionnaire d’une part, et une vie d’homme privé amoureux d’Elodie d’autre part. La vie de Gamelin ne peut se résoudre dans une telle schizophrénie. En d’autres termes, entre la vérité à laquelle Gamelin se soumet – le dogme austère de Robespierre – et le logos francien issu du pansexualisme qui l’attire, il doit choisir de manière définitive. Et son choix, mené par l’aveuglement, le conduira directement sous la lame de la guillotine.

C’est ce schisme, plus que la Terreur de la Révolution francienne, qui demeure le véritable drame des Dieux ont soif. Gamelin est ainsi décrit comme portant en son sein ce schisme :

“Evariste avait eu à vingt ans un visage grave et charmant, une beauté à la fois austère et féminine, les traits d’une Minerve. Maintenant ses yeux sombres et ses joues pâles exprimaient une âme triste et violente[44].”

Face à cet homme bipolaire, Elodie Blaise représente un double inversé : elle n’est pas belle, mais elle est inscrite entièrement dans le Désir :

“Elodie n’était ni très jeune ni très jolie. On pouvait la trouver laide au premier abord. Brune, le teint olivâtre, sous le grand mouchoir noué négligemment autour de sa tête et d’où s’échappaient les boucles azurées de sa chevelure, ses yeux de feu charbonnaient leurs orbites[45]. En son visage rond, aux pommettes saillantes, riant, un peu camus, agreste et voluptueux, le peintre retrouvait la tête du faune Borghèse[46], dont il imitait, sur un moulage, la divine espièglerie. […] Son regard, son souffle, les frissons de sa chair, tout en elle demandait le cœur et promettait l’amour[47].”

Les sentiments initiaux existant entre Gamelin et Elodie Blaise sont décrits sur un mode implicite – qui dépasse en lui-même la réalité charnelle, selon un processus de regards et de non-dits :

“Evariste la regarda de cet air sombre qui mieux que tous les sourires exprime l’amour. Elle le regarda avec une moue un peu moqueuse qui retroussait ses yeux noirs, et cette expression lui venait de ce qu’elle se savait aimée et qu’elle n’était pas fâchée de l’être et de ce que cette figure-là irrite un amoureux, l’excite à se plaindre, l’induit à se déclarer s’il ne l’a pas encore fait, ce qui était le cas d’Evariste[48].”

C’est dire combien la position initiale d’Elodie est en concurrence avec le dogme révolutionnaire auquel Gamelin croit. Un court passage illustre de manière allégorique que dogme et Désir sont incompatibles :

“La veille de la fête[49], par un soir tranquille et clair, Elodie, au bras d’Evariste, se promenait sur le chant de la Fédération. Des ouvriers achevaient en hâte d’élever des colonnes, des statues, des temples, une montagne, un autel. Des symboles gigantesques, l’Hercule populaire brandissant sa massue, la nature abreuvant l’univers à ses mamelles inépuisables, se dressaient soudain dans la capitale en proie à la famine, à la terreur […]. La municipalité avait accompli ce prodige de faire régner pour un jour l’abondance dans la ville affamée. […] S’arrêtant à l’étalage d’un humble bijoutier, Evariste choisit une bague en argent où on voyait en relief la tête de Marat entortillée d’un foulard. Et il la passa au doigt d’Elodie[50].”

Dans un univers de mensonges et de fausseté, dans un décor aussi faux que celui d’une scène de théâtre au sein duquel le dogme de Robespierre sévit au détriment de l’intégrité du peuple – décrit par Anatole France comme affamé et terrorisé –, les symboles de mauvais carton-pâte tentent avant tout de cacher le vide et la misère. Ils voilent de leur orgueil dogmatique la réalité du monde. C’est une mise en abyme du dogme aveuglant le Désir et empêchant sa réciprocité. La bague, symbolisant par excellence l’alliance, représente l’effigie de Marat[51] , allégorie un peu facile du dogme se substituant à l’amour. Gamelin devient bien vite juré au tribunal révolutionnaire, ce qui est la preuve de son embrigadement dans un système qui le dépasse de beaucoup. Gamelin ne considère son existence que menée par son intellect – il est d’ailleurs très longtemps chaste avec Elodie – et son Désir pour elle, pourtant avéré, reste distant au travers de tout un système de protection, comme si céder à l’instinct, et même à l’innocence, n’était pas républicain ; comme si reconnaître son Désir était incompatible avec le dogme qui le taraude impérieusement. Lorsque Elodie organise une partie de chasse au cœur, c’est évidemment Gamelin qui perd le premier[52], de manière symptomatique. Et lorsque la nuit venue les hommes s’acoquinent avec les femmes dans l’auberge, même les plus laides, Gamelin à l’humeur sévère dort à poings fermés, oubliant de vivre. Lorsqu’il participe pour la deuxième fois au tribunal révolutionnaire, il se prononce sur le sort de pauvres malheureux avec intransigeance et orgueil. Puis il finit par ne voir et ne penser qu’au prisme des dogmes jacobins de Robespierre :

“Les choses sont par elles-mêmes mélangées et pleines de confusion ; la complexité des faits est telle qu’on s’y perd. Robespierre les lui simplifiait, lui présentant le bien et le mal en des formules simples et claires. […] Et, parce qu’il avait l’esprit religieux, Evariste recevait ces révélations avec un sombre enthousiasme ; son cœur s’exaltait et se réjouissait à l’idée que désormais, pour discerner le crime de l’innocence, il possédait un symbole. Vous tenez lieu de tout, trésors de la foi ![53].”

Le dogme se substitue dangereusement au Désir, déshumanisant dramatiquement celui qui en est aveuglé. Toujours par ce principe des vases communicants, il ne peut donc plus Désirer Elodie en toute réciprocité, ni donner un sens essentiel à son existence. Cette orientation vers le dogme n’est pas le fruit d’un choix mûrement réfléchi : Gamelin est le jouet d’une pensée extrême et autoritaire, séduit vraisemblablement par l’ivresse du pouvoir autant que par une utopie absurde : il se situe à l’inverse de toute démarche humaniste, car il juge les hommes sans leur reconnaître le droit à une quelconque liberté, il lutte pour le bien futur de l’humanité en offrant la mort. Dans ce sens, Gamelin est l’archétype francien de l’homme frustré qui, d’une manière presque sadique, remplace l’impuissance inassouvie de son Désir par l’adhésion sans faille non à un dogme, mais au confort aveuglant du dogme[54].

Tandis que l’autorité aveugle se saisit de la destinée humaine, le sens même de l’existence disparaît, comme noyé et nié. Gamelin reste fortement ancré dans un personnage incarnant le frustré puissant, type peut-être dénoncé comme le plus dangereux par Anatole France. Au travers de cette frustration, toujours entraînée par le dogme entravant l’expression du Désir, il devient jaloux d’Elodie qu’il accuse d’une sombre histoire avec un certain Jacques Maubel, dont Elodie ne se souvient pas[55]. Gamelin convainc le tribunal de mettre à mort ce traître à la République pour une simple présomption injustifiée et causée par la jalousie. Ceci prouve peut-être que l’histoire elle-même et ses événements, pour Anatole France, sont tendus par ce dualisme oscillant entre Désir et frustration qui oriente chaque acte humain, et les destinées individuelles déterminent donc plus souvent les destinées collectives que les dogmes. Cependant, c’est bien Gamelin lui-même qui s’inflige cette frustration coupable en revêtant le masque du dogme le plus séduisant, succombant au mythe facile de la puissance et s’arrogeant le droit de vie et de mort sur la personne humaine. Le dogme est antagoniste au Désir, et surtout, dans la morale qui en découle, il se situe dans la sphère du Mal. Cette entrave irraisonnée et dangereuse au Désir par la frustration ne peut pas être résolue, puisque le dogme poussé à cette extrémité, pour Anatole France, devient une passion, un objet de désir, paroxysme du mensonge.

Toutefois, dans ce principe toujours présent des vases communicants, le couple qui recherche la réciprocité de l’assouvissement du Désir peut dévier vers un mode d’apaisement sadomasochiste perdant chacun des deux membres du couple[56]. Dans ce cas, Anatole France décrit la dilution de celui qui désire dans une abjection scandaleuse fondant au cœur même de l’instinct et de l’oubli. Cette abjection, se situant finalement au cœur du logos, est du côté du Bien, puisque le Désir se nourrit de l’être frustré dans une sorte d’union phagocytante et arasant tout dogme, tout principe moral, toute entrave.

Lorsque Elodie apprend la mort de l’innocent Maubel qu’elle ne connaît pas, elle ne conspue pas Gamelin. Ceci serait moralement évident, dans un contexte judéo-chrétien. Mais dans celui qui nous préoccupe, son Désir pour Gamelin est décuplé, car le jeune homme frustré et aveuglé par le dogme lui échappe. Par l’entremise du principe de réciprocité, elle succombe dans l’assouvissement pour elle-même échapper à toute frustration. Dans une morale du Désir, ce bouleversement ontologique est salvateur, car il représente allégoriquement une sorte de « chant du cygne » du Désir qui triomphe peut-être pour la dernière fois de cet homme désiré qui ensuite s’échappera ; quant au Désir, il n’en sera que fortifié, affirmé comme principe vital :

“ « Misérable ! C’est toi qui l’as tué, et ce n’était pas mon amant. Je ne le connaissais pas… je ne l’ai jamais vu… Quel homme était-ce ? Il était jeune, aimable…innocent. Et tu l’as tué, misérable ! misérable ! » Elle tomba évanouie. Mais, dans les ombres de cette mort légère, elle se sentait inondée en même temps d’horreur et de volupté. Elle se ranima à demi ; ses lourdes paupières découvraient le blanc de ses yeux, sa gorge se gonflait, ses mains battantes cherchaient son amant. Elle le pressa dans ses bras à l’étouffer, lui enfonça les ongles dans la chair et lui donna, de ses lèvres déchirées, le plus muet, le plus sourd, le plus long, le plus douloureux et le plus délicieux des baisers. Elle l’aimait de toute sa chair, et, plus il lui apparaissait terrible, cruel, atroce, plus elle le voyait couvert du sang de ses victimes, plus elle avait faim et soif de lui[57].”

Cependant, ce triomphe du Désir n’est pas réciproque, et seule Elodie Blaise connaît cet assouvissement existentiel. Son existence alors a un sens, et elle n’a plus besoin de Gamelin, qui va désormais s’enfoncer dans la frustration et dans le mensonge. Ce passage illustre aussi de manière exemplaire que l’histoire, chez Anatole France, est tout de même soumise aux lois du pansexualisme, comme le dogme lui-même.

Gamelin se dédouble et devient publiquement une copie de Marat, à l’œil bleu, froid et tranquille. Cependant, sa frustration le taraude, tout comme son inconscient, et il se sent coupable d’une manière indirecte et lointaine :

“Evariste Gamelin était las et ne pouvait se reposer ; vingt fois dans la nuit, il se réveillait en sursaut d’un sommeil plein de cauchemars. C’était seulement dans la chambre bleue, entre les bras d’Elodie, qu’il pouvait dormir quelques heures. Il parlait et criait en dormant et la réveillait ; mais elle ne pouvait comprendre ses paroles. Un matin, après une nuit où il avait vu les Euménides[58], il se réveilla brisé d’épouvante et faible comme un enfant[59].”

C’est à ce moment, où le Désir lutte inconsciemment avec la frustration, qu’Elodie se désolidarise définitivement de Gamelin. Désormais, deux discours ne peuvent plus que s’affronter. Celui de Gamelin est intégré au dogme, et égoïstement notre homme reconnaît avoir franchi avec regret le point de non-retour. Chez Gamelin, le Désir n’existe plus, est définitivement nié par la frustration de l’illusion – même s’il en a conscience, ce qui est l’indice d’un Désir battu, mais non éteint :

“ Elodie, je ne puis plus accepter ton amour. […] J’ai fait à ma patrie le sacrifice de ma vie et de mon honneur. Je mourrai infâme, et n’aurai à te léguer, malheureuse, qu’une mémoire exécrée… Nous aimer ? Est-ce qu’on peut m’aimer encore ?… Est-ce que je puis aimer ? […] Les scélérats parricides croissent sans cesse dans l’ombre ; il en sort de dessous terre, il en accourt de toutes nos frontières : de jeunes hommes, qui eussent mieux péri dans nos armées, des vieillards, des enfants, des femmes, avec des masques de l’innocence, de la pureté, de la grâce. Et quand on les a immolés, on en trouve davantage… Tu vois bien qu’il faut que je renonce à l’amour, à toute joie, à toute douceur de la vie, à la vie elle-même[60].”

En effet, le Désir s’orientant vers le dogme pour s’assouvir n’est qu’un leurre, puisque le dogme n’a pas de prise avec le réel – et donc encore moins avec la réalité charnelle. Toutefois, le principe de réciprocité pousse encore Elodie jusqu’à l’absurde, ce qui n’est compatible qu’avec le Désir le plus puissant, le plus désespéré, luttant de toutes ses forces contre la frustration :

“Elodie resta un moment immobile, le regard fixe et baissé. Puis, tout à coup, elle s’élança, sur les pas de son amant, et, furieuse, échevelée, telle qu’une ménade, elle le saisit comme pour le déchirer et lui cria d’une voix étranglée de sang et de larmes : « Eh bien ! moi aussi, mon bien-aimé, envoie-moi à la guillotine, moi aussi, fais-moi trancher la tête ! » Et, à l’idée du couteau sur sa nuque, toute sa chair se fondait d’horreur et de volupté[61].”

C’est dire combien la dissolution de Gamelin dans le néant de la frustration entraîne chez Elodie l’affirmation ontologique de son Désir, et donc d’une frustration à rebours – qui sera résolue, puisque Elodie, à l’inverse de Gamelin, a assouvi son Désir. C’est dire également combien la figure féminine est centrale dans l’œuvre francienne. Bien souvent, Les Dieux ont soif a été considéré comme un roman historique[62], alors qu’il apparaît surtout entièrement inscrit dans le trajet du pansexualisme et de la quête du logos initialisée par Anatole France depuis toujours. Certes, le contexte historique sous la Révolution française est fondamental dans Les Dieux ont soif, mais il serait sans doute bien réducteur de l’ériger comme thème central qui ferait de Gamelin une incarnation de la thèse de Marat ou de Robespierre[63].

Ainsi, Elodie, seul omphalos des Dieux ont soif, poursuit l’assouvissement de son Désir avec Desmahis de la manière la plus naturelle qui soit, la plus conforme à la morale du Désir. Elle reste, comme personnage central du roman, la seule figure stable et en lien direct avec le logos, et survit seule au dogme de la Terreur. Quant à Gamelin, son sort n’est guère enviable : inscrit dans le temps et dans la mortalité, au travers de sa soumission à la frustration du dogme, il n’acquiert pas cette immortalité que seul le Désir peut offrir. Ainsi qu’il le pressentait, son nom tombera dans le plus sinistre des oublis, il périra seul et frustré. Cependant, sur la dernière marche de l’échafaud, le dogme a tragiquement triomphé de lui, même si – et c’est là le plus tragique – son Désir pour Elodie persiste, comme un dernier sursaut des principes universels moqueurs :

“Je meurs justement, pensa-t-il. Il est juste que nous recevions ces outrages jetés à la République et dont nous aurions dû la défendre. Nous avons été faibles ; nous avons trahi la République. Nous avons mérité notre sort. Robespierre lui-même, le pur, le saint, a péché par douceur, par mansuétude ; ses fautes sont effacées par son martyre. A son exemple, j’ai trahi la République ; elle périt : il est juste que je meure avec elle. J’ai épargné le sang : que mon sang coule ! Que je périsse ! je l’ai mérité…[64].”

On le voit, toute négation du Désir rejoint finalement la négation de l’humanité tout entière.

Nous pourrions conclure notre étude de la figure féminine francienne en insistant sur la place centrale et structurelle qu’elle occupe dans la pensée francienne. La femme reste l’incarnation du principe universel du Désir et rend possible la fusion de l’homme avec l’univers, tout en le projetant au-delà et en-deçà de sa propre réalité charnelle. La femme francienne est l’émergence d’un principe pansexualiste qui détermine le monde. Elle donne naissance à l’abolition de toute altérité ainsi qu’à l’anéantissement du temps et de la mort. Paradoxalement, comme le Désir ne peut en rien être assouvi, ce bouleversement ontologique de fusion du moi avec l’univers ne peut être définitif. Pourtant, même fugace, il suffit à donner un sens à l’existence humaine en lui offrant de manière ontologique un syncrétisme avec le logos. C’est dire combien la femme francienne détermine le monde, et combien elle est issue elle-même du Désir.

Elle est fantasmatique, invariablement, et qu’elle se nomme Thaïs ou Jahel, Lilith ou Hélène, Elodie ou Catherine, Thérèse ou Félicie, elle reste invariablement la même figure pulpeuse et désirable de l’univers. Grimée sous les traits d’une comédienne fatale ou d’une Vénus transcendante, elle reste néanmoins celle qui détient en essence les lois de l’existence humaine, du Désir ou de la frustration. Chez Anatole France, la femme est toujours une semi-divinité, dans le sens où si elle reste profondément et voluptueusement incarnée dans un corps appelant l’assouvissement du Désir, elle n’en est pas moins l’émergence charnelle du logos. Elle devient une sorte de principe de causalité orientant toute existence humaine, puisque cette femme francienne – quel que soit le prénom qu’elle porte – demeure invariablement au centre de l’imaginaire francien, comme un omphalos autour duquel gravite la structure même du récit. Chaque protagoniste autour duquel se construit ce récit[65] gravite en effet autour de cet omphalos, et sa destinée dépend ainsi non seulement de l’assouvissement fugace de son Désir avec cette figure féminine centrale, mais du rapport de réciprocité qui aura lieu ou non entre son Désir et celui de la femme désirée. De cet équilibre fondamental naîtra, soit le triomphe du Désir et donc du logos, soit au contraire la frustration et le chaos. C’est pourquoi une morale pleinement cohérente est issue du Désir. Cette femme ontologique est la figure incarnée d’un univers cruel et inaccessible sans elle, elle est la figure incarnée du sens de l’existence humaine. C’est dire combien elle est au centre d’un système invariant de valeurs, passant outre le temps et l’espace, passant outre les dogmes et les religions. Dans cette perspective, la femme francienne paraît échapper aux topoï.

La clef de la figure féminine francienne est décrite tout entière dans l’image de Marie Bagration dans La Vie en fleur[66], et dans l’effet frustrant mais rempli d’espoir que cette image mythique provoque sur le narrateur[67] :

“Je ne la connaissais pas et peut-être que je ne désirais pas la connaître. Plus sage que je ne semblerai à ceux qui liront cette histoire, plus sage que je ne pensais moi-même, j’avais percé le secret d’Eros, j’avais appris que l’amour pur s’affranchit de toute sympathie, de toute estime et de toute amitié ; qu’il vit de désir et se nourrit de mensonges. On n’aime vraiment que ce qu’on ne connaît pas. Par quelle voie avais-je atteint cette vérité inaccessible ? J’avais tout ce qu’on peut atteindre de l’amour : un fantôme. […] Et j’étais heureux[68].”

Ce fantôme, ce mensonge, il est bel et bien inscrit dans l’essence même du Désir, qui est de ne jamais être assouvi sous peine de s’anéantir. Comme telles, les lois universelles restent les plus fortes, et l’immortalité comme le sens même de l’existence humaine ne peuvent être embrassées qu’un court instant. Cependant, ce moment ontologique est nécessaire à l’assomption par l’homme de l’univers et de la réalité charnelle, et dans ce contexte, la femme francienne est dans l’imaginaire francien l’incarnation de la plus ontologique, de la plus fondamentale et de la plus illusoire des nécessités humaines. Marie Bagration une fois morte, le sens de la beauté du monde persistera à jamais dans la mémoire du narrateur de La Vie en fleur, comme l’empreinte profonde du logos au cœur de la réalité charnelle d’Anatole France lui-même.

 


[1]Je ne crois pas que rien au monde soit comparable à l’agilité avec laquelle les femmes oublient ce qui fut tout pour elles. Par cette effrayante puissance d’oubli autant que par la faculté d’aimer, elles sont vraiment des forces de la nature.”, Anatole France, Pierre Nozière, Pléiade, tome III, p.558.

[2] Voir Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, Pléiade, tome I, p. 360 et sqq. Voir aussi infra, III.2.1.b, p.445.

[3] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.360.

[4] Il n’est qu’à penser à Histoire comique pour s’en convaincre. Comme nous l’avons maintes fois remarqué, ce mythe de l’actrice ne cesse de tourmenter notre auteur. Ceci est également un topos, un lieu commun littéraire inscrit dans l’air du temps. Cette obsession de France pour les actrices nous évoque celle de Nerval pour Jenny Colon, qui sera incarnée par Octavie dans Les Filles du feu.

[5] Sur la thématique du regard, voir infra, III.1, p.379.

[6] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.361.

[7] Voir infra, III.1.1, p.383.

[8] Ici encore, le Désir provoque un bouleversement ontologique. C’est constant chez France.

[9] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.362.

[10] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.363.

[11] Voir infra, I.3.2.b, p.217.

[12] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.375.

[13]La timidité est un grand péché contre l’amour.”, Anatole France, La Rôtisserie de la reine Pédauque, ibid., p.67. Nous retrouvons là une thématique fondamentale qui rejoint celle de la frustration dans l’œuvre francienne. “Je ne payais pas de mine, je dansais mal ; dans la conversation, mon naturel m’emportait tantôt aux pensées graves, tantôt aux imaginations burlesques, sans me conduire jamais aux idées faciles, qui plaisent ; je me tenais toujours à quelque extrémité, ou plus bête, ou plus intelligent que les autres et, dans les deux cas, également insupportable ; le goût que j’avais des femmes, trop excessif pour être montré, me rendait timide avec elles.”, Anatole France, La Vie en fleur, Pléiade, tome IV, p.1149.

[14] Voir Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.382 et sqq.

[15] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.383.

[16] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, idem.

[17] Anatole France, Les Désirs de Jean Servien, ibid., p.387.

[18] Voir glossaire.

[19] Voir supra la valeur de l’inconscient francien, II.3.1, p.289.

[20] Anatole France, La Rôtisserie de la reine Pédauque, ibid., p.78.

[21] Anatole France, La Rôtisserie de la reine Pédauque, ibid., p.79.

[22] Anatole France, La Rôtisserie de la reine Pédauque, ibid., p.82.

[23] Anatole France, La Rôtisserie de la reine Pédauque, ibid., p.89.

[24] Anatole France, idem.

[25] Anatole France, La Rôtisserie de la reine Pédauque, ibid., p.90-91.

[26] Voir supra, I.1.1.c, p.42.

[27] A ce propos, l’ambivalence du mot magique AGLA qui paraît entraîner la mort tragique de Coignard – Anatole France joue sur le fait que le bon maître a bien prononcé ce mot – est intéressante. Nous avons retrouvé la prière magique d’où ce mot est tiré : il s’agit de rendre un objet talismanique (un ipsullice) de façon à faire devenir une femme amoureuse : “Je vous conjure, Ceil, Cil, Cadid, ministres de l’amour et préfets d’amitié, par Celui qui vous a créés, par le jour du jugement, par Celui qui régit la terre et fait trembler le ciel, de consentir à ce caractère, à cette image, à cette figure. Ainsi les personnes à qui je les aurai donnés ou montrés ou fait toucher me désireront, me chériront moi seul, tenant pour rien les leurs, abandonnant tout, et leur pensée sera toujours sur moi. Agla, Agioth, Ethel, Van, Ia, Ia, Ia, Va, Va, Va, Ta, Ta, Ta, Eh, Eh, Eh, Malchin, Yoy, Grabe, Yse, Agay, Phogomos, Hol, Phan, Gigeom, Oy, Anepheneton, Hehon, Yoa, Gach. Seigneur, Père saint, qui as tout créé, et le cœur des hommes et des femmes, par les noms sacrés dits au-dessus, illumine le cœur et l’esprit de cette femme, afin qu’il me recherche d’un égal amour dont je l’aime et qu’elle fasse ma volonté, comme je ferai la sienne. Donne à cette expérience force et vertu, afin qu’elle soit conduite au résultat par Toi, Père Très Saint, qui vis et règnes, Amen.” (in Jules Bois, Le Satanisme et la magie, 1893, p.313-314. )

[28] Voir Anatole France, « Mademoiselle Roxane », Les Contes de Jacques Tournebroche, Pléiade, tome IV, p.299 et sqq.

[29] Anatole France, Les Contes de Jacques Tournebroche, ibid., p.304.

[30] Anatole France, Les Contes de Jacques Tournebroche, ibid., p.305.

[31] Anatole France, Les Contes de Jacques Tournebroche, ibid., p.306.

[32] Cette thèse est infirmée par Chevalier dans Histoire comique. Voir infra, III.2.2, p.467.

[33] Jérôme Coignard parle d’illusions charmantes.

[34] Lucrèce, De la nature, ibid., Livre IV, p.187-188.

[35] Anatole France, Les Contes de Jacques Tournebroche, ibid., p.306-307.

[36] Cette expression ne laisse d’être flaubertienne.

[37] Anatole France, Les Contes de Jacques Tournebroche, idem.

[38] Voir J-.K. Huysmans, Là-bas, 1891.

[39] Anatole France, Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue, Pléiade, tome IV, p.317.

[40] Anatole France, Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue, ibid., p.330.

[41] Nous ne sommes plus là dans la sphère du palimpseste.

[42] Voir Marie-Claire Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, ibid., ou même Marie-Claire Bancquart, la notice des Sept Femmes de la Barbe-Bleue, Pléiade, tome IV, p.1315 et sqq.

[43] Voir Anatole France, Les Dieux ont soif, Pléiade, tome IV, p.435 et sqq.

[44] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.445. Nous sommes toujours ici sous les auspices de la physiognomonie.

[45] Marie-Claire Bancquart voit dans cette description une allégorie classique de la République ressemblant à une représentation du peintre David (voir note de la page 449, Pléiade, tome IV, p.1395). C’est un point de vue, mais tout dépend évidemment de l’optique dans laquelle on se place.

[46] Allusion vraisemblable à une statue du Louvre sculptée dans du marbre blanc associé à du porphyre, et intitulée Adorante Borghèse.

[47] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.449.

[48] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.448-449.

[49] Il s’agit de la fête de « l’Unité et de l’Indivisibilité de la République ». Voir Marie-Claire Bancquart, note de la page 492, Pléiade, tome IV, p.1410.

[50] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.492-494.

[51] Marat, médecin devenu journaliste sous la Révolution à L’Ami du peuple, incarne le révolutionnaire dogmatisé devenant de plus en plus dur au fur et à mesure que les années passent. Dans L’Ami du peuple, il s’oppose de manière de plus en plus systématique à ceux qui n’adhèrent pas à ses idées jusqu’à participer à de nombreux tribunaux. Ses idées sont distillées au jour le jour, ce qui l’amène à de nombreuses contradictions suivant la conjoncture politique du moment. Il prône une politique terroriste extrémiste à l’encontre de ceux qui ne partagent pas sa conception de la République. C’est pourquoi Marat passe ici pour le symbole du révolutionnaire sanguinaire et autoritaire, précurseur des régimes totalitaires. Voir O. Coquard, Jean-Paul Marat, Fayard, Paris, 1993.

[52] Voir Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.516 et sqq.

[53] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.538.

[54] Voir supra, I.2.3, p.165.

[55] Voir Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.557 et sqq.

[56] Ce mode ressemble un peu à la relation France-Caillavet.

[57] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.563.

[58] Anatole France transforme Gamelin en un Oreste de tragédie d’Eschyle (dans Les Choéphores et Les Euménides). Les Erynies, ou euménides, sont en effet les « chiennes vengeresses » de Clytemnestre qui poursuivent Oreste une fois que ce dernier a tué sa mère pour venger son père Agamemnon. Cependant, c’est bien l’inconscient de Gamelin qui remonte à sa conscience, comme un combat entre Désir et frustration. Voir supra, II.3.1, p.289.

[59] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.595.

[60] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.606.

[61] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.607.

[62] Voir par exemple C. Moatti & J. Heinstein dir., Typologie du roman, colloque, Sorbonne nouvelle, Paris, 1984. Voir même « Roman historique », Encyclopaedia universalis.

[63] Dans le Dictionnaire des œuvres, coll. Bouquins, Laffont, Paris, 1987, tome II, à l’article Les Dieux ont soif (p.351), on peut lire : “Anatole France ne peut être considéré comme un romancier de première grandeur : ses héros sont plutôt l’incarnation de ses idées que des personnages vivants et la tragédie d’Evariste Gamelin, par exemple, est expliquée par un esprit critique plutôt que profondément vécue.” Nous soutenons qu’il s’agit d’un fâcheux contresens. Au contraire, si on intègre Les Dieux ont soif dans un contexte plus large selon le trajet scriptural du Désir francien, les personnages n’ont pas cet aspect bien vite jugé caricatural.

[64] Anatole France, Les Dieux ont soif, ibid., p.617.

[65] Ce protagoniste est toujours masculin chez Anatole France, qu’il s’agisse de Paphnuce dans Thaïs, de Jacques Tournebroche dans La Rôtisserie de la reine Pédauque, de Servien dans Les Désirs de Jean Servien, etc…

[66] Voir La Vie en fleur, ibid., p.1149 et sqq.

[67] Voir aussi infra, III.1.1.c, p.395.

[68] Anatole France, La Vie en fleur, ibid., p.1154.

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