II.3.1.c) Les connexions entre le Désir et l’inconscient

II.3.1.c) Les connexions entre le Désir et l’inconscient

 

Appeler un malheureux à répondre de ses actes !… mais quand le système solaire n’était encore qu’une pâle nébuleuse, formant dans l’éther une couronne légère d’une circonférence mille fois plus vaste que l’orbite de Neptune, il y avait belle lurette que nous étions tous conditionnés, déterminés, destinés irrévocablement et que votre responsabilité, ma chère enfant, la mienne, celle de Chevalier, celle de tous les hommes, était, non pas atténuée, mais abolie d’avance. Tous nos mouvements, causés par des mouvements antérieurs de la matière, sont soumis aux lois qui gouvernent les forces cosmiques, et la mécanique humaine n’est qu’un cas particulier de la mécanique universelle.”, Anatole France, Histoire comique, Pléiade, tome III, p.911.

Nous devrions donc ici pouvoir étudier une œuvre représentative de la conception francienne de l’inconscient, afin de mettre en évidence les connexions profondes se tissant entre les zones d’ombre de l’inconscient et la puissante instance du Désir. Un couple est pour ceci tout trouvé, il s’agit de la jolie comédienne Félicie Nanteuil et de l’acteur malheureux Chevalier, dans Histoire comique[1]. Ce roman pourrait être placé sous le signe de la frustration, issue d’une configuration triangulaire fort classique entre la belle Nanteuil et ses deux soupirants en concurrence, Chevalier et Ligny.

Qui est Félicie Nanteuil ? Marie-Claire Bancquart nous propose une analyse psychiatrique de son caractère, dressée par le docteur Anne Clancier le 16 novembre 1987[2] :

“Si on veut porter un diagnostic en ce qui concerne la jeune actrice, elle n’est nullement psychotique. L’épisode des pertes de connaissance pourrait faire penser à des crises d’épilepsie, mais tous les autres éléments permettent de dire qu’il s’agit en réalité de crises hystériques qui simulent l’épilepsie. Quant aux hallucinations dans lesquelles la jeune femme revoit le fantôme du suicidé, il ne s’agit pas d’hallucinations psychotiques. Ce sont des représentations vives qui se produisent chez des personnes ayant beaucoup d’imagination et qui ont généralement ce qu’on nomme une structure hystérique. Il ne s’agit nullement de l’hystérie maladie, mais d’une structure psychique qu’on ne peut même pas, à mon avis, considérer comme pathologique[3]. C’est le cas des personnes très croyantes ayant des apparitions. […] Si cette jeune femme croit voir le spectre au moment où elle se rapproche de l’homme aimé, c’est en raison de la culpabilité que le suicidé a déclenchée chez elle[4].”

Nous partirons de cette analyse avisée qui met en évidence que le cas de Félicie ne dépend pas de l’Académie, pour mettre en relief au contraire le fait que ses hallucinations sont en quelque sorte une projection, une grammaticalisation inconsciente du Désir. Dans la même optique, nous essaierons de comprendre ce qui pousse Chevalier au suicide.

Dès l’incipit, Félicie est dépeinte par Anatole France comme souffrant de troubles hallucinatoires. Une hallucination, faut-il le rappeler, ne porte pas la même définition au début du siècle (avant Freud) qu’actuellement. A la date où Histoire comique paraît, il apparaît que c’est encore la définition donnée par B. Ball[5] en 1853 qui a cours : l’hallucination est une perception sans objet[6]. Cependant, une autre définition existe, beaucoup plus proche de la psychiatrie contemporaine :

“Un homme qui a la conviction intime d’une sensation actuellement perçue, alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n’est à portée de ses sens, est dans un état d’hallucination[7].”

Félicie souffre bien de ce désordre de la conscience, de cette projection de l’inconscient dans les sens immédiats.

“Imaginez-vous, docteur, que je crois voir, la nuit, sous les meubles, un chat qui me regarde avec des yeux de braise. […] Ce n’est pas en rêvant que je vois un chat ! C’est tout éveillée ![8]

Cette hallucination est classée dans les visions oniriques, souvent désagréables et comparables au cauchemar. Cependant, le docteur Trublet[9] la met au compte d’un désordre stomacal, puisque selon lui, l’hallucination du chat est toujours un symptôme de ce type de problème. Cette interprétation est purement gratuite[10] et issue directement d’une sorte de mécanisme positiviste rejoignant la non reconnaissance de l’inconscient dans l’optique d’une médecine tout inscrite dans le scientisme. Un corset trop serré pourrait entraîner l’apparition du chat. Cependant, ce chat est symptomatique de tout autre chose…

Au départ, il est manifeste que Félicie est attirée par Ligny et affiche du mépris pour Chevalier, lui-même décrit comme un acteur médiocre, cabot[11] et amoureux de la belle Félicie :

“Il avait rôdé autour d’elle, muet, affamé, les dents longues et les yeux flamboyants[12]. Et, durant quinze jours, il l’avait poursuivie sans repos. Elle, froide et tranquille, avait semblé l’ignorer ; puis elle avait cédé tout d’un coup et si brusquement que, ce jour-là, en la quittant, radieux et surpris encore, il lui avait dit une bêtise : « Moi qui te croyais en porcelaine !… » Durant trois mois entiers, il avait goûté des joies aiguës comme la douleur. Puis Félicie était devenue fuyante, lointaine, étrangère. Maintenant, elle ne l’aimait plus. […] Il souffrait de n’être plus aimé ; il souffrait plus encore d’être jaloux. […] Maintenant, Robert de Ligny lui causait d’intolérables souffrances. Depuis quelque temps, il le trouvait sans cesse près d’elle. Qu’elle aimât Robert, il n’en pouvait douter. Et si parfois il pensait qu’elle ne s’était pas encore donnée à cet homme, c’était sans raison et seulement pour soulager de temps en temps sa souffrance[13].”

Dans cette situation théâtrale, le couple Félicie-Chevalier est lié en essence par une sorte d’exacerbation des sens. Félicie ne joue qu’avec le cœur, même si elle prétend parfois le contraire :

“Elle disait en effet qu’on ne joue bien qu’en jouant avec son cœur ; elle professait que, pour exprimer fortement une passion, il faut l’éprouver[14], et qu’il est nécessaire de sentir les expressions qu’on doit rendre. Elle se donnait volontiers en exemple[15]. Reine tragique, après avoir vidé sur la scène une coupe de poison, elle avait eu toute la nuit les entrailles en feu[16].”

Quant à Chevalier, c’est également un caractère torturé par ses sens, et particulièrement par la jalousie, considérée ici comme l’une des plus fortes passions humaines[17] :

“Il ne remonta pas à la loge de Félicie, de peur d’y rencontrer Ligny dont la vue lui était insupportable, et parce que, de la sorte, il pouvait s’imaginer que Ligny n’y était pas revenu. Eprouvant un malaise physique à l’éloigner d’elle, il fit cinq ou six tours sous les galeries éteintes et désertes de l’Odéon, descendit les degrés dans la nuit[18] et prit la rue de Médicis. […] Gardant un reste d’espoir absurde et doux, cette nuit-là comme les autres, il allait attendre Félicie chez sa mère[19].”

C’est dire combien Félicie est obsessionnelle pour Chevalier ; la jalousie est d’ailleurs renforcée par le jeu de l’admiration maladive que voue toute une cour gravitant autour de la comédienne. De plus, la jeune femme a connu, depuis sa rupture avec Chevalier, beaucoup d’amants. Elle est donc meilleure ingénue qu’actrice.

Lorsqu’elle rentre très tard, un soir, alors que Chevalier l’attend en compagnie de Mme Nanteuil, elle vient de faire l’amour avec Ligny :

“Félicie entra dans la salle à manger, les cheveux en désordre, l’œil brillant, les joues blanches, les lèvres avivées et froissées, lasse, indifférente, muette, heureuse, jolie, ayant l’air de garder sous son manteau, qu’elle tenait des deux mains fermées sur elle, un reste de chaleur et de volupté[20].”

Evidemment, ceci exacerbe la passion jalouse de Chevalier. Il s’ensuit une dispute classique, mais qui est un déclencheur. Le trouble de Chevalier désigne la prise de conscience d’une rupture définitive : “Alors, murmura-t-il, plein de stupeur, nous ne sommes rien l’un pour l’autre, je ne suis rien pour toi… Nous n’avons pas été ensemble… Voyons, Félicie rappelle-toi…[21].” Or, Félicie est atteinte d’une sorte d’hubris mégalomaniaque qui la rend cruelle. On assiste à un double langage : celui de l’ingénue, qui se fait désirée et refusante, inaccessible pour tout dire – cela ne pouvant qu’attiser la passion dévastatrice du jeune homme – , ce qui va fort bien dans le sens de son jeu d’actrice. Elle joue, elle joue toujours, que ce soit la surprise ou le dédain, dans le but d’éprouver les passions, dans les deux sens du terme : elle les ressent avec force et elle teste sa séduction en renforçant celles des autres. Ceci renforce son ego que de se sentir désirée par plusieurs hommes. En face, Chevalier plonge dans la brèche de la jalousie et un dialogue de sourds s’ébauche, puisque l’acteur entre tête baissée dans le jeu de l’actrice. Lui ne joue pas. Il est assailli de plein fouet par le désir de posséder la jeune femme et par la frustration de la voir s’échapper.

“On peut dire que tu es rosse !… Sois-le, Félicie ! Sois-le tant que tu voudras ! Qu’est-ce que ça fait, puisque je t’aime ? Tu es à moi, je te reprends ; je te reprends et je te garde. Voyons ! je ne veux pas souffrir toujours comme une pauvre bête. Ecoute : je passerai l’éponge. Nous recommencerons notre amour. Et cette fois, ce sera très bien. Et tu seras à moi pour toujours, à moi seul[22]. Je suis un honnête homme, tu sais. Tu peux compter sur moi. […] Ecoute-moi bien, j’ai trop souffert ; je ne veux plus souffrir. J’exige que tu sois à moi, à moi seul. […] A moi seul, tu entends ?[23].”

La situation elle-même est inextricable. Chevalier désire Félicie, mais Félicie ne désire qu’être désirée, et rien d’autre. Chevalier laisse sa passion s’exprimer, il n’est pas saisi par autre chose que par le Désir, celui-ci est pleinement verbalisé, et même s’il tend à faire devenir l’acteur irrationnel, le jeune homme a entièrement conscience de ses pulsions frustrées. On ne pourrait en dire autant de Félicie. Certes, elle désire être désirée, mais pourquoi ? Si elle joue toujours, sur la scène comme à la ville, c’est peut-être parce qu’elle ne peut guère faire autrement que de jouer. Nous l’avons vu, sa personnalité est troublée, en proie aux hallucinations et à un certain orgueil hystérique. Anatole France dépeint finalement sa personnalité comme voilée, c’est-à-dire attirée par les zones d’ombre :

“Elle réfléchissait sur [Chevalier] sérieusement. Ce garçon qui, l’avant-veille encore, lui semblait insignifiant et banal, qu’elle avait bien trop vu, qu’elle savait par cœur, comme il lui paraissait maintenant mystérieux et plein de secrets ! Comme elle s’apercevait tout à coup qu’elle ne le connaissait pas ! De quoi était-il capable ? Elle s’efforçait de le deviner. Qu’allait-il faire ? Rien, sans doute. Tous les hommes qu’on quitte menacent et ne font rien. Mais Chevalier était-il un homme tout à fait comme les autres ? On le disait fou. C’était une manière de parler. Mais elle ignorait elle-même s’il n’y avait pas en lui un peu de folie. A présent, elle l’étudiait avec un sincère intérêt. […] Jamais encore elle n’avait tant pensé à lui[24].”

Dès lors, si Félicie refusait son identité réelle au profit d’une image sociale glorieuse, elle ne penserait pas autrement. Entre ses rôles de théâtre et sa vie à elle, il s’agit toujours d’un rôle à jouer. Pourquoi est-elle liée à Ligny ? La raison en est qu’elle

“savait que toutes ses camarades, Ellen Midi, Duvernet, Herschell, Falempin, Stella, Marie-Claire, voulaient lui prendre Ligny. Elle avait vu Louise Dalle, habillée comme une maîtresse de piano, ayant toujours l’air d’escalader l’omnibus et gardant jusque dans ses provocations et ses frôlements les apparences d’une irrémédiable honnêteté, poursuivre Ligny de ses jambes trop longues et l’obséder de ses regards de Pasiphaé[25] pauvre. Et elle avait surpris, dans un couloir, la doyenne, cette bonne mère Ravaud, découvrant à l’approche de Ligny ce qui lui restait encore, ses magnifiques bras, depuis quarante ans illustres[26].”

Félicie joue dans une sphère de superficialité mondaine pour échapper effectivement à la réalité, et saisir toutes les opportunités de nourrir son ambition sociale démesurée par tous les moyens. Son talent d’actrice est secondaire, et c’est peut-être ceci qu’elle tente de masquer : elle cherche le succès et l’admiration, alors qu’elle n’est intérieurement que médiocre, fondée tout entière par le paraître. Elle est à l’inverse de Chevalier, qui n’est en rien calculateur dans ses pulsions. D’ailleurs, son jeu d’acteur est dépeint comme maîtrisé : il a l’ambition de devenir un grand acteur par son seul travail théâtral.

En fait, nous comprenons mieux la structure intérieure de Félicie lorsque Anatole France la décrit en train de penser à Chevalier : elle est régie par une sorte de crainte sourde, par une peur inexprimée. Peut-être redoute-t-elle l’amour de Chevalier par crainte d’être démasquée, de n’être plus adulée pour son niveau social mais simplement pour elle-même. A-t-elle peur de (se) décevoir ? Son intériorité paraît d’ailleurs bien pauvre, puisqu’elle privilégie l’apparence mondaine sur tout le reste. Dans sa vie de comédienne, l’art est secondaire. En d’autres termes, elle n’assume pas ce qu’elle est réellement, elle n’assume pas sa propre intériorité, elle refuse son Désir réel, ce qui pour Anatole France est une grande erreur, peut-être la pire[27] :

“Il lui était apparu plus qu’homme, homme et gorille, et la peur qu’elle avait de lui s’était démesurément agrandie. Elle ne l’aimait pas, elle ne l’avait jamais aimé ; elle ne le désirait pas ; le temps était loin où elle avait bien voulu de lui, et, depuis quelques jours, elle n’imaginait pas le plaisir avec un autre que Ligny ; mais si elle s’était trouvée, en ce moment, seule avec Chevalier, elle se serait sentie sans force, et elle aurait tenté de l’apaiser par sa soumission comme on apaise une puissance surnaturelle[28].”

Dès lors, une dialectique de mensonge – un double langage – devient encore plus éminente dans la bouche de Félicie, animée par la crainte d’être vue comme ce qu’elle est – une femme, et non une actrice –, renforce son masque vis-à-vis de Chevalier attendant hélas exactement le contraire :

“Elle le craignait, et comme elle était peureuse, elle le flatta. « Mes compliments, Chevalier. Tu as été étourdissant. Ta sortie est étonnante. Tu peux me croire. Je ne suis pas seule à le dire. Fagette t’a trouvé prodigieux[29].”

Cette flatterie coûtera cher à la jeune femme.

Contre ce mensonge perpétuel et mondain s’établit une révolte – nihiliste – de Chevalier, fortement humectée d’un darwinisme pessimiste et pour le moins oxymorique, dans le sens où cette révolte mêle envie de destruction et amour fou. Cependant, il serait faux de croire que cette vision du monde est totalement délirante. Au contraire, il s’agit d’une ode à la frustration, au Désir inaccompli, d’une conscience effrayante et atrocement douloureuse que la vie n’est en fait qu’une sinistre illusion si le Désir est repoussé, réfuté, renié :

“La vie, c’est le meurtre. […] Le meurtre et le carnage, peut-être ! Mais le carnage amusant et le meurtre drôle. La vie, c’est la catastrophe burlesque, c’est le comique terrible, c’est le masque de carnaval sur des joues sanglantes. Voilà ce que c’est que la vie pour l’artiste ; l’artiste au théâtre et l’artiste en action. […] La vie, c’est autre chose encore : c’est la fleur et le couteau, c’est de voir rouge un jour et bleu le lendemain, c’est la haine et l’amour, la haine délicieuse et ravissante, l’amour cruel. […] Ce n’est pas la peur d’être tué qui m’empêcherait de tuer. Je n’ai pas peur de la mort. Mais j’ai le respect de la vie d’autrui. Je suis humain, c’est plus fort que moi[30].”

Cette vision du monde explicite bien finalement les contradictions inhérentes à l’attitude de Félicie. Cette dernière ne vit que dans le refus de regarder autour d’elle – dans une optique darwinienne – elle inspire injustement le Désir sans même le prendre en considération, elle refuse d’être l’enjeu fondamental et ontologique d’un homme. Son masque mondain nie toute sa propre condition humaine, Félicie est paradoxalement une actrice désincarnée sélectionnant à des fins ambitieuses ses passions à réinjecter bourgeoisement sur les planches. Cette vie par procuration, empreinte de mensonge et d’aveuglement, est une insulte à Chevalier, sorte de double dichotomique de Félicie. L’actrice est pour Chevalier l’allégorie de la frustration universelle, elle est la clef du bonheur mais fuit dramatiquement au profit d’un masque au mépris plâtreux. Car enfin, dans cette relation triangulaire, Ligny n’a qu’un rôle plus qu’accessoire, il incarne de manière allégorique la satiété matérielle, la renommée superficielle, et détourne Félicie de l’essentiel. Pour l’heure, nous ne pouvons pas prétendre que la construction de ce masque sera consciente ou non pour l’actrice. Elle se voudrait immortelle, d’une renommée intemporelle, alors qu’elle n’est qu’une médiocre courtisée mondaine. Chevalier lui offre-t-il la possibilité d’assumer sa propre humanité ? Non, tant que la belle se refusera à succomber au Désir de vivre non plus par procuration, non plus pour le regard des autres, mais en essence. D’ailleurs, le visage dénudé d’un Chevalier la suppliant lui reste à l’esprit de manière obsessionnelle :

“Elle méprisait Chevalier de sa douceur et de sa tranquillité. Mais le souvenir de ce visage et de cette voix lui faisait mal. Elle ne put rien manger. Elle avait des étouffements. Le soir, une angoisse si cruelle la prit aux entrailles qu’elle eut peur de mourir[31].”

La frustration ontologique de Chevalier ne peut donc être résolue. Lorsqu’il aperçoit Félicie et Ligny – allégoriquement, ceci signifie bien que le choix de Félicie est de se fondre dans son masque d’absurde mondanité et de succomber à la facilité confortable du paraître – son choc n’est en rien pathologique. Il est certes immense et incontrôlé, mais très vite l’idée du suicide se fait jour, et à partir de là, notre acteur est d’un calme olympien :

“En les voyant ensemble, il lui avait semblé que la terre s’entrouvrait, et, pour ne pas tomber, il s’était retenu au tronc de l’arbre. […] Il allait, chassé par la pluie et le vent. Ayant trop chaud, il ôta son feutre et prit plaisir à sentir les gouttes d’eau froide sur son front. Il eut une vague conscience que des maisons, des arbres, des murs, des lumières passaient indéfiniment à ses côtés ; il allait, songeant. […] Maintenant, il était tranquille, il avait pris une résolution. C’était une vieille idée qu’il avait cette fois enfoncée dans son cerveau comme un clou, et qui le traversait de part en part. Il ne l’examinait même plus. Il calculait froidement les moyens d’exécuter ce qu’il avait résolu. Il marcha devant lui au hasard, absorbé, pensif, calme comme un géomètre[32].”

Ainsi, face au drame qui se déroule dans l’intériorité désespérée de Chevalier, la cruelle Félicie consomme sa plate relation avec Ligny, dans une description[33] qui ne laisse d’offrir un contraste entre la beauté étonnante, presque surnaturelle de l’actrice, et la pauvreté absolue de ce moment d’érotisme sans plaisir. On y constate un orgueil sans borne de la jeune femme – qui semble jouer avec Ligny, ni plus ni moins – et une sorte de détachement machiste de Ligny qui ne brille guère par son intelligence. Ce couple est fondamentalement ridicule, il est à lui seul une insulte à Chevalier. Félicie admet être attirée par Ligny pour des raisons bien niaises:

“Je t’assure qu’avec toi, je suis une autre femme. Ah ! bien vrai ! tu es le premier qui m’ait eue… C’est drôle, tout de même. Dès que je t’ai vu, je t’ai voulu. Tout de suite, j’ai eu envie de toi. J’avais deviné. A quoi ? Je serais bien embarrassée de te le dire[34]… Oh ! je n’ai pas réfléchi !… Avec tes manières correctes, sèches, froides, ton air de petit loup bichonné, tu m’as plu, voilà !… Maintenant, je ne pourrais pas me passer de toi. Oh ! non, je ne le pourrais pas[35].”

Cependant, l’ombre de Chevalier plane dans la chambre, et finalement Félicie, malgré tout ce qu’elle veut bien dire, la porte perpétuellement en elle, même si c’est d’une manière inconsciente. Ainsi, au moindre bruit, elle se desserre de l’étreinte amoureuse de Ligny pour vérifier que Chevalier n’est pas dans les parages. Ce qui est remarquable, c’est qu’elle bondit instinctivement, sans réfléchir :

“Il la pressa contre lui et sentit ce corps souple et ferme répondre à son étreinte. Tout à coup, elle se dégagea. […] Assise, repliée sur elle-même, elle tendait l’oreille. Il était déçu, agacé, irrité, et peut-être un peu blessé dans son amour-propre. […] Elle épiait un bruit léger et proche comme de branches cassées. Tout à coup elle sauta du lit avec une telle vivacité d’instinct et un mouvement si rapide de jeune animal que Ligny, bien qu’il fût peu littéraire, songea à la chatte métamorphosée en femme[36].”

On voit bien ici qu’Anatole France tient l’inconscient pour une instance majeure dans le caractère de Félicie. Ne ressent-elle pas, au fond d’elle-même, une culpabilité certaine à se donner à ce bellâtre de Ligny sans tenir à lui pour d’autre raison que purement mondaine, alors que Chevalier fond dans le désespoir ontologique au même moment ?

Dès lors, Chevalier met fin à ses jours d’une manière toute théâtrale et froidement calculée, ne pouvant qu’accentuer cette culpabilité de Félicie de façon définitive. Son suicide va au-delà d’un simple chantage affectif, il vise à mettre bas le masque de Félicie. En mettant fin à ses jours, Chevalier punit l’orgueil et la légèreté de l’actrice, il punit son égoïsme. Son suicide est une sorte de damnation, il permet au jeune homme d’offrir à la cruelle Félicie le sentiment même de la frustration qui consumait son être et qu’il ressentait par trop ardemment. Anatole France décrit le corps du malheureux avec une certaine délectation sordide – le luxe de détails concernant les méninges de Chevalier mises à découvert par la balle du revolver en est l’illustration – prouvant ainsi que Félicie ne peut qu’être intimement et irrémédiablement choquée par ce qu’elle a vu. En fait, ce suicide n’est autre, sur un plan symbolique, qu’une immense leçon, un camouflet véritablement scandaleux, dans toute son atrocité et tout son cynisme glacial. Félicie ne pourra donc supporter ce choc, puisque la mise en scène du suicide est prévue pour choquer ; on peut d’ailleurs mettre en parallèle l’image dénudée du corps de Félicie s’offrant à Ligny[37] et celle du corps sans vie de Chevalier[38] : ces deux personnages sont bien devenus, à travers le suicide de Chevalier, un couple par delà la mort elle-même.

La seule parade que Félicie trouve inconsciemment pour tenter de se protéger de ce choc ontologique est de régresser : Ligny “la retrouva dans la chambre à coucher qui, la tête sous les draps du lit défait [sic], criait : « Maman ! maman ! » et récitait ses prières[39].” Ainsi, Ligny résout bien vite le suicide de Chevalier, ce qui est naturel, puisqu’il n’en est pas le destinataire. Le cheminement de Ligny est d’ailleurs fort simple car d’une pragmatique médiocrité : saisi d’un vague sentiment de culpabilité, il vérifie que le corps de Chevalier est bien sans vie, puis conclut que finalement tout est mieux ainsi. Il s’occupe des démarches juridiques et morales envers le défunt – ce qui est une façon comme une autre d’entamer un deuil qui sera très bref –, et tout s’arrête là. On pourra simplement noter une dialectique de renversement du dedans et du dehors occasionnée par la mort de Chevalier, que Ligny remarque malgré lui :

“Il sortit de la maison et se mit à marcher à grands pas dans le jardin. L’image de la blessure flottait devant ses yeux comme l’impression d’une lumière trop vive. Elle allait et grandissait ; elle formait dans la nuit sur le ciel noir un continent pâle d’où il voyait jaillir éperdus des négrillons armés de flèches[40].”

Plus loin, on devine qu’une certaine instance issue de Chevalier continue de s’infuser dans le ciel :

“En regagnant à pied la barrière, il vit sur Paris une lueur rouge qui remplissait tout le ciel. Aux faîtes des cheminées, les tuyaux se dressaient, grotesques et noirs, devant cette brume ardente et semblaient regarder avec une familiarité ridicule l’embrasement mystérieux d’un monde. […] Bien qu’il sût que, dans les nuits des villes, souvent l’air humide reflète les lumières et se colore de cette lueur égale qui ne palpite pas, il s’imaginait voir le reflet d’un immense incendie. Il acceptait sans réflexion que Paris s’abîmât dans une conflagration prodigieuse ; il trouvait naturel que la catastrophe intime à laquelle il était mêlé se confondît avec un désastre public et que cette nuit, enfin, fût pour tout un peuple comme pour lui-même, une nuit sinistre[41].”

La mort atroce de Chevalier laisse des traces, comme une sorte d’écho, dans l’inconscient de Ligny, qui voit le monde au travers d’un filtre réflexif : ces traces inconscientes se projette dans le monde, et ce sont elles que Ligny contemple malgré lui. Ce système projectif sera également utilisé par Anatole France, quoique à une puissance énième, pour dépeindre les hallucinations de Félicie[42]. C’est ainsi que notre auteur paraît personnifier l’inconscient au moyen de ce projet d’obsessions non explicitement exprimées qui s’incruste dramatiquement dans la réalité. On comprend alors que l’inconscient francien, s’il n’est pas clairement défini, est pourtant fortement présent, puisque c’est lui qui induit ce jeu de miroirs dont les hallucinations sont l’allégorie, la grammaticalisation, si on veut. Le personnage de Félicie ne peut clairement ressentir sa frustration, ni même son sentiment obsessionnel de culpabilité, sans subir cette projection de son inconscient dans le réel, au travers d’hallucinations oniriques. Ceci signifie que l’inconscient transgresse sans aucune difficulté le masque de l’actrice, et qu’elle ne peut échapper à sa propre condition. Toute ambition mondaine, tout orgueil, toute superficialité désagrégeante de son humanité, sont ici pulvérisés par son inconscient.

Dès lors, Félicie est immédiatement attaquée par ses hallucinations. Lorsque après le suicide elle réapparaît pour la première fois, elle est bien diminuée :

“Nanteuil parut, emmitouflée dans ses fourrures, son petit sac et son rôle à la main, blanche comme un linge, les yeux battus, les jambes molles. Elle avait passé une nuit pleine d’épouvantes. Tout éveillée, elle avait vu le mort entrer dans sa chambre[43].”

La première preuve que le masque de Félicie est dramatiquement fissuré, est qu’elle ne joue plus. C’est bien problématique pour une actrice, et sa renommée est donc potentiellement mise à mal. D’ailleurs, elle pense d’abord au ridicule dont elle est couverte par le suicide, d’un point de vue purement social : “Elle sentait que Chevalier, en se suicidant pour elle, avait agi publiquement à son égard avec une familiarité qui la rendait ridicule[44].” Ceci se transforme bientôt en petit scandale, dans les milieux mondains, car Chevalier s’étant suicidé, l’Eglise lui refuse un enterrement chrétien. Il faut donc aller trouver le docteur Trublet pour établir un certificat prouvant que Chevalier n’avait plus toute sa raison, seul moyen pour que l’Eglise accepte de célébrer l’enterrement. Certes, le problème social et moral posé par le suicide semble fondamental dans le fil du récit. Mais il n’est que secondaire, c’est un leurre, car pendant que se joue le sort de la dépouille du malheureux, Félicie ne peut en rien entamer son travail de deuil. Or Trublet, une sorte de double d’Anatole France, refuse d’abord de livrer ce certificat : “Mais alors Nanteuil, les yeux ardents, la voix sifflante : « Il faut qu’il aille à l’église, docteur ; signez ce qu’on vous demande, écrivez qu’il n’avait pas sa raison. Je vous en prie[45].” De fait, l’enterrement de Chevalier est lui-même symbolique : il correspondrait à un enfouissement définitif de la frustration et de la culpabilité de Félicie. Ce refus de l’Eglise est donc d’une malicieuse cruauté et Félicie se retrouve face à une frustration et à un remords décuplés. Cet enterrement chèrement désiré par Félicie est une fuite de sa propre intériorité :

“Il n’y avait pas que de la religion dans ce désir. Il s’y mêlait un sentiment intime et un fond obscur de vieilles croyances, ignorées d’elle-même[46]. Elle espérait que, porté à l’église, aspergé d’eau bénite, Chevalier serait apaisé, deviendrait un bon mort et ne la tourmenterait plus. Elle craignait, au contraire, que, privé de bénédictions et de prières, il n’errât sans cesse autour d’elle, maudit et malfaisant. Et, plus simplement, dans sa peur de le revoir, elle voulait que les prêtres aussi prissent soin de l’enterrer, que tout le monde s’y mît, pour qu’il le fût davantage, autant qu’il était possible et tout à fait. Ses lèvres tremblaient ; elle tordait ses mains jointes[47].”

C’est ici la preuve que Chevalier disparu est bien plus présent que Chevalier en vie, et que c’est maintenant que Chevalier et Félicie forment un couple véritable. Il habite désormais irrémédiablement l’intériorité de Félicie, ceci même si la belle n’en a bien évidemment pas conscience. Chevalier est maintenant indistinct de cette zone d’ombre qu’est l’inconscient, il est derrière le masque. Il s’agit bien d’une sorte de hantise, de possession symbolique. On comprend que le suicide de Chevalier a pu, d’une certaine manière, assouvir une fois pour toutes son Désir ontologique et tromper sa frustration : par le suicide, Chevalier a donné un sens à son existence. Cette vision est pessimiste et confine certes à l’absurde.

Cependant, ce suicide revêt également une valeur initiatique pour Félicie ; elle-même va désormais être confrontée au Désir, il n’est maintenant plus question pour elle de vivre pour le succès et l’ambition : il va lui falloir assumer sa propre condition humaine, donner un sens à son existence, et son inconscient la tourmentera jusqu’à ce que son Désir soit explicite, jusqu’à ce que le masque soit tombé. Telle est la connexion profonde existant entre Désir et inconscient.

La clef d’Histoire comique est détenue vraisemblablement par le docteur Trublet :

“Je dis que la volonté est une illusion causée par l’ignorance où nous sommes des causes qui nous obligent à vouloir. Ce qui veut en nous, ce n’est pas nous, ce sont des myriades de cellules d’une activité prodigieuse[48], que nous ne connaissons pas, qui ne nous connaissent pas, qui s’ignorent les unes les autres, et qui pourtant nous constituent. Elles produisent par leur agitation d’innombrables courants que nous appelons nos passions, nos pensées, nos joies, nos souffrances, nos craintes et notre volonté[49].”

Cette définition mécaniste de l’inconscient – de cette détermination charnelle de nos actes au-delà de la volonté – est tout entière issue d’un atomisme épicurien repris par Lucrèce, très cher à Anatole France[50]. En d’autres termes, cette définition de l’inconscient va elle aussi dans le sens d’une indétermination profonde de nos actes soumis à l’illusion de la volonté, et rend compte de la prééminence de l’inconnu dans la détermination même de notre existence. Dans cette optique, elle ramène une fois encore le Désir au centre du débat. Sachant que nous sommes soumis à l’instance de l’inconscient, qui détermine nos actes malgré nous, nous n’en restons pas moins avides de désirer donner un sens à notre existence et dévoiler le logos. Dès lors, Félicie Nanteuil vivant dans ce mensonge de la mondanité et de la réputation, ne peut pourtant aller au-delà de la puissance perturbatrice de son inconscient et de son Désir. Chevalier n’en a été, à travers son propre Désir dramatiquement frustré, que le sombre révélateur.

Ainsi, Félicie continue de voir Chevalier. Trublet lui prouve que cette hallucination n’est qu’un symptôme de culpabilité non assumée : “Ma petite Nanteuil, croyez-moi. Les fantômes des morts n’ont pas plus réalité que les fantômes des vivants[51].” Il ne s’agit en rien d’un retour des morts vivants. Trublet pense, à l’instar de Lucrèce, qu’il n’y a rien d’effrayant dans la mort, que celle-ci est naturelle. Cependant, Félicie ne cessera plus d’être la proie de son inconscient, ni de son Désir.

Elle qui se voulait actrice immortelle se trouve confrontée à l’image précise de sa propre mort lors de l’enterrement de Chevalier :

“Elle l’avait revu, cette nuit, et elle pensait qu’il était revenu parce que les prêtres n’avaient pas encore prononcé sur lui les paroles de paix. Puis, songeant qu’un jour elle mourrait aussi et serait couchée comme cet homme dans un cercueil, sous un drap noir, elle frissonna d’épouvante et ferma les yeux. L’idée de la vie était si puissante en elle qu’elle se figurait la mort comme une vie affreuse. Elle eut peur de mourir, et elle pria pour vivre longuement[52].”

Ainsi, une double lecture de l’enterrement se tisse, coextensive du renversement du dedans et du dehors qui a eu lieu lors du suicide de Chevalier. L’enterrement chrétien n’est finalement prétexte qu’à une réunion mondaine sans intérêt, où on postule niaisement sur l’essence de la mort, en disant un grand nombre d’inepties d’un égoïsme sans borne[53]. Cependant, pour Félicie Nanteuil, il ne s’agit pas du même enterrement : elle est confrontée elle-même à l’essence de la mort, et autant l’assistance postule sur ce qui lui reste à vivre, comme un jeu naïf, autant la jeune femme suit le cercueil comme si celui-ci avait été un psychopompe vers le Désir. Plus elle fait des efforts pour enterrer définitivement le cercueil et fuir Chevalier, plus elle se précipite vers l’image glaciale de sa propre intériorité :

“Bientôt il n’y eut plus de voie tracée. Il fallut, à la suite du cercueil agile, du prêtre et des enfants de chœur, s’éparpiller, enjamber les pierres couchées et se couler entre les cippes et les stèles. On perdait, on retrouvait le mort. Nanteuil mettait de l’ardeur à le poursuivre, inquiète, brusque, son livre à la main, tirant sa jupe accrochée aux grilles, et frôlant les couronnes sèches qui laissaient sur sa robe les têtes d’immortelles. Enfin, les premiers arrivés sentirent l’odeur âcre de la terre fraîche et, du haut des dalles voisines, virent la fosse dans laquelle descendait le cercueil. […] Chacun vint jeter de l’eau bénite sur le cercueil. Nanteuil surveilla tout, les prières, les pelletées de terre, les aspersions, puis, agenouillée sur un coin de tombe, à l’écart, elle récita avec ferveur : « Notre Père qui êtes aux cieux…»[54].”

Chevalier en étant enterré est pourtant devenu impossible à enfouir… Il hante l’inconscient de Félicie et son souvenir explicite est loin de mettre au jour tous ses tentacules. Il est devenu une obsession :

“Ce que, depuis sa mort, il était devenu pour elle, elle n’aurait pu le dire, tant c’était hors de ses croyances et contraire à sa raison et tant les mots qui l’eussent exprimé lui semblaient vieux, ridicules et hors d’usage[55].”

Par conséquent, le masque de Félicie se fêle de plus en plus, toujours de façon inconsciente[56]. Dès qu’elle pense pouvoir avoir de nouveaux rapports avec Robert Ligny, l’image de Chevalier lui réapparaît, de manière presque surnaturelle, comme si ce dernier était devenu une allégorie de sa propre censure. Or, ce refus qu’elle impose à Ligny éveille chez ce bellâtre une frustration charnelle tellement désagréable, qu’il finit bien vite par voir Félicie telle qu’elle est, décevante, dans toute sa personnalité, sans masque :

“Il eut sur elle des pensées qui n’étaient pas bienveillantes. Il la savait menteuse et peureuse, méchante pour ses amies. Il avait la preuve qu’elle aimait les plus sales cabots et que, tout au moins, elle s’en arrangeait. […] Il se représenta tout le mal qu’il savait d’elle et se persuada que c’était une petite rosse[57] ; et, sentant qu’il l’aimait, il pensa qu’il l’aimait seulement parce qu’elle était très jolie[58].”

Ainsi, ce faisant, il devient l’inverse même de Chevalier, qui désirait Félicie justement pour ce qu’elle était sous le masque. Il est piquant de constater qu’à lui aussi Chevalier apparaît en hallucination, et que cette apparition prouve que Ligny est également en proie à la culpabilité, tourmenté par son inconscient.

“A regarder le coke rouge dans la grille[59] de la cheminée, il s’était brûlé les yeux. Il les ferma de douleur et vit, sous ses paupières closes, les nègres qui s’agitaient dans un tumulte obscène et sanglant[60]. Tandis qu’il cherchait de quel livre de voyages, lu dans des années d’adolescence, sortaient ces noirs, il les vit diminuer, se résoudre en points imperceptibles et disparaître dans une Afrique rouge, qui peu à peu représenta la blessure aperçue à la lueur d’une allumette la nuit du suicide. Il songea : « Cet imbécile de Chevalier. Je n’y pensais guère. » Tout à coup, sur ce fond de sang et de flamme parut la forme cambrée de Félicie, et il sentit en lui se tendre un désir cruel et chaud[61].”

Quant à Félicie Nanteuil, ses hallucinations ne cessent pas et le visage rieur de Chevalier lui apparaît lorsqu’elle se mire dans une glace. Nous sommes là dans une sorte de mythe de l’androgyne[62], où la complémentarité entre Chevalier et Félicie est enfin sombrement réalisée. Une seconde dialectique de renversement du dedans et du dehors a eu lieu, et Chevalier et Félicie ne font maintenant plus qu’un. Chevalier voit donc son Désir irrémédiablement résolu. Pourtant, il est mort : tout ceci est-il donc seulement une construction inconsciente de Félicie, qui lutte contre sa culpabilité, désormais en butte à sa pauvre condition humaine sans plus aucun masque, ou au contraire y a-t-il une fantastique manifestation de Chevalier sous la forme d’un spectre ? L’ambiguïté n’est justement qu’apparente, puisque Anatole France reconnaît l’existence de l’inconscient. De fait, il se dégage une certaine poésie de ce mythe de l’androgyne enfin achevé, ou encore de celui de Tristan et Yseut où l’amour est enfin résolu par delà la mort elle-même. De même, cette histoire de revenant n’aurait pas été pour déplaire aux adeptes spiritistes d’Allan Kardec. Et pourtant, c’est sur un plan pleinement psychiatrique qu’il faut se placer : les hallucinations de Félicie ne sont que le fruit d’une machiavélique mise en scène de Chevalier, la dernière et sans doute la plus géniale de toute l’histoire du théâtre. La comédie est maintenant vécue et l’absurdité de la situation est tout à l’avantage de Chevalier, même s’il est trop tard pour qu’il puisse en profiter. Son suicide est donc bien à double tranchant : il permet la réalisation de son Désir et met fin à sa frustration, mais il y perd la vie. En effet, le jeune homme savait pertinemment que son image resterait en écho dans l’intériorité de Félicie, et c’est bien cet écho qui résiste à l’oubli et à la volonté de la belle, et rien d’autre. Chevalier devait savoir la jeune femme par trop superstitieuse, par trop hystérique aussi, pour continuer à fréquenter son ennemi juré, Ligny.

Dès lors, la hantise de Chevalier n’est autre qu’une immense œuvre de cristallisation inconsciente de Félicie. D’ailleurs, lorsque l’hallucination devient acoustique, elle n’a pas la même voix que celle de Chevalier, car Félicie l’a oubliée. Cette vengeance est machiavélique, puisque évidemment le couple Félicie-Ligny ne peut plus exister : lorsque Ligny laisse Félicie parce qu’elle se refuse à lui – il s’enfuit lâchement à La Haye, preuve que leur relation était établie sur des fondations on ne peut plus superficielles – Félicie est en proie à une hyperbole de la dégradation dramatique, et subit une sinistre métamorphose :

“Félicie devenait sombre, maussade et chagrine. Des plis se creusaient dans son joli visage ; sa voix grinçait. […] Elle était violente parce qu’elle souffrait. Les lettres qu’elle recevait de La Haye irritaient son amour et le rendaient douloureux. Elle se desséchait, en proie aux images brûlantes. Quand elle voyait trop précisément son ami absent, ses tempes bourdonnaient, son cœur battait violemment, puis une ombre lourde s’épaississait dans sa tête ; toute la sensibilité de ses nerfs, toute la chaleur de son sang, toutes les forces de son être coulaient en elle et descendaient pour s’amasser en désir dans les profondeurs de sa chair[63].”

Là encore, on saisit bien les connexions établies par Anatole France entre l’inconscient et le Désir. Cette grille, cette immense séparation instituée inconsciemment par le suicide de Chevalier, c’est bien – nous ne dirions plus la conscience, mais plutôt l’évidence la plus profonde, la plus ontologique, de l’âme et du corps pour la frustration universelle inhérente à la condition humaine. Ce Désir irrémissible qui taraude Félicie dans sa chair est cet élan fondamental pour dépasser cette invivable frustration, et donc pour accéder au logos – ici figuré par le mythe de l’androgyne –, c’est-à-dire pour accéder à l’adéquation de soi avec l’univers. On comprendra ainsi que l’homme ne peut en rien échapper au Désir, que celui-ci est protéiforme, et que la volonté est incapable de le contrer, puisqu’il est inconscient, inscrit au cœur de la réalité charnelle de l’homme, très au-delà et en même temps très en-deçà de l’intelligence.

 


[1] Histoire comique est issue d’une nouvelle remaniée, « Chevalier », parue dans La Vie contemporaine – Revue de famille le 15 décembre 1894, p.621-638. Histoire comique paraît dans La Revue de Paris en trois épisodes, du 15 décembre 1902 au 15 janvier 1903. Son édition originale chez Calmann-Lévy date du 29 avril 1903. Notre texte de référence se trouve dans Pléiade, tome III, p.843-993. Se reporter à la notice de Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome III, p.1396-1406, pour comprendre le contexte biographique dans lequel ce roman est écrit. On gardera surtout à l’esprit les relations ombrageuses d’Anatole France avec les femmes – et les actrices – pour considérer Histoire comique comme le roman d’une vengeance envers la frustration : “Combien de fois n’a-t-il pas dû rêver d’un acte mélodramatique qui aurait à la fois prouvé son désespoir et brisé la vie de ces cruelles ! Il l’accomplit fantasmatiquement [sic] dans le personnage de Chevalier”, p.1398.

[2] Anne Clancier est spécialiste de D. W. Winnicot (le père de la pédopsychiatrie), et est coauteur, avec A. Berge et P. Ricoeur, d’Entretiens de l’art et la psychanalyse, Mouton, Paris-La Haye, 1968.

[3] Certains psychiatres pensaient au contraire, au XIXe siècle, que ce type de structure était névrotique. C’est le cas de J.-M. Charcot lorsqu’il décrit la structure hystérique des mystiques. Voir J.-M. Charcot, L’Hystérie, Privat, Toulouse, 1971 (tiré des Leçons du mardi à la Salpêtrière, Paris, 1887).

[4] Cité par Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome III, p.1400-1401.

[5] B. Ball, Leçons sur les maladies mentales, Paris, 1853.

[6] Cette définition est très controversée, car dans sa teneur mécaniste, elle peut être confondue avec une simple erreur des sens. Voir H. Faure, Hallucinations et réalité perceptive, 1965, 2ème édition, Fayard, Paris, 1969.

[7] Cette définition est tirée d’un mémoire de 1817 de E. Esquirol (1772-1840), in Des Maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, 2 vol., J.-B. Baillière, Paris, 1938. Il faut noter qu’en 1902, les études psychiatriques sur l’hallucination n’offrent des modes thérapeutiques que très partiellement convaincants, et que la guérison du malade n’est pas encore possible (sédatifs, calmants, hydrothérapie, physiothérapie et thérapeutiques suggestives.)

[8] Anatole France, Histoire comique, Pléiade, tome III, p.845.

[9] N. Trublet est en fait un contemporain de Marivaux, qui écrit dans ses mémoires : “« M. de Marivaux a des tics, des refrains désagréables dans la conversation. Par exemple, il dit à tout moment de ce qu’il vient de dire : cela est vrai au moins, ce que je vous dis là est vrai. »

[10] Cette interprétation est purement ironique et s’appuie sur l’ouvrage de Brierre de Boismont, Des Hallucinations, Paris, Baillière, 1862, cité par Anatole France, Pléiade, tome III, p.846 : “Une mauvaise disposition des organes digestifs, en réagissant sur le cerveau et les membranes, a souvent donné lieu à des hallucinations. Il en est de même des congestions, des inflammations des organes.”, p.238.

[11] Voir Anatole France, ibid., p.855-856.

[12] Le chat des visions a des yeux de braise

[13] Anatole France, ibid., p.856-857. On reconnaîtra une situation triangulaire très classique dans la comédie, par exemple dans celle de Marivaux. Il semble que cette situation soit mise en abyme dans la “réalité” du récit. C’est ce en quoi cette histoire est comique, à la puissance deux serait-on tenté de dire. Le moteur dramatique de cette comédie est bien le couple Désir / frustration. D’ailleurs, cette mise en scène est également une mise en abyme de la propre vie d’Anatole France, tourmentée avec les femmes dans cette année 1902. Dès lors, la configuration théâtrale par excellence de la relation triangulaire est compréhensible. Le personnage de Félicie rassemble toutes les frustrations de France vis-à-vis des femmes, et plus encore vis-à-vis des actrices. Cette thématique est d’ailleurs omniprésente dans sa production littéraire – il n’est qu’à songer au personnage de Thaïs – et le conduira à sa perte lors de sa malencontreuse relation avec Jeanne Brindeau, qui entraînera Léontine de Caillavet au suicide (voir supra, I.3.1.a, p.199.)

[14] Félicie est à l’inverse de toute rationalité. Elle se trouve donc dans le domaine de l’instinct, c’est-à-dire de l’inconscient et du pulsionnel, ce qu’elle met certes au service du théâtre, mais pas seulement – ce en quoi Anne Clancier parle de structure hystérique de sa personnalité (impulsivité et altérabilité émotionnelle). Félicie est une femme à fleur de peau, une femme fusionnelle sans distanciation avec ses sens et le réel. Dans cette optique, ses hallucinations sont logiques.

[15] « À peine oserai-je dire que moi-même, dans une circonstance de ma vie où j’éprouvai un chagrin profond, la passion du théâtre était telle en moi qu’accablé d’une douleur bien réelle, au milieu des larmes que je versais, je fis malgré moi une observation rapide et fugitive sur l’altération de ma voix et sur une certaine vibration spasmodique qu’elle contractait dans les pleurs : et je le dis non sans honte, je pensai machinalement à m’en servir au besoin. », écrit F.-J. Talma au siècle dernier in Réflexions sur Lekain et l’art théâtral, Paris, 1825. De fait, cette façon fusionnelle de concevoir l’acteur est à l’opposé des principes édictés par Diderot, qu’il nomme le paradoxe du comédien : un bon acteur se doit d’être insensible, et au contraire c’est l’extrême sensibilité qui fait l’acteur médiocre, puisque c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais comédiens. Le grand acteur, à travers son insensibilité, peut avoir un jeu égal d’une représentation à l’autre, puisqu’il peut rendre les signes extérieurs de sa sensibilité de manière totalement contrôlée, en dehors justement de toute hystérie et de tout cliché. Cette conception du jeu théâtral fut controversée très longtemps et réfutée par la Comédie française notamment (Mounet-Sully, Sarah Bernhardt, Louis Jouvet, Ludmilla Pitoëff, Pierre Brasseur, Béatrix Dussane). C’est vraisemblablement Charles Dullin qui met fin à cette controverse, en prétendant que la sensibilité est nécessaire à l’acteur, mais que l’intellect doit veiller à contrôler la charge émotive. Ceci dit, Anatole France considère Félicie vraisemblablement sous un œil proche de celui de Diderot : sous le joug de la passion, elle ne peut être qu’une médiocre exaltée un rien exhibitionniste. Il s’agit d’ailleurs, ne l’oublions pas, d’une thématique littéraire très ancrée dans l’air du temps, parcouru par exemple par un nombre impressionnant de Salomé toutes plus hystériques les unes que les autres, dans le théâtre d’Oscar Wilde notamment. Félicie, qui va pousser Chevalier au suicide, ne peut pas être considérée autrement que dans cette dimension de sens exacerbés, poussant au paroxysme la frustration du Désir de Chevalier.

[16] Anatole France, ibid., p.857.

[17] La jalousie est inséparable du Désir, c’est, selon le mot de Bossuet, une passion sans partage.

[18] Cette dernière phrase peut être également prise au sens figuré.

[19] Anatole France, ibid., p.858.

[20] Anatole France, ibid., p.863.

[21] Anatole France, ibid., p.865.

[22] C’est là l’une des problématiques fondamentales du Désir : parce qu’on ne peut posséder ni le logos ni Autrui, le Désir ne peut être épuisé : le Désir n’existe plus ; il est donc en perpétuel projet dialectique. Le Désir frustré de Chevalier le rend aveugle et irraisonné de manière qui ne tardera pas à devenir tragique.

[23] Anatole France, ibid., p.865-866.

[24] Anatole France, ibid., p.869-870.

[25] Anatole France fait ironiquement allusion à la malédiction de Pasiphaé, femme de Minos, qui ne peut s’empêcher d’être attirée par un taureau. Elle deviendra la mère du fameux Minotaure.

[26] Anatole France, ibid., p.870.

[27] Le théâtre est devenu une sorte d’ascèse mondaine, où la réalité de soi est subsumée à l’ambition démesurée. L’Histoire comique devient comique à une puissance trois : il s’agit bien d’humaine comédie, thème cher à Anatole France déjà explicitement exploité dans Le Puits de sainte Claire.

[28] Anatole France, ibid., p.875. L’amour pour Félicie est strictement d’ordre sensuel. On est toujours dans l’horizon d’éprouver les passions, pulsion égocentrique et superficielle au profit de la jouissance immédiate. Cette jouissance mondaine et corporelle forme un masque à Félicie, et ce masque lui va à ravir, comme lorsqu’elle joue un rôle sur les planches. Or Chevalier paraît bien être en mesure d’aller au-delà de ce masque, dans le sens où sa force est justement d’être tout entier livré à ses pulsions et au Désir, sans le moindre sous-entendu. Cette pureté offre donc une certaine complémentarité entre Chevalier et Félicie Nanteuil, qui va bien au-delà de l’image sociale et mondaine offerte par sa liaison avec Ligny. Nous sommes devant un système qui pourrait ressembler à ceux pratiqués par Marivaux, par exemple dans Le jeu de l’amour et du hasard, où très schématiquement la belle Sylvie ne peut laisser libre cours à sa passion pour Dorante grimé comme un valet en Arlequin sans arborer un masque de soubrette, avant de découvrir que la passion pour Dorante qui l’anime est sincère et qu’elle dépasse de loin les convenances sociales. Nous voyons que Félicie non seulement désire être désirée, mais qu’en plus elle désire être regardée comme désirée. Ce jeu de regards d’autrui est le plus solide des masques. Sa réussite sociale en dépend, elle est tout immergée dans la mondanité et dans la fuite de ce qu’elle est vraiment. Ce décalage entre le masque social et sa propre identité immergée dans une grande instabilité est l’expression même de son inconscient, qu’elle projettera dans ses hallucinations.

[29] Anatole France, ibid., p.876.

[30] Anatole France, ibid., p.878.

[31] Anatole France, ibid., p.879. Cette conscience de la mort est un rappel impérieux et inconscient de la réalité charnelle à l’opposé du masque mondain. Les symptômes de douleur physique s’imposent, prouvant par là que c’est bien une tragédie inconsciente du Désir qui ourle l’intériorité – et le corps – de Félicie : pourra-t-elle enfin concilier son masque avec la réalité des choses, son orgueilleuse envie d’être adulée et immortelle avec la médiocrité de sa condition purement humaine dans un sens darwinien ? On pressent alors que la vue de Chevalier lui sera atroce, puisque cette conscience même de sa réalité charnelle nie toute la construction de son personnage qu’elle joue le jour comme la nuit.

[32] Anatole France, ibid., p.881. Anatole France porte là une belle estocade aux considérations traditionnelles sur le suicide. La problématique posée par le suicide est totalement ancrée dans l’air du temps (Le Suicide de Durkheim paraît en 1897, et c’est à propos des problèmes d’Anna O. que Freud fonde ses analyses sur le suicide dans Etudes sur l’hystérie (1893-1895) ). Nous pourrions longtemps nous demander quel est le statut véritable du suicide dans la pensée francienne. A dire vrai, peu de ses personnages finissent ainsi. Ils souffrent souvent, mais en arrivent rarement à cette extrémité. Anatole France songea d’ailleurs, bien sur le tard, à mettre fin à ses jours après la disparition de Léontine de Caillavet, mais il ne s’agit pas là d’une obsession parcourant ses écrits littéraires ni même théoriques. Il s’agirait plutôt d’un triste aléa conjoncturel. En fait, la question n’est en apparence pas abordée dans ses articles théoriques ou dans ses discours. Dans Histoire comique, notre auteur échafaude pour Chevalier un suicide qui va au-delà des interdits moraux ou religieux – la question ne se pose même pas – et au-delà également des problématiques posées par la psychiatrie de l’époque à propos du suicide. Nous allons essayer de comprendre la valeur de ce suicide symbolique.

[33] Voir Anatole France, ibid., p.886-888.

[34] Effectivement, ce n’est guère surprenant…

[35] Anatole France, ibid., p.887.

[36] Anatole France, ibid., p.888. Il est aussi fait allusion à cette chatte métamorphosée en femme dans Le Petit Pierre, Pléiade, tome IV, p.987 : “Mme Sibille, qui se nommait Hermance, blanche, menue, souple, les yeux verts, les pommettes pointues, le menton court, représentait assez bien la chatte métamorphosée en femme.” Il s’agit d’une référence à « La Chatte métamorphosée en femme » in les Fables de J. de la Fontaine, livre II, fable XVIII. Cette fable conte le paradoxe existant entre l’être et le paraître : la chatte métamorphosée en femme reste une chatte ; nul ne peut rien contre le naturel des hommes qui toujours l’emporte, quelles que soient les tentatives pour aller à son encontre : “Quelque chose qu’on puisse faire, on ne peut le réformer.

[37]Maintenant sa tête renversée baignait dans la chevelure blonde qui coulait de toutes parts ; son corps gracile, un peu soulevé par un oreiller glissé sous les reins, était étendu sans mouvement ; une jambe allongée au bord du lit brillait et le pied aigu la terminait en pointe d’épée. La clarté du grand feu allumé dans la cheminée dorait cette chair, faisait palpiter des lumières et des ombres sur ce corps inerte, le revêtait de splendeur et de mystère, tandis que les vêtements et le linge, couchés sur les meubles, sur le tapis, attendaient comme un troupeau docile. ”, Anatole France, ibid., p.887.

[38]Chevalier était couché sur le côté en travers de la porte. Il avait les paupières grandes ouvertes, l’air de regarder et de rire. Un filet de sang coulait de sa bouche sur la dalle du perron. Un tremblement convulsif agitait son bras. Puis il ne bougea plus. Replié sur lui-même, il avait l’air plus petit qu’avant.”, Anatole France, ibid., p.889.

[39] Anatole France, ibid., p.889.

[40] Anatole France, ibid., p.892.

[41] Anatole France, ibid., p.897.

[42] Sur la pensée francienne et la phénoménologie du Désir, voir infra, III.1, p.379.

[43] Anatole France, ibid., p.898.

[44] Anatole France, ibid., p.901.

[45] Anatole France, ibid., p.909.

[46] Donc d’archétypes enfouis profondément dans l’inconscient de Félicie. On trouve là encore une preuve qu’Anatole France reconnaît bien l’existence de l’inconscient, dans une acception d’ailleurs fort moderne.

[47] Anatole France, ibid., p.909.

[48] Ici, nous voyons encore une affirmation de la réalité charnelle.

[49] Anatole France, ibid., p.911.

[50]En premier lieu je dis que l’esprit, ou la pensée, comme on l’appelle souvent, dans lequel résident le conseil et le gouvernement de la vie, est partie de l’homme non moins que la main, le pied, et les yeux sont partie de l’ensemble de l’être vivant.”, Lucrèce, De Natura Rerum, ibid., « Rapports de l’esprit et de l’âme », Livre III, p.103.

[51] Anatole France, ibid., p.920. La thématique des spectres est bien dans l’air du temps (le Livre des esprits de Kardec date de 1857.) Cependant, il faut voir ici un brin de moquerie ou de cynisme dans la bouche du rationnel docteur Trublet. Dans ce sens, le spectre de Chevalier rejoint les hallucinations projectives de Félicie : il s’agit bien d’une matérialisation de l’imaginaire, ce qui est fondamental chez Anatole France, dans le sens où l’imaginaire a autant d’importance pour l’homme que le réel.

[52] Anatole France, ibid., p.926.

[53]Les mouchoirs essuyèrent des larmes. Les comédiens pleuraient sincèrement ; ils pleuraient sur eux.”, Anatole France, ibid., p.936.

[54] Anatole France, ibid., p.934-935.

[55] Anatole France, ibid., p.939.

[56]Robert, as-tu remarqué que les gens ne sont jamais naturels ? Ils ne disent pas une chose parce qu’ils la pensent. Ils la disent parce qu’ils croient que c’est celle-là qu’il fallait dire. Cette habitude les rend très ennuyeux.”, Anatole France, ibid., p.939.

[57] Ce sont exactement les termes qu’employait Chevalier à l’égard de Félicie.

[58] Anatole France, ibid., p.948.

[59] Nous notons que la thématique de la grille est omniprésente dans Histoire comique, que ce soit au cimetière, dans la chambre de Ligny, ou même dans la pièce répétée par Félicie qui porte ce titre. Ce thème est coextensif du feu et de l’emprisonnement, et illustre la consomption de la personnalité et de la volonté de Félicie et, à un moindre égard, de Ligny, par le Désir et par l’inconscient. La grille symbolise la damnation offerte par le suicide de Chevalier, et la prise de possession de l’intériorité de Félicie. La pièce de théâtre elle-même est une sorte de mise en abyme de cela : “Maintenant que je suis sous votre toit, vous me direz ce que vous avez dit au chevalier d’Amberre, votre ennemi, quand il eut franchi cette grille. Vous me direz : Vous êtes chez vous : commandez.” (p.951).

[60] Voici encore une matérialisation onirique de l’inconscient, sous la forme de phosphènes aux contours franchement orientés.

[61] Anatole France, ibid., p.948.

[62] Ce mythe, qui nous est transmis notamment sous le nom de mythe d’Aristophane dans le Banquet de Platon, intrigua énormément Freud dans sa recherche sur la bisexualité originaire. Platon rapporte qu’à l’origine, la Terre était habitée d’êtres à quatre bras et à quatre jambes, en forme de boules, qui se révoltèrent contre Zeus et qui furent durement punis en étant séparés en deux par Zeus, recousus par Hermès. Depuis, les corps des humains sont percés aux endroits qu’Hermès a infibulés, et chacune des moitiés de l’androgyne primitif recherche son autre moitié qui lui est complémentaire.

[63] Anatole France, ibid., p.960.

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