I.1.3.b) La querelle du Disciple et la relativisation francienne du monde

I.1.3.b) La querelle du Disciple et la relativisation francienne du monde

 “Il est possible que la vérité scientifique soit malsaine pour l’animal humain tel qu’il est fait, de même tel organe singulier, anormal, une ouïe ou vue monstrueuse, excessive, non raccordée avec le reste, dans une baleine ou un éléphant. La seule conclusion que j’en tire, c’est que la vérité scientifique n’est supportable que pour quelques-uns ; il vaudrait mieux qu’on ne pût l’écrire qu’en latin.”, Taine, Correspondance à Boutmy, t. IV, p.340.

Paul Bourget, pendant ce temps, prépare le manuscrit du Disciple dès la seconde moitié de septembre 1888[1], d’après une affaire qui défraya la chronique dès le 25 janvier 1888. Il s’agit de l’affaire de Sidi-Mabrouk (près de Constantine, Algérie). Henri Chambige, un étudiant en droit de 22 ans, est retrouvé grièvement blessé de deux balles de revolver dans la joue dans une villa. Il gît là, immobile, près d’une femme de trente ans, madame Grille, allongée sur le canapé, mortellement touchée à la tempe. Ainsi, Chambige est inculpé pour assassinat. Il déclare pour se défendre qu’il a tué madame Grille (mariée, deux enfants) parce qu’elle et lui avaient décidé d’en finir avec la vie. Simplement, sa tentative de suicide a échoué.

Il ne faut pas négliger le fait que Paul Bourget connaissait personnellement Chambige, ce dernier considérant Bourget comme l’un de ses maîtres :

“Je le vois encore, ce jeune homme aux yeux brillants, à la physionomie si mobile, si intelligente, tel qu’il entrait dans mon cabinet de travail, il y a moins de deux ans. Il m’apportait des essais… où se devinait l’espérance d’un beau talent[2].”

En fait, Paul Bourget est fort intéressé par cette affaire pour une autre raison, qui sera en fait le prétexte du Disciple :

“Cette affaire lui tient à cœur parce qu’il s’y croit un peu mêlé ; comme beaucoup de gens, il craint d’y trouver la preuve que les écrivains à la mode, –lui en particulier, –ont contribué à fausser l’esprit de la jeunesse[3].”

D’ailleurs, Paul Bourget ne dit pas autre chose, dans sa préface :

“Qu’auras-tu recueilli, qu’aurez-vous recueilli dans nos ouvrages ? demande-t-il à ses lecteurs. Pensant à cela, il n’est pas honnête homme de lettre, si chétif soit-il, qui ne doive trembler de responsabilité[4].”

Nous pouvons rapprocher également cette réflexion sur la responsabilité de l’auteur face au lecteur, en évoquant cette autre réflexion de Paul Bourget :

“Il est facile de rendre la littérature responsable de la maladie morale élaborée dans cette âme par ce travail de dix années, et la malveillance n’y a pas manqué, comme si la littérature avait jamais eu la moindre action sur des âmes non préparées. Elle a simplement manifesté un état général qu’un autre accident aurait rendu funeste[5].”

Ainsi donc, dans ce contexte trouble, l’affaire Chambige déclenche une grande réflexion sur les motivations du meurtre et ses rapports avec une certaine responsabilité littéraire[6]. Dès lors, le portrait du jeune Greslou composé par Bourget dans le Disciple, doit beaucoup à ces diverses analyses menées sur Chambige.

Les points de congruence entre le véritable Chambige et le fictif Greslou sont analysés profondément par Michel Mansuy[7], qui évoque au-delà d’une grande similarité des traits la jeunesse des deux héros, immergée dans les élans mystiques et les scrupules religieux, les transes philosophiques, et “les accès de doute qui tuèrent la foi dans leur cœur[8].” Les deux hommes n’ont connu qu’une seule femme avant de vivre le grand amour passionnel. Enfin et surtout, ils passent le plus clair de leur temps à lire, abasourdis par les rêves littéraires et les systèmes philosophiques, qui tronquent leur vision du monde et les transforment en idéalistes éloignés des réalités terrestres. Ils veulent tous deux écrire : lorsque Chambige travaille à la Dispersion infinitésimale du cœur, Greslou compose Une Contribution à l’étude de la multiplicité du moi[9]. Enfin, les deux sont d’accord sur le fait que “le monde est mauvais, que l’âme est intransmissible, condamnée à la solitude[10].” D’autre part, Chambige va se comporter avec madame Grille, dans le monde réel, comme Greslou avec Charlotte de Jussat, dans le monde fictif du Disciple.

“Ils font tous deux naître l’amour en excitant la pitié ; le second prétend qu’il a été trahi par sa fiancée et ne peut s’en consoler (p.196.) ; Chambige, qui pleure une jeune sœur, attendrit si bien Mme Grille qu’elle se fait sa consolatrice et lui ouvre largement sa maison. Peu avant le drame, Greslou achète de la noix vomique[11], Chambige du laudanum[12]. Le drame lui-même se noue dans des conditions analogues. Ces deux couples d’amants tragiques veulent mourir dans un baiser. […] Enfin, dans leur prison, les deux coupables, quoique émotifs, font preuve d’un courage égal devant la mort ; ils composent chacun une longue confession où ils racontent leur vie et font l’histoire de leur crime[13].”

Le sens profond du Disciple est donc bien celui-ci : quelle est la responsabilité du jeune tueur Greslou par rapport à celle de son mentor, Sixte, qui représente de manière allégorique les systèmes de pensée à la mode qu’on retrouve dans la littérature du temps et qui ont pu influencer Chambige dans le réel pour commettre son meurtre ? Les écrivains ont une large responsabilité morale : écrire est un acte, tandis que la lecture est une action. Dès lors, il est évident, dans cette optique, que l’écrivain a un rôle social subversif –et Bourget vise ici vraisemblablement les écrivains du désespoir que sont les symbolistes, qui semblent hisser l’esprit désabusé de cette fin de siècle au rang d’idéal[14]. Bourget ne dit pas autre chose dans sa préface du Disciple :

“…Il n’a que lui-même pour dieu, pour principe et pour fin. Il a emprunté à la philosophie naturelle de ce temps la grande loi de la concurrence vitale[15], et il l’applique à l’œuvre de sa fortune avec une ardeur de positivisme qui fait de lui un barbare civilisé[16], la plus dangereuse des espèces. […] et lui-même, ce personnage s’appelle volontiers « fin de siècle ». […] Car c’est être un monstre que d’avoir vingt-cinq ans et, pour âme, une machine à calcul au service d’une machine à plaisir ! […] Ce nihiliste délicat, comme il est effrayant à rencontrer et comme il abonde ! A vingt-cinq ans, il a fait le tour de toutes ses idées. […] Le bien et le mal, la beauté et la laideur, les vices et la vertu lui paraissent des objets de simple curiosité. L’âme humaine tout entière est, pour lui, un mécanisme savant et dont le démontage l’intéresse comme un objet d’expérience. Pour lui, rien n’est vrai, rien n’est faux, rien n’est moral, rien n’est immoral[17].”

ceci est un point fondamental pour nous, car il rejoint les préoccupations d’Anatole France à cette époque. C’est ici que le point de vue de notre auteur va radicalement diverger de celui de Bourget, et qu’une grande scission va apparaître. Ainsi, selon Paul Bourget, la science est elle-même pleine de risques ; comme le précise Michel Mansuy,

“Taine lui-même, avec tout son génie, est le type du savant qui laisse échapper le réel, –du moins si on en croit Bourget qui écrit : « Chez lui… les idées ont un jeu absolument indépendant des réalités qu’elles représentent. Puissance à construire un système idéal. Mais comme aucun système ne saurait représenter la complexité infinie des choses, son œuvre ne porte pas avec elle de vérité[18] ».”

Il vient de ces constatations que la science est elle-même prétexte à la fausseté, car elle ignore toute dimension morale et s’érige en dogme qui exclut finalement toute éthique : “C’est ceci qu’il faut mettre dans A. Sixte, c’est l’affirmation, non pas que la science est chose coupable, mais qu’elle est chose insuffisante[19].” Ainsi, dans son journal, Paul Bourget montre qu’il n’y a pas de salut en dehors de Dieu. Au 1er novembre 1888, il écrit à propos du Disciple : Pour toucher à la vie morale il faut Dieu. Mettre, dans ce mot de Dieu, ce que j’y vois et y sens : la croyance que ce monde obscur a un sens analogue à notre âme.” Dans ce même journal, on trouve, le 26 octobre 1888 : “J’ai pu prier dans la petite église, sentant Dieu, sentant que l’acte de foi dans la cause inconnaissable est seul capable de nous faire supporter la vie.” Dès lors, il semble évident que Bourget propose une vision du monde moralisante, où la foi en Dieu miséricordieux seule peut permettre une règle de vie imprégnée d’un certain bonheur, pour accéder à “l’amour des autres et [à] la perfection intérieure[20].” Telle est la morale du Disciple.

Six semaines après la parution du Disciple, Lemerre avait déjà vendu 22.000 exemplaires ! La critique littéraire fut presque unanime pour qualifier cette œuvre d’événement littéraire. Fatalement, un débat s’engage donc sur la responsabilité de l’auteur et de la science face à l’esprit malléable du jeune lecteur. L’affaire Chambige reste en effet présente dans les mémoires, et les récriminations du Disciple sont inscrites dans l’actualité. Même les scientifiques s’intéressent à ce livre[21]. Deux parties vont s’affronter quant à cet ouvrage, d’un côté les partisans de la morale et de la tradition, de l’autre les tenants de la libre pensée.

C’est Anatole France qui met le feu aux poudres, dans le contexte que nous avons brièvement exposé plus haut[22]. Nous sommes le 23 juin 1889 :

“Je persiste à croire que la pensée a, dans sa sphère propre, des droits imprescriptibles et que tout système philosophique peut être légitimement exposé. Quiconque croit posséder la vérité doit la dire. Il y va de l’honneur de l’esprit humain. Les droits de la pensée sont supérieurs à tout. C’est la gloire de l’homme d’oser toutes les idées. Quant à la conduite de la vie, elle ne doit pas dépendre des doctrines transcendantes des philosophes[23]”.

Par là même, Anatole France refuse cet idéal du jeune Français tourné vers la tradition et Dieu pour y puiser ses repères moraux. Il doit se former, se constituer lui-même dans une optique déjà bien décrite dans La Rôtisserie de la reine Pédauque, selon un schéma inscrit dans la modernité : il doit se faire une idée sur le monde de façon libre et autonome, et ne pas attendre d’autrui une pensée dogmatique et non vérifiée. Lorsque Brunetière[24] lit ce passage du Temps, son sang ne fait qu’un tour. Il réfute avec ardeur les propos de France dans la Revue des Deux-Mondes[25]. Cet article paraît dans le même temps que Thaïs, dans la même revue ; Thaïs était alors censurée en divers passages, car son anticléricalisme pouvait choquer les lecteurs traditionalistes de La Revue des Deux-Mondes. Aussi pour cette raison, dès le 7 juillet 1889, dans Le Temps, Anatole France répond-il avec une grande violence à Brunetière :

“Les principes sociaux sont plus variables encore que les idées des philosophes […] Loin d’offrir à l’esprit une base solide, ils s’écroulent dès qu’on y touche.  […] Il ne saurait y avoir pour la pensée pure une pire domination que celle des mœurs. […] C’est la pensée qui conduit le monde. Les idées de la veille font les mœurs du lendemain[26].”

C’est dire ici combien Anatole France est contre le contenu du Disciple. Le modèle du jeune Français de cette fin de siècle ne saurait s’inscrire dans ce système traditionaliste où la morale et la religion tiendraient lieu de réflexion ; de même, ce franc refus de la science ne saurait être admis, dans le sens où la responsabilité morale n’est pas de son objet ; les deux sont distinctes, mais ne se nient pas l’une l’autre. Dès lors, ce retour à une tradition réactionnaire et éculée est un danger pour la jeunesse, qui ne peut se permettre de revenir en arrière au risque de nier tout progrès scientifique. Anatole France, en tant que darwinien, ne peut renoncer à cette idée de progrès social et idéologique, dont la science est l’un des principaux outils. Nier le progrès de la civilisation, c’est nier l’humanité tout entière, ainsi que son honorable droit à la pensée ; la morale a-t-elle donc le droit de se substituer à la pensée ? La morale brise, par son allure statique et immuable,  les progrès d’aujourd’hui et donc les civilisations de demain, alors que l’intelligence et la science favorisent cette avancée imperceptible encore mais nécessaire vers le bonheur. Il est à noter que la scientifique Revue rose prête main forte à Anatole France dans ce farouche débat, le 17 août 1889. Pour elle, Greslou est seul coupable, il est déterminé depuis sa naissance à devenir meurtrier, et Sixte n’est pas responsable de ceci. De plus, l’homme est guidé par ses seuls instincts, que nulle idée ne pourrait dominer. Cette vision des choses est fort déterministe, elle aussi. La société ne pourra jamais dans cette optique se construire sur l’erreur ou sur une quelconque morale immuable. Brunetière est qualifié par l’auteur anonyme de l’article de grand inquisiteur…

Brunetière répondra à France et à la Revue Rose dans un article de la Revue des Deux-Mondes le 1er septembre 1889, article intitulé « Question de Morale ». Il invoque Kant pour prouver la primauté de la morale sur la pensée humaine : toute métaphysique est fausse si elle ne s’appuie préalablement sur la morale. Il exige dès lors que les scientifiques –et il inclut les psychologues, les moralistes, les économistes, tous ceux qui régissent la conduite humaine –songent aux applications pratiques de leurs systèmes, et aux répercussions qu’elles engendreront dans la société. Les idées agissent. On doit donc toucher à l’ordre social avec une grande prudence, même si cet ordre n’est pas immuable. La science, quant à elle, est fort dangereuse, car elle ne pourra jamais, malgré ses prétentions, ni remplacer la religion, ni même expliquer l’inexplicable.

Anatole France écrira alors le 8 septembre 1889 un plaidoyer dans Le Temps, « Pour la science et la philosophie » :

“Qu’importe au fond ce que l’homme croit, pourvu qu’il croie ! […] Tout ce qu’il découvrira, tout ce qu’il contemplera, tout ce qu’il adorera dans l’univers, ne sera jamais que le reflet de sa propre pensée. […] L’homme ne serait pas l’homme s’il ne pensait librement. Je me range du côté où je découvre le moindre mal associé au plus grand bien. La science et la philosophie issue de la science ne font pas le bonheur de l’humanité ; mais elles lui donnent quelque force et quelque honneur. C’est assez pour les affranchir. En dépit de leur apparente insensibilité, elles concourent à l’adoucissement des mœurs[27].”

On le voit ici, Anatole France prend le parti du relativisme. Plus même, il affirme la primauté du relativisme dans la pensée humaine libre et nécessaire, dont ne peut sortir qu’une civilisation plus heureuse que la nôtre. Selon lui, la morale est issue de la pensée, et certes pas l’inverse. Brunetière lui offre l’occasion de clarifier ce point fondamental, qui couvait depuis un certain temps[28]. Anatole France livre dans cet article du Temps un idéalisme sceptique affirmé et mûri : après tout, la science n’est pas plus féroce que la morale. Les peuples à l’organisation orientée par la religion n’étaient-ils pas d’une manière historique tout aussi sanguinaires que les civilisations modernes croyant à la science ? Si la liberté semble dangereuse pour un Brunetière, elle est le seul honneur de l’homme, ce qui à la limite est le seul trait distinguant l’humain de l’animal. La libre pensée seule semble permettre le progrès, car elle offre une vision pluraliste du monde. Les livres scientifiques ne sont donc pas condamnés à l’immoralité, car ils apportent le progrès en brisant toute tradition immuable et obscurantiste. La libre pensée détrône le sectarisme de toute pensée qui se prétendrait établie. Cette nouvelle morale issue de la science va à l’encontre de la morale doctrinaire et immuable issue de la tradition. Anatole France, au travers de cette querelle du Disciple, passe ainsi au scepticisme, condition nécessaire de la liberté. Il n’y a point de vérité absolue, certes pas en ce qui concerne la science, et donc surtout pas en ce qui concerne la morale. Tout système, quelle que soit son origine, doit être remis en cause par la libre pensée, aucun absolu ne devrait être en mesure de tenir face à la corrosive et honnête remise en question. Ce trajet est fondamental dans la pensée francienne, car ce relativisme sceptique présidera désormais à la vision du monde d’Anatole France[29]. L’esprit devra donc remettre en cause les obscurantismes de toutes sortes, ainsi que ces morales coercitives qui organisent abusivement la conduite humaine. La liberté ne saurait se soustraire à la morale ou à la religion. On le voit ici, d’ailleurs, la page du boulangisme est définitivement tournée pour Anatole France.

“Il va de soi que cette réaction contre le principe d’autorité et contre le fidéisme incontrôlé ne se cantonne pas à un domaine de l’esprit, mais regarde l’ensemble de l’attitude d’Anatole France devant les mœurs : littérature, éthique et politique sont examinés selon un nouvel équilibre de valeurs[30].”

Il est noter, dans une optique seulement historique, que ce sera Paul Janet qui clora  cette querelle du Disciple, en apportant un point de vue pondéré et relativisant sur les événements[31]. Nul n’éprouvera ainsi le besoin de lui répondre. Selon lui, la science, sans être fondamentalement mauvaise, porte un danger car elle agit sur les consciences contemporaines ; certes, un penseur a le droit de tout dire, comme le pense Paul Bourget, mais dans la mesure où il a bien pesé les tenants et aboutissants de ses idées sur tous les phénomènes. Ce n’est pas toujours le cas des savants, qui s’occupent du monde physique sans prendre en compte les conséquences morales de leurs théories ; ils ont tort, car le monde de l’âme est aussi réel que le monde physique. Ainsi s’expliquerait ce schisme entre science et morale ; les deux doivent pourtant être liées, et la science doit tenir compte des exigences de la morale[32].

Pour en finir ici avec Le Disciple, évoquons ce que Taine pense de cet ouvrage sulfureux, car finalement c’est sa pensée scientifique qui est au centre du débat (car Sixte représente Taine par bien des aspects) :

“A mon avis, l’origine de cette erreur est dans la façon dont vous avez conçu Sixte, le représentant de la science moderne. Vous lui avez donné un cerveau insuffisant et une éducation scientifique insuffisante. Il ne connaît que des superficies. Il a suiVIdes cours, et il a lu des livres, rien de plus. […] Personnellement, dans les Origines de la France contemporaine, j’ai toujours accolé la qualification morale à l’explication psychologique ; mon analyse préalable est toujours rigoureusement déterministe, et ma conclusion terminale est rigoureusement judiciaire. […] Pardonnez-moi mon opposition ; elle vient de ce que votre livre m’a touché dans ce que j’ai de plus intime. Le goût a changé, ma génération est finie, et je me renfonce dans mon trou de Savoie[33].”


[1] C’est la date que Bourget donne lui-même dans Le Disciple, p.126 de l’édition originale.

[2] A. Bataille, Causes criminelles et mondaines de 1888, p.VIII. A rapprocher de la première visite de Greslou à Sixte : “Ce dernier avait donc vu entrer un après-midi un garçon d’environ vingt ans, avec de beaux yeux noirs vifs et mobiles qui éclairaient un visage un peu trop pâle.”, Le Disciple, p.27.

[3] Michel Mansuy, Un Moderne, Paul Bourget, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1968, p.484.

[4] Paul Bourget, Le Disciple, Préface, p.II.

[5] Paul Bourget, préface aux Causes criminelles de Bataille, p.IX.

[6] Michel Mansuy, ibid., p.485, cite différents articles parus à ce propos  ; celui de Bataille, « L’Affaire Chambige », paru dans le Figaro du 2 novembre 1888, et ses impressions d’audience à partir du 8  ; La Gazette des tribunaux à partir du 9 novembre  ; celui d’Anatole France, « Un Crime littéraire », Le Temps du 11 novembre 1888  ; l’article le plus retentissant est sûrement celui de Maurice Barrès, « La Sensibilité d’Henri Chambige », Figaro, 11 novembre 1888.

[7] Michel Mansuy, ibid., p.485-487.

[8] Michel Mansuy, idem.

[9] Voir Le Disciple, p.26.

[10] Michel Mansuy, idem.

[11] Il s’agit de strychnine, issue de la graine du vomiquier (stychnos nux vomica).

[12] Il s’agit là d’un opiacé.

[13] Michel Mansuy, idem.

[14] Nous pouvons évoquer Huysmans, par exemple, avec son personnage sulfureux de Des Esseintes dans A Rebours (1884)  ; il existe une multitude d’autres exemples, de Gide à Barrès.

[15] Nous retrouvons ici Darwin et la théorie de la sélection des espèces, qui semble réifier le fait selon lequel les plus forts l’emportent sur les plus faibles, sans qu’aucune autre notion morale n’entre en ligne de compte, ce que déplore évidemment Bourget.

[16] Cette critique semble bien dirigée notamment contre les parnassiens, qui approuvaient dans une certaine mesure l’esprit scientiste du temps.

[17] Paul Bourget, préface du Disciple, p.XVIII-XX.

[18] D’après une note dictée à Mme Bourget par son mari le 9 novembre 1891. Sur ce point, Sixte est la réplique de Taine. Michel Mansuy ibid., p.498. Voir note 101, p.498-499.

[19] Cité par Michel Mansuy, idem.

[20] Michel Mansuy, ibid., p.500.

[21] Voir La Revue rose, dans sa Causerie bibliographique, réservée d’habitude aux ouvrages scientifiques.

[22] Voir supra, I.1.3.a, p.84.

[23] Anatole France, Le Temps, 23 juin 1889.

[24] Ferdinand Brunetière (1849-1906) poursuit alors une brillante carrière universitaire  ; il enseigne tout d’abord à l’Ecole Normale Supérieure, puis à la Sorbonne à partir de 1886, tout en collaborant à la Revue des Deux Mondes, qu’il dirigera à partir de 1893. Depuis longtemps déjà, il critiquait l’apport de la science dans la littérature, comme dans Le Roman naturaliste (1883) par exemple, où il condamnait Zola et son matérialisme scientifique ainsi que son mépris des valeurs morales et du beau. Baudelaire et les successeurs du Parnasse sont eux aussi jugés avec une grande sévérité par Brunetière qui refuse toute gratuité dans l’art. Cependant, il trouve paradoxalement dans l’évolutionnisme darwinien une méthode de critique littéraire systématique, et crée une histoire des genres (dans L’Evolution de la critique notamment, 1890). Il cherche à remettre à l’honneur le XVIIe siècle littéraire et son idéal classique moralisant. Il est attiré, à l’image du XVIIe siècle, par le catholicisme, et se convertit sur le tard (Sur les chemins de la croyances, 1905).

[25] « A Propos du Disciple », La Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1889. On peut lire notamment : “Fussiez-vous assuré que la « concurrence vitale » est la loi du développement de l’homme, comme elle l’est des autres animaux, que la nature, indifférente à l’individu, ne se soucie que des espèces, et qu’il n’y a qu’une raison et qu’un droit au monde, qui est celui du plus fort, il ne faudrait pas le dire […] Toutes les fois qu’une doctrine aboutira par voie de conséquence logique à mettre en question les principes sur lesquels la société repose, elle sera fausse. 

[26] Anatole France, Le Temps, 7 juillet 1889.

[27] Anatole France, Le Temps, 8 septembre 1889.

[28] Voir notre analyse de « Monsieur Pigeonneau » infra, I.1.3.c., p.94.

[29] A cette même époque, comme le fait remarquer Marie-Claire Bancquart, Renan réédite en 1890 L’Avenir de la science. Cet ouvrage dépeint la science comme une religion nouvelle, capable d’organiser l’humanité dans la rationalité.

[30] Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome I, p.LXXII. Anatole France va à l’occasion de cette prise de conscience engendrée par la querelle du Disciple réviser différents jugements – ce qui montre une belle honnêteté intellectuelle, car il ne faut pas manquer de courage pour revoir ses points de vue en public et reconnaître ses erreurs. On pensera à sa façon de notre auteur d’appréhender désormais le symbolisme : il fait la louange de l’Ecole romane de Moréas dans La Plume du 1er janvier. Il dénigre Leconte de Lisle, il est même insultant à son encontre, lors de la grande enquête littéraire de Jules Huret en 1891. Il revoit ses jugements sur Verlaine (Le Temps des 13 mai 1889, 23 février 1890, 18 novembre 1891) et Mallarmé (Le Temps du 18 janvier 1893), oubliant par là même les griefs qu’il leur reprochait lors du scandale du Parnasse. Enfin, dans Le Temps du 9 mai 1890, Anatole France modère son jugement sur Emile Zola (qu’il avait fortement critiqué à l’occasion de la parution de La Terre). Il va jusqu’à s’effacer lorsque Haussonville propose à France de se présenter à l’Académie française contre Zola en octobre 1891. Pour plus de détails, voir Marie-Claire Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, p.174-177.

[31] Paul Janet, « De la responsabilité philosophique. – A propos du Disciple de Paul Bourget », Revue bleue, 12 et 19 avril 1890.

[32] Ce débat plus que centenaire a encore cours, et l’actualité a tranché en faveur de l’existence de la bioéthique, rendue nécessaire après les atrocités nazies et la prise de conscience du monde face aux progrès immenses de la génétique. Finalement, l’histoire a donné raison à Janet…

[33] H. Taine, sa vie et sa correspondance, t.IV, p.291-293.

Précédent – I.1.3.b  – Suivant >

image_pdfimage_print