I.1.2.e) Les poèmes darwiniens d’Anatole France comme première approche d’une philosophie du monde

I.1.2.e) Les poèmes darwiniens d’Anatole France comme première approche d’une philosophie du monde

 

Revenons un instant sur le contexte historique dans lequel Anatole France entreprend l’écriture des Poèmes dorés[1]. Nous allons voir que cette œuvre est finalement fort paradoxale, à l’image même d’Anatole France à cette époque.

Nous sommes donc dans les années 1870. Le darwinisme est âgé, pour ainsi dire, d’une bonne dizaine d’années et représente, nous l’avons dit, la pointe de la pensée moderne.

Anatole France entre quant à lui à l’école du Parnasse en 1867[2]. Il y rencontre Leconte de Lisle et ses pairs, à l’occasion de son travail comme jeune commis au rez-de-chaussée des éditions Lemerre[3]. Il finit naturellement par prendre part aux réunions des poètes, un entresol plus haut, tous les après-midi entre 17 et 19 heures, dit-on[4]. A cette époque, le Parnasse est une école littéraire connue et jouissant d’une bonne réputation. Elle existait déjà depuis 1838, lorsque des poètes rejoignirent Leconte de Lisle progressivement[5]. Dans la revue du Parnasse contemporain, de grands noms participent[6], et Anatole France se retrouve entouré de grandes figures littéraires. Il rencontrera là bien des personnages importants de cette époque[7], de Gustave Flaubert à Louis Bouilhet[8].

Selon Marie-Claire Bancquart, il semble qu’Anatole France n’ai qu’une sympathie relative pour Leconte de Lisle. D’après elle, tout jeune poète se mesure à lui, ce qui montre tout de même la large audience de ce personnage.

“Anatole France pourrait être le fils de Leconte de Lisle. Il n’a pas connu les élans révolutionnaires des romantiques de 1848[9] ; il ne connaît évidemment pas cette nature tropicale de la Réunion[10], qui leur correspond en quelque sorte dans les évocations lyriques de Leconte de Lisle[11]. Son républicanisme est d’une autre sorte : il n’en a pas la pratique ; il le nourrit, comme presque tous les écrivains de sa génération, d’allusions à la Révolution française ou à l’Antiquité romaine, et des revendications d’une liberté aliénée depuis son adolescence[12]. Mais, nous l’avons vu, la politique parle moins fort en lui que la préoccupation des philosophies et des mœurs, le souci de définir un art de vivre. A ce propos, plus nettement, son tempérament s’oppose à celui de Leconte de Lisle. […] Leconte de Lisle, lui est chef de groupe [du Parnasse] et le fait sentir, aussi bien dans l’entresol de Lemerre que dans son salon du boulevard des Invalides. C’est contre lui qu’Anatole France entreprend des escarmouches dès son entrée dans le cénacle Parnassien : il est ironique, n’a pas la bosse de la vénération, et tous les contemporains nous rapportent que Leconte de Lisle supporte assez mal ce disciple qui très vite lui paraît indocile[13].”

Cependant, dans notre étude des Poèmes dorés d’Anatole France, il serait absurde de ne pas comprendre l’héritage des Parnassiens pour dégager les traits qui seront ceux de notre auteur dans sa maturité. Car Anatole France, malgré sa grande méfiance vis-à-vis de Leconte de Lisle, reste par bien des aspects chevillé au Parnasse dans sa vie de jeune poète. Bien des thèmes sur lesquels il réfléchit à cette époque resteront toujours fondamentaux pour lui.

Il est inutile que nous insistions ici sur l’inspiration qui fit écrire Anatole France d’une façon classique, voire élégiaque. Leconte de Lisle a fait de cette manière l’une des nécessités du Parnasse[14] : “Dans son premier élan, [Leconte de Lisle] veut être un André Chénier[15] post-romantique. Les mythes grecs de l’époque héroïque deviennent les symboles, tremplins de ses désirs. […] Il devient un Chénier néopositiviste[16].” Dans cette optique, il est évident que le Parnasse reste dans une acception tout à fait classique du langage poétique[17], acception issue finalement de nos grands humanistes classiques de la Pléiade, de Joachim du Bellay à Ronsard[18]. Cependant, au-delà de l’aspect formel des Poèmes dorés[19], nous nous attacherons ici à comprendre en quoi les poètes du Parnasse eurent une influence non négligeable sur le contenu, sur le fond des poèmes d’Anatole France. Nous verrons ainsi que le darwinisme pourrait être perçu par Anatole France comme un héritage naturel de cette pensée, héritage qu’il portera à son comble.

Anatole France semble participer de deux courants distincts internes au Parnasse.

Le premier est le courant historique[20]. Il est évident que la poésie d’Anatole France est fortement influencée par ce courant ; nous pouvons voir beaucoup de points communs entre les thématiques retenues par Joseph-Maria de Hérédia dans ses fameux Trophées, et les thématiques des Noces corinthiennes d’Anatole France. Le retour à l’époque hellénistique, latine ou biblique, voire encore védique, est une constante dans ce courant historique du Parnasse, et, à dire vrai, il est même initié par Leconte de Lisle dans ses Poèmes antiques et ses Poèmes barbares. Ce retour à une antiquité légendaire est intéressant, car il dénote la nostalgie d’une mythologie qui, même si elle est souvent dépeinte comme amère et cruelle, est un retour aux sources. Par exemple, dans Les Trophées, le sonnet « L’Oubli » est significatif :

”La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux

Fait à chaque printemps, vainement éloquente,

Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe;

Mais l’Homme indifférent aux rêves des aïeux

Ecoute sans frémir, du fond des nuits sereines,

La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes[21].”

Ce système de retour aux temps immémoriaux et glorieux d’une civilisation puissante et regrettée, fondée sur l’harmonie et la mesure, est une réaction aux temps troublés de cette seconde moitié du XIXe siècle. De plus, cette harmonie perdue et élégiaque est un thème propre à développer des motifs qui sont en adéquation avec une certaine acception de la poésie, qui se veut avant tout descriptive. Décrire un univers mythique et glorieux, historisant, permet de récriminer contre le réel et la quotidienneté. Dans cette optique, la rareté exotisante –que certains trouveront pompeuse et rutilante –est fondamentalement recherchée, et l’histoire antique en est un prétexte avantageux. A cet égard, Anatole France s’inscrit bien dans cette mouvance :

“Tant que l’homme sucera le lait de la femme, il sera consacré dans le temple et initié à quelque divin mystère. Il rêvera. Et qu’importe que le rêve mente, s’il est beau ? N’est-ce pas le destin de l’homme d’être plongé dans une illusion perpétuelle ? Et cette illusion n’est-elle pas la condition même de la vie ?[22]

Ce n’est donc pas un hasard si Anatole France dédie ses Noces corinthiennes à Frédéric Plessis, lui qui fait revivre Septime Sévère[23] dans La Lampe d’argile. Anatole France reconnaît cet héritage du Parnasse, mais il utilise également l’histoire antique[24] – comme prétexte à une récrimination antichrétienne. Dans les Noces corinthiennes, il reprend la même matière que La Fiancée de Corinthe[25] de Goethe, mais il la transforme dans des buts purement idéologiques[26], à la manière des chroniqueurs du IInd  Empire :

“Les thèmes de sa poésie sont exprimés dans ses articles. L’esprit de « chronique » de la presse Second Empire a marqué, sous la Troisième République, toute la presse fin de siècle : les origines d’Anatole France journaliste définissent son genre de journalisme pour tout l’avenir. La circulation entre son œuvre de créateur et son œuvre de critique garde les mêmes caractéristiques[27].”

Ainsi, nous pouvons penser que cette dimension récriminatrice que nous constatons dans Les Noces corinthiennes, dénote un trait propre à Anatole France par rapport au Parnasse dont il fait partie. Il n’est pas certain, par exemple, de trouver dans Les Trophées de Hérédia, une dimension idéologique non avouée qui, en filigrane, guiderait la production poétique. Le Parnasse croit véritablement en l’Art pour l’Art, et la dimension esthétique de l’œuvre se suffit bien souvent à elle-même, dans cette optique. Anny Detalle le montre bien, elle qui parle des Trophées comme une

“longue théorie d’œuvre d’art, comme la Voie sacrée qui mène au temple de Delphes, [immortalisant] les ancêtres culturels et maternels, ceux auxquels [l’auteur] accède par les livres, par les langues apprises (grec, latin, italien), mais aussi par la langue maternelle : le français[28].”

En effet, il est vrai que si l’esthétique des Noces corinthiennes reste d’une facture fort classique, la recherche d’Anatole France n’est pas celle de l’Art pour l’Art, c’est-à-dire d’une forme impeccablement parachevée se suffisant, à la limite, à elle-même. La dimension idéologique antichrétienne des Noces corinthiennes oriente cette œuvre vers une fin tout autre. Ceci dit, nous ne pousserons ici pas plus avant nos investigations. Simplement, nous constatons que si les thèmes poétiques historisants employés par Anatole France sont bien un héritage direct du Parnasse, le but non avoué d’Anatole France est lui-même distinct de ceux poursuivis par les historiens du Parnasse. La dimension idéologique de l’œuvre poétique prime, pour Anatole France, sur tout autre considération.

Mais Anatole France ne participe pas seulement de ce courant historique. Il est surtout inscrit dans le courant philosophique de Parnasse[29]. Dès lors, bien des thématiques vont converger, entre les poèmes d’Anatole France et ceux de ses amis philosophes. Or, nous allons voir que dans le Parnasse, une dimension scientifique oriente cette voie philosophique.

Une thématique fondamentale semble présider au questionnement de tous nos poètes du Parnasse qui s’inscrivent dans ce courant philosophique : il s’agit de la mort. Pensons au poème sulfureux et perturbant de Cazalis, « La Danse macabre », qui servit de livret au poème symphonique de Saint-Saëns. Nul n’est besoin de commenter plus avant cette figure atroce et terrorisante de la mort, aux allures médiévales. Nous retrouvons ce motif chez Leconte de Lisle, sous une forme moins violente, dans « Aux Morts » et dans « Les Damnés » :

“O lugubres troupeaux de morts, je vous envie,

Si, quand l’immense espace est en proie à la vie,

Léguant votre misère à de vils héritiers,

Vous goûtez à jamais, hôtes d’un noir mystère,

L’irrévocable paix inconnue à la terre,

Et si la grande nuit vous garde tout entiers[30].”

 

Nous retrouvons ce mystère obsédant et indépassable un peu plus loin :

“O morts livrés aux fouets des tardives déesses,

O Titans enchaînés dans l’Erèbe[31] éternel,

Heureux ! vous ignoriez ces affreuses détresses,

Et vous n’aviez perdu que la terre et le ciel ![32]

La mort n’est pas ici autre chose qu’une allégorie de l’oubli. Il s’agit bien de méditer davantage sur le statut des vivants qui souffrent de leur condition, que sur l’au-delà de la vie. La mort reste alors une notion subversive, car si elle est nécessaire, elle est cruelle. Le monde lui-même ne vit que dans la douleur, et cette douleur naturelle, cette attente fondamentale de tout ce qui vit, reste insupportable. Dès lors, la mort est peut-être plus enviable que l’attente qui caractérise la vie.

Anatole France reprend cette figure de la mort dans son poème « La Danse des Morts »[33]. Il y montre une conception antichrétienne et désabusée de la vie, sous la forme d’une succession de tercets en alexandrins[34].

La danse macabre est un motif chrétien omniprésent au Moyen Âge, c’est un symbole de la foi chrétienne :

“Dans les siècles de foi, surtout dans les derniers,

La grand’danse macabre était fréquemment peinte

Au vélin des missels comme aux murs des charniers[35].”

Selon Anatole France, les âmes simples considéraient dans les obscurs temps médiévaux la mort comme la délivrance d’une vie lourde et emplie de souffrances ; la mort était familière, dans toute sa quotidienneté. Dès lors, le motif même de la danse des morts était synonyme de paix de l’âme, car cette représentation familière était une façon de nommer l’inconnu terrorisant :

“Sous le pas des danseurs on voit l’Enfer béant,

Le branle d’un squelette et d’un vif sur un gouffre;

C’est bien affreux, mais moins pourtant que le néant[36].”

C’est bien de ceci dont il s’agit : l’image habite le néant, et donne une consistance à la foi en Dieu. Si la mort est ainsi représentée, c’est bien parce que le Néant n’existe pas. Par la négative, la danse macabre est une aspiration au divin :

“Oui, mais dans cette image étalée au grand jour

On sent communier en Dieu toute âme humaine,

On sent encor la foi, l’espérance et l’amour[37].”

Dès lors, la mort n’est même plus une nécessité fatalement attendue. La mort est naturelle, la mort est un processus rendu anodin, englobé dans le processus même de la naissance. On la voit jouant allégoriquement de la musique, il émane de ce processus une harmonie. Mourir est dans la nature des choses.

“Cet orchestre si doux ne saurait convier

Les vivants au Sabbat, et, pour mener la ronde,

Satan aurait vraiment bien tort de l’envier[38].”

Ce système montre dès lors une mort soumise même à Dieu. Une union naturelle se précise, par exemple entre la Vierge et la Mort ; les morts entraînent les vivants, tous les vivants, vers un gouffre momentané. Ils attendront patiemment, dans une grande fraternité, le Jugement Dernier[39]. La mort apparaît donc bien comme un état transitoire, et donc la mort est vaincue :

“Ils savent que les noirs clairons du Jugement,

Qu’on entendra sonner sur chaque sépulture,

Agiteront leurs os d’un grand tressaillement,

Et que la Mort stupide et la pâle Nature

Verront surgir alors sur les tombeaux ouverts

Le corps ressuscité de toute créature.

La chair des fils d’Adam sera reprise aux vers :

La Mort mourra : la faim détruira l’affamée,

Lorsque l’Eternité prendra tout l’univers[40].”

Cette signification biblique de la mort joue sur une sorte de grandiose cosmique, sachant que dans l’acception de la danse macabre, la mort elle-même est promise à la fin, alors que les hommes seront ressuscités. Cependant, les derniers vers de ce poème diffèrent fondamentalement des vers qu’on peut lire des autres Parnassiens méditant sur ce sujet. Pour Anatole France, hélas, les hommes redeviendront ce qu’ils étaient, rappelés à leurs infectes natures ; la souffrance réapparaîtra, elle qui s’était tarie dans le gouffre. Le chaos humain réapparaîtra dans toute sa splendeur :

“Les tragiques amants et les sanglantes veuves,

Voltigeant enlacés dans leur cercle de fer,

Soupireront sans fin des paroles très neuves.

Oh ! bienheureux ceux-là qui croyaient à l’Enfer[41].”

Ainsi, nous le voyons, pour Anatole France, cette représentation de la mort chrétienne n’est qu’une représentation humaine, et rien d’autre ; couvrant le néant d’une allégorie nommable et familière, la danse macabre empêche au néant d’exister ; elle porte en elle l’espérance messianique d’un monde nouveau, elle annule la valeur même de la mort qui est, selon Anatole France, le néant absolu. Dans cette optique –et le dernier vers du poème est ironique, voire moqueur –ce poème se veut moins philosophique que purement irrévérencieux vis-à-vis d’un christianisme par trop optimiste. La mort reste en suspens.

Un autre thème connexe anime les poèmes de Leconte de Lisle ; il s’agit d’une vision du monde carnassière. Les animaux sont tous des proies. Ici, on reconnaît un darwinisme évident, dans le sens où une perspective évolutionniste du monde cautionne la mort. Pour évoluer, une espèce doit être limitée dans le temps. Si les espèces étaient immortelles, non seulement elles seraient figées, mais de plus, elles n’auraient aucun besoin de se reproduire. C’est la disparition qui permet aux êtres de se faire remplacer par d’autres plus évolués.

Cette thématique est omniprésente chez Leconte de Lisle, tout au long des Poèmes antiques et des Poèmes barbares. La nature se veut éternelle, tandis que des êtres mortels évoluent à sa surface.

“Sur le sol convulsif l’homme n’était pas né

Qu’elle[42] emplissait déjà, mille fois séculaire,

De son ombre, de son repos, de sa colère,

Un large pan du globe encore décharné[43].”

La nature est un réceptacle immuable, qui voit se perpétuer une vie toujours en mouvement, toujours en métamorphose, cruelle par là même.

“Ses gorilles ventrus hurlant à pleine voix,

Ses éléphants gercés comme une vieille écorce,

Qui, rompant les halliers effondrés de leur force,

S’enivrent de l’horreur ineffable des bois;

[…]

Les siècles ont coulé, rien ne s’est épuisé,

Rien n’a jamais rompu sa vigueur immortelle;

Il faudrait, pour finir, que, trébuchant sous elle,

La terre s’écroulât comme un vase brisé[44].”

Cette immersion dans un monde mythique, semble là encore trahir une nostalgie des origines. Le mythe d’une Magna Mater est un trait puissamment dépeint chez Leconte de Lisle. Mais ici, la terre ne met au monde qu’un système qui semble n’avoir pour objet qu’être sa propre fin, et rien d’autre. Le mythe de l’évolution ici adopté reste un long continuum s’écoulant imperturbablement vers peut-être une harmonie définie dès la naissance, une materia prima qui n’existerait que dans la fin d’évoluer.

Arrive l’homme, et c’est le chaos :

“Comme une irruption de fourmis en voyage

Qu’on écrase et qu’on brûle et qui marchent toujours,

Les flots t’apporteront le roi des derniers jours[45],

Le destructeur des bois, l’homme au pâle visage[46].

Il aura tant rongé, tari jusqu’à la fin

Le monde où pullulait sa race inassouvie,

Qu’à ta pleine mamelle où regorge la vie

Il se cramponnera dans sa soif et sa faim.

Il déracinera tes baobabs superbes,

Il creusera le lit de tes fleuves domptés;

Et tes plus forts enfants fuiront épouvantés

Devant ce vermisseau plus frêle que tes herbes[47].”

Cette acception de l’homme est elle aussi toute darwinienne. En effet, seule une vaste réflexion sur le milieu peut amener Leconte de Lisle à peindre un humain vainqueur de l’hostilité brute de la nature. C’est par l’arme de l’intelligence que l’homme met la nature immémoriale à ses pieds, et qu’il est maître du monde. Cette irruption de l’homme dans le milieu naturel est donc un grave trouble à l’harmonie du monde. L’homme est une négation de la déité de la nature. Cependant, dans une optique évolutionniste, l’homme est lui-même à la merci du renouvellement, et la nature adopte un visage cyclique, un vaste retour aux origines.

“Mais tu pourras dormir, vengée et sans regret,

Dans la profonde nuit où tout doit redescendre :

Les larmes et le sang arroseront ta cendre,

Et tu rejailliras de la nôtre, ô forêt ![48]

Nous constatons donc que l’acception du darwinisme de Leconte de Lisle est empreinte d’une mythologie de l’éternel retour, et que dans cette optique, l’élan vital et irrésistible ne peut être surpassé par l’existence humaine ; dans ce sens, la mort est la condition sine qua non de la vie ; la vie est protéiforme, en perpétuelle transformation, elle est portée par le substrat de la nature, nécessaire et inaliénable, et l’homme n’en est qu’un avatar comme tant d’autres. Cette vision relativisante issue de l’évolutionnisme déplace les valeurs de façon dramatique. Après la révolution copernicienne selon laquelle la Terre n’est pas au centre de l’univers[49], Darwin prononce la loi d’un bouleversement existentiel sans précédent : l’homme n’est ni au centre de l’univers, ni au centre de la nature ; son visage n’est plus celui de Dieu, mais celui d’un singe. Leconte de Lisle se trouve tout entier dans cette mouvance, et le monde qu’il décrit est nécessairement hostile à l’homme ; l’homme n’est plus le centre du tout, il est un intrus passager qui est soumis au remplacement, et donc à la disparition.

Ce thème fondamental animera bien d’autres Parnassiens, de Louis Ménard à Sully Prudhomme :

“Dans cette mascarade immense des vivants

Nul ne parle à son gré ni ne marche à sa guise;

Faite pour révéler, la parole déguise,

Et la face n’est plus qu’un masque aux traits savants.

[…]

C’est l’heure des aveux. Le cadavre ingénu

Garde du souffle absent une empreinte suprême,

Et l’homme, malgré lui redevenant lui-même,

Devient un étranger pour ceux qui ont connu.

Le rire des plus gais se détend et s’attriste,

Les plus graves parfois prennent des traits riants;

Chacun meurt comme il est, sincère à l’improviste :

C’est la candeur des morts qui les rend effrayants[50].”

On voit ici que ce qui rattache l’homme à l’évolution est bien entendu la mort. Devant ce système, nul n’est au-dessus de cette sinistre harmonie cyclique, tout être vivant est appelé à être remplacé.

L’un des poèmes les plus emblématiques du Parnasse, à cet égard, est sans doute « La Fin de l’Homme » de Leconte de Lisle :

“Et maintenant, Seigneur, vous par qui j’ai dû naître,

Grâce ! Je me repens du crime d’être né…

Seigneur, je suis vaincu, que je sois pardonné !

Vous m’avez tant repris ! Achevez, ô mon Maître !

Prenez aussi le jour que vous m’avez donné. –

[…]

Et sur le désert sombre, et dans le noir espace,

Un sanglot effroyable et multiple courut,

Chœur immense et sans fin, disant : -Père, salut !

Nous sommes ton péché, ton supplice et ta race…

Meurs, nous vivrons ! –Et l’Homme épouvanté mourut[51].”

La vision cosmogonique du Parnasse fait de l’homme un simple chaînon d’une évolution soumise à la sélection naturelle. Dans cette optique, l’homme est appelé à n’être que pas grand chose, une simple étape, tout au plus. Le principe divin lui-même est transformé, de biblique il devient plus ou moins animiste : l’âme de la Nature, la Vie et ses lois cruelles, la Vie toujours en mouvement, se substituent à Yahvé. Ce néopaganisme darwinien reste un thème fort des Parnassiens.

Dès lors, l’entropie est aussi l’un des thèmes fondamentaux du Parnasse, totalement connexe à la pensée darwinienne. Le mythe des saisons et de l’éternel retour en est l’indice[52] ! Le temps est un système complexe et cyclique, dans lequel s’inscrit paradoxalement la dialectique de la vie et de la mort, c’est-à-dire la dialectique de la disparition et de l’éternel remplacement. Sully Prudhomme compare la fête universelle du printemps à un deuil[53] car tout commencement renferme en son sein la disparition annoncée, et toute disparition recèle la promesse d’un recommencement. Ce drame universel est un grand sujet de réflexion chez nos Parnassiens.

“Tu sais que cela ne peut pas durer,

Mon cœur ; mais, malgré la saison plaintive,

Un moment encor tâche d’espérer

Et saisis du moins l’heure fugitive.

Bâtis en Espagne un dernier château,

Oubliant l’hiver, qui frappe à nos portes

Et vient balayer de son dur râteau

Les espoirs brisés et les feuilles mortes[54].”

Bien évidemment, Anatole France n’échappe pas à cette règle. Les réflexions de Leconte de Lisle, de Sully Prudhomme ou de François Coppée rejoignent parfaitement les préoccupations de notre auteur. Cependant, nous allons voir là encore qu’Anatole France apporte une certaine originalité aux réflexions parnassiennes.

Une grande salve de poèmes tirés des Poèmes dorés reprend une forme chère à Leconte de Lisle : il s’agit de poèmes descriptifs, qui se bornent à peindre des scènes de façon naturaliste[55] où les animaux ou les végétaux sont les principaux sujets : il s’agit des poèmes « Les Cerfs », « La Mort d’une libellule », « La Mort du singe », « La Perdrix », « Les Arbres », « Les Sapins », « Le Chêne abandonné ».

Si nous nous penchons de plus près sur ces poèmes, nous pouvons y voir de grandes convergences avec le Parnasse. Ainsi, par exemple, le poème « Le Cerf » est un hymne au darwinisme. Dans une forme très classique, comme toujours[56], le sujet en est le combat de deux cerfs en rut luttant pour la domination, afin de prendre une biche. Cette scène naturaliste est prétexte à une mise en situation des théories darwiniennes de la sélection naturelle. Des deux mâles, seul le plus fort aura le droit d’engrosser la biche, et donc le faon n’en sera que plus robuste. La lutte pour la vie est ici décrite dans toute sa cruelle splendeur :

“Les rivaux, les deux cerfs luttent dans les halliers[57] :

Depuis l’heure du soir où leur fureur errante

Les entraîna tous deux vers la biche odorante,

Ils se frappent l’un l’autre à grands coups d’andouillers[58].[59]

Chez Anatole France, la nature prend déjà des aspects libérés de toute déité autre que celle de la Nature. A dire vrai, on est bien au milieu d’un système d’instinct de survie qui, incoercible, guide les animaux dans leurs comportements[60]. La nature est mythifiée, et peinte dans sa brutalité sombre et violente. Le monde est anguleux, soumis à une formidable lutte entre diverses tensions. La nature est montrée dans toute sa cruauté, avec une certaine propension aux détails sublimes :

“Suants, fumants, en feu, quand vint l’aube incertaine,

Tous deux sont allés boire ensemble à la fontaine,

Puis d’un choc plus terrible ils ont mêlé leurs bois.

Leurs bonds dans les taillis font le bruit de la grêle;

Ils halettent[61], ils sont fourbus, leur jarret grêle

Flageole du frisson de leurs prochains abois[62].”

Cette esthétique du sublime et de l’hyperbole, nous la retrouvons telle quelle chez Leconte de Lisle. La profusion de comparaisons hyperboliques, de superlatifs, d’accumulations[63], d’amplifications, tendent à cette mythification de la nature comme étant habitée d’une force légendaire. La profusion de détails fonctionne sur le régime de l’hypotypose, à savoir que les scènes dépeintes acquièrent un aspect visuel, vivant, et donc propre à donner au lecteur une idée très précise de la scène. Comment ne pas rapprocher le poème d’Anatole France « Le Cerf », du poème « La Panthère noire » de Leconte de Lisle, dans ses multiples procédés rhétoriques ? Qu’on compare la strophe citée plus haut, aux deux strophes suivantes :

“Inquiète, les yeux aigus comme des flèches,

Elle ondule, épiant l’ombre des rameaux lourds.

Quelques taches de sang, éparses, toutes fraîches,

                Mouillent sa robe de velours.

Elle traîne après elle un reste de sa chasse,

Un quartier du beau cerf qu’elle a mangé la nuit;

Et sur la mousse en fleur une effroyable trace

                Rouge, et chaude encore, la suit[64]”.

De même, nous retrouvons une profusion de détails plus ou moins sanglants, d’essence toute naturaliste, qui s’efforcent de dépeindre la scène dans un réalisme sublime. Cette manière d’écrire permet sans doute une extrême fusion entre réel et mythe ; les deux univers se superposent, la nature et la Nature ne font plus qu’un seul et même univers. Anatole France appartient sans conteste, dans sa jeunesse, à cette mouvance issue du Parnasse. Cependant, si chez ses pairs le darwinisme n’est qu’un prétexte à cette fusion entre mythe et réalisme pour créer une esthétique particulière, chez Anatole France, au contraire, il semble bien que ce soit l’esthétique qui soit soumise à l’idéologie darwinienne. D’ailleurs, parallèlement à sa production poétique, Anatole France ne cesse de disserter sur la science contemporaine dans ses chroniques de la même époque[65]. Ainsi, la poésie ne semble pour Anatole France qu’une mise en application poétique de sa pensée, et non l’inverse, qui serait pour Leconte de Lisle une réflexion esthétique sur la poésie. Cependant, il est vrai qu’au vu des œuvres produites à cette époque, les résultats se chevauchent peu ou prou.

Dès lors, le « Cerf » est bien un hymne à la sélection naturelle des espèces :

« Enfin l’un des deux cerfs, celui que la Nature

Arma trop faiblement pour la lutte future,

S’abat, le ventre ouvert, écumant et sanglant.

L’œil terne, il a léché sa mâchoire brisée;

Et la mort vient déjà, dans l’aube et la rosée,

Apaiser par degrés son poitrail pantelant[66].”

Il faut noter que ce feu d’artifice de détails lugubres n’a pas pour ambition un esthétisme maniéré voulant, par complaisance, se signaler au lecteur par son aspect un peu choquant. Il s’agit bien, tout au contraire, d’une réflexion sur la nature ; or, comme l’homme n’est plus lui-même qu’un maillon de la chaîne dans la grande spirale de l’évolution, ces lois de sélection naturelle le concernent également. Pour dire ceci autrement, il s’agit pour Anatole France de demander au lecteur de réfléchir sur son statut de mammifère : est-il tellement éloigné de ces deux cerfs ?… Est-il lui-même conscient que le monde humain est lui aussi soumis à ces lois de cruauté, que Spencer théorisera jusqu’à leur comble dans une dangereuse outrance ? C’est bien ce même Anatole France qui, dans Le Jardin d’Epicure, nous met en garde :

“Que deviendraient le dévouement et le sacrifice au milieu du bonheur universel ? Peut-on concevoir la vertu sans le vice, l’amour sans la haine, la beauté sans la laideur ? C’est grâce au mal et à la souffrance que la terre peut être habitée et que la vie vaut la peine d’être vécue[67].”

Nous pouvons donc constater que, chez Anatole France, et c’est sans doute là une de ses particularités face au reste du Parnasse, ces poèmes naturalistes sont avant tout allégoriques. Par le règne animal, on peut entrevoir le règne humain. Cette façon de concevoir les choses dans leur globalité, est une conséquence directe d’un darwinisme réfléchi, et même mûri. Ainsi, le monde animal est une mise en abyme un peu grossière du monde humain.

En fait, les thèmes chers aux Parnassiens restent en usage dans les poèmes franciens. Le schème de l’éternel retour, de la vie en globalité qui toujours l’emporte face à des individus toujours vaincus, est dans « Le Cerf » aussi présent que dans « La Forêt vierge » de Leconte de Lisle :

“L’universelle vie accueille ses esprits;

Il redonne à la terre, aux vents aromatiques,

Aux chênes, aux sapins, ses nourriciers antiques,

Aux fontaines, aux fleurs, tout ce qu’il a pris[68].”

Ce schème en boucle est très à la mode, dans la pensée de cette fin de siècle. A dire vrai, il a une valeur relativisante. Cet héritage du darwinisme est également un bouleversement des mentalités :  l’espèce ne vaut que dans sa globalité, l’individu n’a qu’une importance relative. Cependant, comme rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, alors la vie de l’individu est au service de la globalité. Cette loi naturelle, d’une inouïe cruauté, pose vraiment beaucoup de problèmes aux écrivains de la fin du XIXe siècle. Elle est encore d’actualité en 1896, lorsque Octave Mirbeau décrit la plus atroce des morts sophistiquées pour faire naître le plus beau et le plus doux des jardins ; ces fleurs rares sont engraissées par les restes des suppliciés :

“Ah oui ! le jardin des supplices !… Les passions, les appétits, les intérêts, les haines, le mensonge ; et les lois, et les institutions sociales, et la justice,  l’amour, la gloire, l’héroïsme, les religions, en sont des fleurs monstrueuses et les hideux instruments de l’éternelle souffrance humaine…[…] J’ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part…[69]

L’allégorie, qui également se trouve sans cesse chez les Parnassiens, tend à prouver combien une vie humaine est frêle et relative. Qu’est l’homme face au continuum du temps, et face à cette terre maternelle qui, immuable pour un humain, se transforme cependant sans à-coups dans une durée à la lenteur inimaginable autant qu’incoercible ?… La mort est seule condition de cette longue et cruelle évolution, et on en revient toujours à ce pessimiste point de départ autant que point final :

“Au sein des bois sacrés, le temps coule limpide,

La peur est ignorée et la mort est rapide;

Aucun être n’existe ou ne périt en vain,

Et le vainqueur sanglant qui brame à la lumière,

Et que suit désormais la biche douce et fière,

A les reins et le cœur bons pour l’œuvre divin[70].”

Dans cette optique, effectivement, cette nouvelle philosophie du monde issue de Darwin pourrait bien se révéler comme constituant les prémisses de la pensée d’Anatole France. Nous pourrions même avoir pour hypothèse, sans prendre de risque, que la prometteuse carrière d’Anatole France débute sous la lumière de Darwin.

Car ces lois solides et apeurantes qui semblent en cette fin de XIXe siècle éclairer le monde sous un jour nouveau, vont toujours être le soubassement de la pensée d’Anatole France ; même à la fin de sa vie, en 1924, après un parcours très complexe et en apparence fort tortueux, Anatole France gardera en lui les théories darwiniennes. Ainsi, son parcours initiateur chez les Parnassiens y est vraisemblablement pour quelque chose, même si notre auteur s’en échappera définitivement par la suite.

La lecture des Poèmes dorés peut encore nous montrer différents traits de la pensée de jeunesse d’Anatole France, affinant par là même notre appréhension de cet auteur. Par exemple, le meurtre est, dans une optique darwinienne, totalement indépendant d’un quelconque aspect moral. Rendu nécessaire par la nature, il frappe ainsi dans toute son aveugle injustice. Il est naturel qu’on tue et qu’on soit tué, c’est la nouvelle règle. La prédation est ainsi une règle du hasard. Il n’y a pas de fatalité dans ceci, puisque la mort est seule nécessité de la vie. Ceci met en relief le fait que le cycle dialectique mort/vie se situe fondamentalement au-delà de la morale. Le contraste oxymorique de ce cycle est un motif avantageux d’un point de vue esthétique, pour l’âme du Parnasse :

“L’universelle mort ressemble au flux marin

Tranquille ou furieux, n’ayant hâte ni trêve,

Qui s’enfle, gronde, roule et va de grève en grève,

Et sur les hauts rochers passe soir et matin[71].”

Ce motif, mis en exergue dans « Fiat nox[72] », se retrouve chez Anatole France d’une façon cynique et amère dans « La Mort d’une libellule[73] » où un petit enfant capture ce bel insecte pour sa collection d’insectes, et lui passe une épingle dans le thorax. Cet acte anodin pourrait n’avoir aucune portée cosmogonique, mais tel n’est pas le cas ; l’enfant, dans son innocence coupable, met là en branle une loi naturelle qui dépasse, dans son absurdité et son malheureux hasard, la quotidienneté de la scène. La mort a plusieurs visages, c’est tout. L’animal échappe à l’enfant et s’envole le corps transpercé pour mourir un peu plus loin :

“Il n’eût pas convenu que sur un liège infâme[74]

Sa beauté s’étalât aux yeux des écoliers :

Elle ouvrit pour mourir ses quatre ailes de flamme,

Et son corps se sécha dans les joncs familiers[75].”

Cette obsession d’une mort panthéiste est liée au thème de la fin de la souffrance. La mort n’est pas un rachat, c’est un néant. Cette réflexion est tout en contraste avec la vie qui germe toujours. Le paradoxe de l’individualité mortelle et de la vie triomphante, est subi comme une injustice de vivant. La mort apporte l’oubli et la paix. C’est le sens de « La Mort du singe », où l’animal dépeint comme stupide finit dans un couronnement : sa mort est la fin de ses tourments.

“Puis une vague nuit pèse en son crâne épais.

Laissant tomber sa nuque et ses lourdes mâchoires,

Il râle. Autour de lui croissent les ombres noires :

Minuit, l’heure où on meurt, lui versera la paix[76].”

C’est d’ailleurs là où l’homme souffre : lui a conscience de cette mort, et il la craint. Cette conscience face à l’injustice de la nature, peut conduire à une révolte contre la nécessité[77]. La mort “simple” dans la nature est une mort ressentie et moralisée chez les humains, car elle prend un sens autre que la nécessité :

“O boucherie ! ô soif du meurtre ! acharnement

Horrible ! odeur des morts qui suffoques et navres !

Soyez maudits devant ces cent mille cadavres

Et la stupide horreur de cet égorgement.

Mais, sous l’ardent soleil ou sur la plaine noire,

Si, heurtant de leur cœur la gueule du canon,

Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom,

Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire [78] !”

Chez Leconte de Lisle, le massacre universel reste une nécessité naturelle, conséquence darwinienne de la loi du plus fort impliquée par la sélection des espèces. Chez les hommes qui ne peuvent nier leur engeance, ce massacre est sinistrement transcendé car son sens acquiert une valeur morale à travers la lutte pour la ‘liberté’. Ceci dit, cette ‘liberté’ chez Leconte de Lisle servira-t-elle aux plus faibles ?…

Chez Anatole France, la mort et le massacre appellent a contrario la nécessité de la reproduction, de la copulation (comme dans « Le Cerf »). Plus loin, la mort est la condition sine qua non du Désir[79] :

“Si le besoin d’aimer vous caresse et vous mord,

Amants, c’est que déjà plane sur vous la Mort :

Son aiguillon fait seul d’un couple un dieu qui crée.

Le sein d’un immortel ne saurait s’embraser.

Louez, vierges, amants, louez la Mort sacrée,

Puisque vous lui devez l’ivresse du baiser[80].”

Dès lors, prétendre mourir, c’est prétendre offrir au cycle de la nature une nouvelle naissance. La mort n’est qu’une petite fin, car si l’individu disparaît, la globalité s’en trouve régénérée. Cette logique cruelle, si elle relativise le statut de l’individu, exalte l’harmonie universelle et exclut toute idée de chaos. Le darwinisme acquiert lui-même un statut de mythe, mettant en relief et la nécessité des origines (magna mater et materia prima), et le mythe de l’éternel retour. C’est donc bien la nature qui perdure, et donc ce triomphe tempère un pessimisme par trop désespéré ; c’est la morale que nous retiendrons ici, globalement, exprimée par Anatole France dans le poème « Les Sapins » :

“Ce fut jadis ainsi que la fleur maternelle

Les conçut au frisson d’un vent mystérieux;

C’est ainsi qu’à leur tour, pères laborieux,

Ils livrent largement à la brise infidèle

La vie, immortel don des antiques aïeux.

Car l’ancêtre premier dont ils ont reçu l’être

Prit sur la terre avare, en des âges lointains,

Une rude nature et de mornes destins;

Et les sapins, encor semblables à l’ancêtre,

Eternisent en eux les vieux mondes éteints[81].”

Après tout ce que nous venons de constater, nous pouvons dire qu’Anatole France est bien un poète scientifique. Cependant, si ses thèmes sont orientés par le darwinisme, et si sa manière toute parnassienne n’est pas exempte d’un certain naturalisme malgré tout, on ne peut pas interpréter ce darwinisme poétique comme une science stricto sensu. Dès lors, Anatole France, plus encore que ses pairs du Parnasse, use d’un mythe du darwinisme plutôt que d’une thèse évolutionniste aride et positive. C’est peut-être bien dans cette optique qu’il faut comprendre la haine que nourrissait Anatole France à l’égard des naturalistes de Médan. Notre auteur ne réclame-t-il pas plutôt une vision du monde mythique – déjà, dans ces années 1869-1872… – qui transcenderait l’aridité d’un monde naturel par trop cruel ? Si cet imaginaire poétique se nourrit lui-même à la source de ce massacre universel, c’est pour en tirer le prétexte à une vision du monde qui se veut novatrice –et qui, à bien des égards, est novatrice. Anatole France refusera dès lors toute théorie proprement révolutionnaire, ceci même lorsqu’il se liera d’amitié avec Jaurès : l’évolution de la société, et même des courants littéraires, lui semble inscrite dans ce continuum vital engendré par les théories évolutionnistes.

Cependant, il est vrai, nous l’avons vu lors de cette lecture croisée, que la forme de ces poèmes est très enferrée dans l’esthétisme un peu maniéré du Parnasse. Nous pouvons penser qu’à l’inverse d’un Leconte de Lisle –à qui les Poèmes dorés sont dédiés[82] –ce n’était pas l’aspect esthétique qui animait la création d’Anatole France ; c’était bien plutôt cet aspect théorique, cette réflexion darwinienne sur la nature et donc, par force, sur le statut de l’humain. Dans ce cas, le fait qu’Anatole France éjecta en 1875 Mallarmé et Verlaine du IIIème Parnasse Contemporain sans prendre de manière est peut-être symptomatique des préoccupations de notre auteur. A notre connaissance tout du moins, Mallarmé et Verlaine ne sont pas préoccupés de manière essentielle par l’impact de l’évolutionnisme sur la poésie. Leurs recherches esthétiques prennent des directions tout opposées, et excessivement novatrices, certes, mais différentes de cette mouvance ; Anatole France, lui, s’il est résolument moderne dans sa pensée, montre à travers le maniérisme classique et conservateur de sa production poétique qu’il n’est pas prêt à accepter d’autres directions que la sienne. Anatole France est tout entier enferré dans ce paradoxe, lors de sa jeunesse. De Verlaine, qui sort de prison après la douloureuse affaire Rimbaud, il dira, à propos du sonnet « Beauté des femmes » : “L’auteur est indigne et les vers sont les plus mauvais qu’on ait vus[83].” Cette attitude ne montre certes pas une ouverture d’esprit à toute épreuve… Mallarmé, qui présente « Improvisations d’un faune », est lui aussi refusé sans autre forme de procès. C’est là le fameux scandale du Parnasse[84]. En relisant ainsi les poèmes d’Anatole France de cette époque, nous comprenons mieux ce contexte paradoxal dans lequel évoluait notre auteur, prêt à toutes les nouveautés du point de vue idéologique, mais refusant toute avancée du point de vue de l’esthétique. En ceci, il est encore une fois parfaitement inclus dans la mouvance du Parnasse[85]. Mais ce refus du présent très fort dans le mouvement, ne pourra pas éternellement agréer à un homme comme Anatole France, lui déjà parfaitement tourné vers l’avenir… Simplement, ce passage dans le Parnasse lui aura permis une première approche de sa philosophie du monde[86]. Sa foi en la science et en l’évolutionnisme est encore très forte, dans ces années 1875.

Cependant, nous allons voir qu’Anatole France va relativiser le darwinisme et la science, et même qu’il va finir par se méfier du sectarisme que ces derniers sont aptes à produire. Anatole France va entrer dans une ère de relativisation du monde, ère fondamentale à la recherche d’un logos.

 


[1] Ces poèmes sont écrits entre 1870 et 1876.

[2] Il a 23 ans. Se reporter à Marie-Claire Bancquart, Anatole France, Un Sceptique passionné, Calmann-Lévy, 1984, pour connaître le contexte biographique de l’entrée de notre auteur au Parnasse.

[3] Ce sont ces éditions qui publient le fameux Parnasse contemporain. Le cercle du Parnasse s’y réunit depuis 1866.

[4] Sur l’histoire du Parnasse, voir M. Souriau, Histoire du Parnasse, Paris, 1929, rééd. Slatkine, Genève, 1973. Voir aussi les fameux témoignages de Catulle Mendès, lui-même Parnassien, dans La Légende du Parnasse contemporain, Bruxelles, 1884, rééd. Staltkine, Genève, 1983.

[5] Dierx, Villiers de l’Isle-Adam en 1838  ; Sully Prudhomme et des Essarts en 1839  ; Mérat, Cazalis en 1840  ; Mendès, Valade en 1841  ; Coppée, Hérédia en 1842  ; de Ricard en 1843. Nous ne pouvons pas ici oublier Mallarmé, Verlaine ou Charles Cros, qui rejoignent le groupe un peu plus tard, autour de 1870.

[6] Dans le premier Parnasse qui paraît en 1866, Théodore de Banville, Théophile Gautier et Charles Baudelaire prêtent notamment leur plume  ; ils sont alors trente-sept poètes à collaborer. Anatole France arrive au Parnasse l’année suivante. Lors du 2ème Parnasse contemporain, en 1871, on dénombre cinquante-six poètes. Dans le dernier, en 1876, soixante-trois poètes participent à l’aventure (dont Paul Bourget et Jules Lemaître).

[7] Anatole France rencontre beaucoup de monde dans les brasseries, qui sont des institutions littéraires héritées du Second Empire. On pense à la Brasserie des Martyrs et Chez Pousset. Anatole France se rend aussi au Café Tabourey, au Café Mariage et au Procope. Tous ces lieux sont célèbres pour leurs activités littéraires. De même, il fréquente principalement les salons de Nina de Callias, et de Mme de Ricard.

[8] Louis Bouilhet (1822-1869) est un grand ami de Gustave Flaubert, son interlocuteur privilégié qu’on considère souvent comme sa conscience critique. Il connaît une certaine notoriété par quelques poèmes Parnassiens, dont nous pouvons citer Melaenis, 1857, ou Festons et Astragales, 1859. C’est aussi l’auteur de pièces de théâtre, dont la plus connue, Le Sexe faible, 1873, est achevée par Flaubert.

[9] Marie-Claire Bancquart fait ici allusion à la jeunesse de Leconte de Lisle. Ce dernier, de 1845 à 1848, fréquente avec assiduité les phalanstériens, ces adeptes de la pensée révolutionnaire et utopiste de Charles Fourier (1772-1837). Leconte de Lisle collabore même au journal fouriériste La Phalange en espérant tout de la révolution de 1848. Nous ne pouvons ici développer les idées très complexes de Fourier. Voir C. Fourier, Œuvres complètes, 1841-1845, réédition Anthropos, Paris, 1966-1968, 12 tomes.

[10] Lieu de naissance de Leconte de Lisle.

[11] Voir certains poèmes védiques de Poèmes antiques, 1852, comme par exemple « Sûryâ» (« Le Soleil »), ou le poème commençant par « Midi, roi des étés… ».

[12] Marie-Claire Bancquart fait ici allusion aux périodes difficiles que vécut Anatole France au collège Stanislas à Paris.

[13] Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome I, p.XLVII-L.

[14] Charles Baudelaire révère cette manière : “Leconte de Lisle possède le gouvernement de son idée  ; mais ce ne serait presque rien s’il ne possédait aussi le maniement de son outil. Sa langue est toujours noble, décidée, forte, sans notes criardes, sans fausses pudeurs  ; son vocabulaire, très-étendu [sic]  ; ses accouplements de mots sont toujours distingués et cadrent nettement avec la nature de son esprit. Il joue du rythme avec ampleur et certitude, et son instrument a le ton doux mais large et profond de l’alto. Ses rimes, exactes sans trop de coquetterie, remplissent la condition de beauté voulue et répondent régulièrement à cet amour contradictoire et mystérieux de l’esprit humain pour la surprise et la symétrie.”,« Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains », La Revue fantaisiste, 15 août 1861.

[15] André Chénier (1762-1794) est l’un de ces poètes morts inconnus sur l’échafaud, qui sont amenés à la célébrité par les romantiques. Chénier rêve de faire fusionner Virgile et Newton, dans un esprit hérité des Lumières qui lui fait révérer humanisme et modernité. Ce trait est tout à fait présent chez Leconte de Lisle, et par conséquent chez les Parnassiens. Anatole France n’échappe pas à la règle.

[16] Paul Guth, Histoire de la littérature française, Editions du Rocher, 1992, p.1038.

[17]Le Parnasse est demeuré comme l’école du vers bien fait, de la plastique, et d’une recherche objective qui fit surnommer ses poètes « Les Impassibles » par leurs ennemis. Peu d’écoles d’ailleurs, sont aussi oubliées. L’avènement du vers libre, le refus de la poésie descriptive et la réussite du symbolisme, puis du surréalisme, expliquent l’ombre jetée sur un groupe dont pourtant Verlaine et Mallarmé firent partie…”, Marie-Claire Bancquart, ibid., p. XLV-XLVI.

[18] Voir la note d’Anny Detalle au poème « Sur le livre des amours de Pierre de Ronsard » de Hérédia : “L’hommage à Ronsard ne surprend pas, venant d’un Parnassien. Sainte-Beuve le premier, dans Tableau historique et critique de la poésie française au XVIe siècle (1828), avait rendu hommage à la Pléiade. Mais le Parnasse, tout particulièrement, à la suite de Leconte de Lisle, se reconnut dans une école qui alliait à une profonde érudition sur l’Antiquité le culte du sonnet. Il n’y a guère de poète Parnassien, de Coppée à Sully Prudhomme, de Glatigny à Nolhac, qui n’ait dédié un poème à Ronsard., in Joseph-Maria de Hérédia, Les Trophées, Gallimard, 1981, p.308.

[19] Anatole France justifie ce classicisme : “Tout ce qui ne vaut que par la nouveauté du tour et par un certain goût d’art vieillit vite. La mode artiste passe comme toutes les modes.”, in Le Jardin d’Epicure, p.80-81.

[20] Nous pouvons nommer, comme participant de ce courant, Emmanuel Des Essarts (1839-1909), avec ses peu connus Poèmes de la Révolution, et le Vicomte de Guerne (1853-1912) avec les aussi peu connus Siècles morts. Plus important pour Anatole France, nous nommerons Frédéric Plessis et La Lampe d’argile et Hérédia, avec Les Trophées.

[21] J.-M. de Hérédia, « L’Oubli », Les Trophées, Gallimard, 1981, p.29.

[22] Anatole France, préface aux Noces corinthiennes, Poésies, Calmann-Lévy, 1924, p.125.

[23] Lucius Septimius Severus (146-211) est empereur de Rome de 193 à 211. Son attitude d’empereur est caractérisée par le dominat  ; sa famille est proclamée divine, malgré une fausse filiation qui laissera beaucoup d’amertume au Sénat.

[24] Il faut prendre l’histoire antique dans son acception mythique, et non dans son acception historique stricto sensu.

[25] La Fiancée de Corinthe [Die Braut von Corinth], éd. Canet, 1828, est une ballade composée en 1797. Le sujet en est extrait d’un récit grec remontant au IIe siècle après J.C., que Goethe connut vraisemblablement à travers la compilation de Giovanni Pretorio, publiée en 1668.

[26] Se reporter à l’analyse des Noces corinthiennes de Marie-Claire Bancquart dans Pléiade, tome I, p. XLIII-XLV.

[27] Marie-Claire Bancquart, ibid., p.XLV.

[28] Anny Detalle, préface des Trophées, ibid., p.20.

[29] Dans ce courant, nous pouvons évoquer, outre Leconte de Lisle lui-même, Henri Cazalis (1840-1909), qui écrit sous le nom de Jean Lahor. Docteur de profession, c’est aussi un grand passionné des philosophies orientales. Louis Ménard également (1822-1901), considéré comme l’un des maîtres de Leconte de Lisle – il lui enseigne l’hellénisme – et est l’auteur des peu connues Rêveries d’un païen mystique. Enfin, nous pouvons évoquer Sully Prudhomme, le fameux premier prix Nobel de littérature, en 1901.

[30] Leconte de Lisle, « Aux Morts », Poèmes barbares, Les Belles Lettres, Paris, 1976, p.199.

[31] L’Erèbe est fils du chaos, frère et l’époux de la Nuit, père de l’Ether et du Jour  ; il fut, dans la mythologie grecque, métamorphosé en fleuve et précipité dans les Enfers pour avoir secouru les Titans. Il croit être ainsi partie intégrante de l’Enfer, et donc l’Enfer même. C’est dans cette acception qu’il faut ici prendre l’Erèbe.

[32] Leconte de Lisle, « Les Damnés », ibid., p.202.

[33] Anatole France, « La Danse des Morts », Idylles et légendes, Poésies, ibid., p.108-113. Ce poème est écrit en octobre 1869.

[34] On notera ici un système de rimes enchâssées ABA, BCB, CDC, etc… respectant l’alternance féminines/masculines.

[35] Anatole France, ibid., p.108.

[36] Anatole France, ibid., p.109.

[37] Anatole France, idem.

[38] Anatole France, ibid., p.110.

[39] Voir L’Apocalypse de Jean, 20, 11-15 : “Alors je vis un grand trône blanc et celui qui y siégeait : devant sa face la terre et le ciel s’enfuirent sans laisser de traces. Et je vis les morts, les grands et les petits, debout devant le trône, et des livres furent ouverts. Un autre livre fut ouvert : le livre de vie, et les morts furent jugés selon leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans les livres. La mer rendit ses morts, la mort et l’Hadès rendirent leurs morts, et chacun fut jugé selon ses œuvres. Alors la mort et l’Hadès furent précipités dans l’étang de feu. L’étang de feu, voilà la seconde mort ! Et quiconque ne fut pas trouvé inscrit dans le livre de vie fut précipité dans l’étang de feu.”, Nouveau Testament, traduction œcuménique, Société Biblique Française et Editions du Cerf, Paris, 1972.

[40] Anatole France, ibid., p.112.

[41] Anatole France, ibid., p.113.

[42] Il s’agit de la forêt vierge.

[43] Leconte de Lisle, « La Forêt vierge », ibid., p.161.

[44] Leconte de Lisle, ibid., p.162.

[45] Ce vers est très darwinien : on n’ignorait plus le mythe d’un homo delphinus, si on veut, ou du moins la parenté fondamentale de l’homme avec les créatures aquatiques : après Darwin, on sait que la vie commence au cœur des océans.

[46] L’acception du mot pâle est intéressante, car elle joue sur une polysémie évidente : la pâleur n’est pas que la couleur, elle dénote aussi la place anodine de l’homme dans l’évolution : l’homme n’est ni immuable, ni invulnérable, il n’est pas la fin de l’évolution, il sera lui aussi remplacé par plus évolué que lui.

[47] Leconte de Lisle, ibid., p.163.

[48] Leconte de Lisle, idem.

[49] Copernic (1473-1543) découvre vers 1513 l’héliocentrisme (qui sera véritablement révélé lors de la publication en 1543 de l’ouvrage De Revolutionibus), au détriment de la thèse du géocentrisme qui avait cours jusqu’alors, quatorze siècles durant, sous l’égide de Ptolémée l’aristotélicien. Il est évident que cette grande découverte révolutionnera non seulement la cosmologie et l’astronomie, mais aussi la pensée humaine – philosophique et théologique. Voir T.S. Kuhn, The Copernican Revolution, Harvard Univ. Press, Cambridge (Mass.), 1957, trad. A. Hayli, La Révolution copernicienne, Fayard, Paris, 1973, nouv. éd. L.G.F., 1992. Freud reviendra sur ces deux humiliations subies par l’homme, selon lesquelles d’après Copernic, la terre n’est pas au centre de l’univers, et selon lesquelles d’après Darwin et Wallace, l’homme n’a pas une place privilégiée dans la Création, de par sa descendance tout animale. Voir S. Freud, Introduction à la psychanalyse, Payot, 1970, p.266-267.

[50] Sully Prudhomme, « Dernière Solitude », Les Solitudes, Editions d’Aujourd’hui, 1978, p.129-131.

[51] Leconte de Lisle, ibid., p.311-312.

[52] Voir par exemple chez Leconte de Lisle les poèmes « Midi » ou « Juin » dans Les Poèmes antiques. Voir « Matin d’Octobre », « Octobre » chez François Coppée, dans Elégies. Voir « Prière au printemps » ou « Jaloux du printemps » chez Sully Prudhomme, dans Les Solitudes.

[53] Voir Sully Prudhomme, « Jaloux du printemps », ibid., p.60.

[54] François Coppée, « Octobre », Récits et Elégies, 1878.

[55] Ce paradoxe est partie intégrante du Parnasse. Nous l’avons vu, Anatole France – et ses pairs – ne supportent pas que la science soit mêlée à la littérature de façon aussi intime que celle prônée par le Groupe de Médan  ; cependant, cela n’empêche en rien aux Parnassiens de produire des poèmes qui sont de longues descriptions de scènes naturalistes  ; la profusion de détails – parfois menée avec une certaine complaisance – montre un souci de la précision descriptive poussé à son comble. L’un des traits rhétoriques représentatifs de cette manière esthétique est l’utilisation courante de l’hypotypose.

[56] Strophes de six alexandrins (des sixains) césurés en hémistiches, rimes en alternance masculines/féminines suivant le canevas classique AABCCB.

[57] Haies d’arbustes.

[58] Bois des cervidés.

[59] Anatole France, « Le Cerf », Les Poèmes dorés, in Poésies, p.8.

[60] Là encore, nous sommes face à un aspect scientifique de la nature. L’instinct qui préside au comportement animal donne naissance à une science, l’éthologie, qui est extrêmement complexe, et qui ne connaît son essor que dans les années 1970 avec les travaux de Tinbergen, prix Nobel de médecine en 1973… Ceci dit, l’étude des animaux au travers de leur comportement, est l’une des résultantes du positivisme du XIXe siècle  ; il s’agit du béhaviorisme, qui, sous la plume de J.B. Watson, en 1913, allait connaître un certain succès. Cependant, en 1871, la science ne fait qu’effleurer l’étude des instincts du règne animal. Pour l’heure, on en était encore aux théories naturalistes du XVIIIe siècle, de Réaumur et de Buffon notamment. Les premières études contemporaines sont publiées à Boston en 1898 par C. O. Whitman. On constate ainsi que ces questions sont tout de même dans l’air du temps, en cette fin de XIXe siècle, puisque le positivisme ambiant remet en cause les acquis scientifiques, mais elles n’ont pas encore trouvé de réponse satisfaisante.

[61] Sic.

[62] Anatole France, ibid., p.9.

[63] D’accumulations au sens rhétorique, c’est-à-dire que l’auteur ajoute des termes ou des syntagmes de même nature et de même fonction, parfois avec la même sonorité finale. C’est le cas de « suants, fumants, en feu. »

[64] Leconte de Lisle, « La Panthère noire », ibid., p.172.

[65] Dans La Revue des documents historiques ou dans L’Amateur d’autographes, ainsi que dans Le Musée des Deux-mondes ou Le Rappel, notamment, durant les années 1869-1873 surtout.

[66] Anatole France, ibid., p.9.

[67] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, p.68-69.

[68] Anatole France, « Le Cerf », Les Poèmes dorés, ibid., p.9.

[69] Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, Gallimard, 1988, p.249.

[70] Anatole France, ibid., p.10.

[71] Leconte de Lisle, « Fiat nox », ibid., p.202.

[72] Que la nuit soit, allusion à la parole créatrice de la Genèse, I-3,  Fiat lux ! (Que la lumière soit !)

[73] Les poèmes Parnassiens portant ce titre, « La Mort de… », sont légion, chez Leconte de Lisle notamment (« La Mort d’un lion », « La Mort du soleil », etc… Ici, Anatole France fait-il preuve d’un certain maniérisme de bon aloi ?…

[74] Il s’agit d’une vieille méthode pour exposer les insectes : on les épingle à un bouchon, dans une posture qui tente de les montrer comme s’ils étaient posés sur le liège, prêts à s’envoler.

[75] Anatole France, « La Mort d’une libellule », ibid., p.12.

[76] Anatole France, « La Mort du singe », ibid., p.15.

[77] C’est cette révolte qui va initier Anatole France au Désir. C’est dire combien elle est fondamentale. Voir infra, I.3.

[78] Leconte de Lisle, « Le Soir d’une bataille », ibid., p.198.

[79] Nous ne développerons pas cet aspect plus avant ici. Voir infra, I.3.2.a, p.214.

[80] Anatole France, « La Mort », ibid., p.57.

[81] Anatole France, « Les Sapin », ibid., p.22-23.

[82]A Leconte de Lisle, Auteur des Poèmes antiques et des Poèmes barbares, en témoignage d’une vive et constante admiration, ce livre est dédié.

[83] Cité par Marie-Claire Bancquart, Pléiade, tome I, p.LIII.

[84] Voir Henri Mondor, L’Affaire du Parnasse, Stéphane Mallarmé et Anatole France, Paris, Fragrance, 1951.

[85] Voir Leconte de Lisle, « Aux Modernes », ibid., p.308 :

“Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,

Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,

Châtrés dès le berceau par le siècle assassin

De toute passion vigoureuse et profonde.

 

Votre cervelle est vide autant que votre sein,

Et vous avez souillé ce misérable monde

D’un sang si corrompu, d’un souffle si malsain,

Que la mort germe seule en cette boue immonde.

 

Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin

Où, sur un grand tas d’or vautrés dans quelque coin,

Ayant rongé le sol nourricier jusqu’aux roches,

 

Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,

Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,

Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.”

[86] Le Parnasse est dissous après le IIIème Parnasse contemporain. Il sera “remplacé” par le symbolisme et le décadentisme tout naturellement.

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