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Adam est analyste financier dans une boîte multinationale reconnue. Son objectif ? Entrer dans le panthéon et devenir associé. Son réel ? Une vie de travail acharné, aux journées sans cesse recommencées, où rien n’avance. Désespéré, il voit ses collègues, nuls en maths et humainement médiocres, mais au charisme certain et au réseau avantageux, devenir des boss tandis que lui stagne dramatiquement. Pourtant, Adam est un surdoué des mathématiques. Issu de Polytechnique où il s’est ennuyé, il a modélisé les cours de la bourse pour au moins les deux ans à venir, ce qui est en principe absolument impossible. Et justement : Adam a décelé une crise à venir sans précédent, une catastrophe qui ébranlera le monde. Mais personne ne l’écoute, lui, IBM, L’Imbécile à la Bosse des Maths. Mais quand Adam rencontre Hélène, cette figure emblématique de la femme à conquérir désirée par toute l’élite économique, la donne change. Il va devenir, en quelques années, un nouveau messie rentier à vie. De quoi le rendre heureux ?… Que devient un humain lorsqu’il ne désire plus ?…
Ludmila, c’est un roman qui vous donnera une vision possible du monde actuel, de la crise. Et une aventure vers l’amour fou. Celui qui dépasse tout : le fric, le pouvoir, la vérité… et qui permet d’accéder aux racines du monde, à ce pour quoi l’humain a été créé… Même si cette vérité des temps originels est purement inavouable. Et si, comme Adam, vous étiez devenu immensément riche, deviendriez-vous ange ou démon ? ou simplement humain ?…
Bien souvent, la nuit, au cœur de ses rêves, Adam s’échappait dans une contrée inconnue, toujours la même. Un voile obscur se levait et des couleurs explosaient. C’était comme une scène en toile de fond, tapie profondément dans les plus lointaines couches de sa mémoire, qui se dépliait en l’engloutissant. Adam se noyait alors dans une atmosphère évidente mais lourde de sens, l’englobant dans des luminosités, des parfums, un silence qui lui parlaient tout en ne lui disant rien.
Surtout, dans cette extase de paix et de légèreté, il se taisait car chaque idée, chaque parole prenait immédiatement forme dans une clarté inouïe. Comme si chaque expression de son intériorité se catapultait dans le monde pour prendre existence instantanément.
Il y ressentait une béatitude réellement inimaginable, une ivresse d’une douceur insondable.
Y était-il seul ?
Bien souvent, la nuit, une ombre s’approchait derrière lui, suave et amie, un double dont il sentait la présence bienfaisante. Il se retournait vers cette humanité parfaite et ses fins de nuits, invariablement, explosaient sous la clameur malvenue du grand écran LED 42 pouces Panasonic de la chambre qui s’allumait automatiquement par alternance sur LCI ou sur Bloomberg TV.
Le bonheur nocturne s’effondrait, prolongé par la chute dans un quotidien qui inondait sans transition sa vie. Le contraste était alors saisissant, le plongeant dans des abîmes de souffrance.
Putain, qu’est-ce que je fous là ?….
Ces suées matinales le faisaient courir du lit à la douche italienne carrelée en pâtes de verre rappelant l’art d’Isidore Odorico. Il se devait de posséder ces tons or et céladon. Son statut d’analyste financier l’exigeait. Et tandis que l’eau brûlante parcourait le moindre sillon de sa peau, il lui semblait se dissoudre dans les courants de mousse au cédrat qui rejoignaient les égouts par la bonde au centre de la pièce.
Adam s’habillait ensuite, face à une psyché lui renvoyant une image étrange de lui engoncé dans un costume Paul Smith noir assorti d’une cravate Dior. Il s’aspergeait de Nuit de l’Homme d’Yves Saint-Laurent, prenait son ordinateur portable extra-plat VAIO à la coque en manganèse et s’engouffrait sans se retourner dans le quartier jusqu’au métro des Halles où il pouvait ensuite rejoindre le RER jusqu’à la Défense.
Ces matinées irrémédiablement recommencées avaient la semblance d’une spirale l’aspirant vers le bas.
Adam songea à Jean-Reynold Dubourg qui l’avait au tout début emmené travailler dans sa Maserati Quattroporte GTS – options cuir intégral Poltrona Frau Luxury Sabbia et bois de Vavona. Il avait trouvé cette attention aussi baroque que délicate, même si J.-R. habitait à deux rues de chez lui. C’était son n + 1, comme on disait dans son sombre univers boursier, son chef immédiat.
Adam avait vite compris la nature sous-jacente de cette gentillesse. Le feulement rauque du V8 d’origine Ferrari parlait mieux que J.-R., lui décrivant dans des basses étouffées et subliminales à quoi ressemble la réussite.
Il avait trouvé cela obscène dès le premier trajet. Ne possédant pas de voiture et n’ayant pas l’intention d’en acheter une de sitôt, les transports en commun avaient été la seule option possible pour rallier la Défense.
Adam trouvait au début le RER contre-nature. Voyager sous terre lui rappelait certaines de ses lectures d’adolescence. Virgile et la descente aux enfers d’Enée, Héraklès terrassant le Cerbère, toutes ces balades obsédantes au royaume des Morts n’étaient pas écrites pour être vécues en vrai. Adam aimait les choses aériennes.
C’était un jour de printemps sale, de ceux qui sont encore atteints par l’hiver et ses brumes râpeuses, de ceux qui nous enferment dans un suaire spongieux lorsque l’on marche au sein des rues détrempées. Adam s’était engouffré dans quelques petites rues en forme de lacets, au cœur d’un canyon d’immeubles et avait débouché sur le boulevard. D’ordinaire, il aimait cette agitation sans la moindre perplexité, fusionnant avec la foule aléatoire, goûtant à la déraison de cette humanité une et multiple qui l’entraînait d’un pas rythmé allant vers nulle part avec une détermination sans faille.
L’enseigne du RER avait grossi, immense, éclairant bientôt le bitume au film d’eau raide et huileuse sous ses pas. Ce fut lorsqu’il fut poussé par des dizaines d’inconnus pressés qu’il dut accepter de se faire happer par l’escalier qui menait au ventre de la terre. Il était arrivé à la station des Halles.
Il ne faisait jamais plus attention à rien, ces derniers temps, le contraste avec ses nuits paradisiaques érodait sa conscience. Mais ce matin-là, une sorte de voile était tombé, et tout lui explosait à la figure.
Qu’est-ce que je fous là ?
Le son s’était fait plus sec et métallique soudain, mais plus faible néanmoins. Des éclats de voix et des cognements de pas affairés contre un sol d’acier caché par une couche de béton laqué, réverbérés par la céramique au blanc douteux des murs. Au plafond, derrière les néons cliniques d’un rose tellement froid qu’il rayait la rétine, des flèches partaient dans tous les sens, indiquant des entrées, des sorties, des quais, des services, des destinations aussi nombreuses qu’inutiles. Des plans montrant des entrelacs labyrinthiques servaient d’incompréhensibles boussoles rivalisant avec des publicités aussi grossières que familières, s’étirant dans toute la longueur des boyaux. Femmes dévêtues aux positions incitatives, cancers du poumon, balayeurs aux salaires nourris d’impôts et crevant de faim, clochards éparpillés parmi les papiers gras écorchant le bitume, tout ressemblait au monde de la surface comme au centre d’un miroir mais en plus concentré.
Les vents tiédasses des ventilateurs immenses remplaçaient bientôt les zéphyrs acérés du dehors. Une odeur âcre de pisse, de sueur et de parfums gommés par les incessants passages se faisait bientôt tellement palpable qu’elle ornait le monde d’une aura jaunâtre, aqueuse et grasse.
Un portillon tendait ses bras d’aluminium à Adam qui fit pénétrer son ticket dans la fente avide offerte à cet effet. Après un quart de tour de la petite roue universelle et absurde du dispositif, Adam se retrouvait dans un long rectum argenté qui menait jusqu’au quai.
Adam distinguait les murs de carreaux effilés rongés par des affiches arborant les mêmes pin-up que dans les couloirs d’entrée, posant dans un lit à baldaquin tout chaud permettant une immersion amniotique avec l’amante idéale. Ces femmes sylphides transparentes étaient retouchées au logiciel, lisses et proposant du cul standardisé. Adam voyait toujours ces affiches sans les voir, miracle de l’ennui urbain. Mais ce matin, il n’était plus un être amputé des yeux. Toutes ces déesses vides lui hurlaient le néant d’une bouche silencieuse. Cet impalpable baiser de l’insignifiance lui mit le cœur au bord des lèvres.
Adam ne rencontrerait pas l’âme de Socrate ni celle de tous ces humanistes classiques qui étaient vaguement censés peupler la terre. Nulle référence à Dante dans le RER.
Sur le quai, face à ces lignes d’acier s’engouffrant dans le tunnel un peu plus loin, il ne pouvait que penser à l’existence. Ressemblait-elle à ces chemins ne débouchant jamais, à ces deux trous d’ombre ?
Tout à ses songeries, Adam détailla la foule qui bientôt s’agglutinait contre le vide béant du quai jusqu’à envahir sa moindre molécule d’air. La lumière ressemblait à ces orages d’automne, à ces socles de nuages de plomb cotonneux. Toutes ces destinées entremêlées dans un seul instant se frôleraient le temps d’un départ vers ailleurs et ne se retrouveraient plus ensuite.
Adam pressentait cette aride vérité, l’une des rares depuis si longtemps.
Le chambranle ferreux de la rame le sortit progressivement de sa méditation. Une pâle lueur se matérialisa lentement sur les rails tandis que des vibrations sourdes à basse fréquence emplirent le quai dans des crissements rappelant les psalmodies des Choéphores d’Eschyle.
Sauf que personne ne remarquait rien. Tout le monde était ici sans y être, le cerveau sucé par la quotidienneté encore répétée d’un jour comme tous les autres.
La rame, serpent aux titanes brinquebalants, s’immobilisa dans un halo de lumière pisseuse et comme un souffle, les portes s’ouvrirent. Une masse humaine protéiforme s’éructa des entrailles du long tænia, dans des cliquetis de pas, des souffles de voix inaudibles et des caresses râpeuses de vêtements frottés. Adam, aucunement épargné par les frôlements, pénétra au cœur de la machine qui désormais l’enveloppa corps et âme, le temps d’un anodin voyage au centre de milliers d’autres humains voyageurs des cavernes.
Sous des néons implacables dévoilant quantité de cernes, de plis, de rides, Adam se tint à un pilier de métal brossé poisseux de tous les liquides corporels possibles. Les portes se fermèrent telles des guillotines froides, tandis qu’une masse de voyageurs s’affala sur des sièges de skaï éventrés et qu’une autre, déçue et discrète, s’agrippa aux raides aspérités prévues à cet effet.
Les parois du tunnel s’ébranlèrent dans un sifflement de plus en plus aigu, signifiant la perfection de la lourde machine sur ressorts, les roues d’acier bondissant sans heurt contre ces rails lisses à l’éclat précieux, les bogies usés et noires de suie amortissant encore les rebonds, la sangsue se nourrissant à la caténaire sous le spasme d’un pantographe assurant un contact absolu avec l’énergie bleue qui parfois luisait d’un arc électrique.
Animés d’une vie propre, les murs du tunnel dessinèrent derrière les vitres graissées par des centaines de doigts les milliers de tentacules des réseaux souterrains. Les rythmes des lumières horizontales creusèrent la roche, finissant par n’être plus qu’un trait continu de lueur crayeuse comme le doigt avachi d’un démiurge rayant d’un ongle distrait la noirceur du tube.
Le plan de néon décomptait les stations, le rythme fade des entrants et des sortants était scandé par une sirène électronique hurlant la fermeture des portes et le départ, dans cette odeur de métaux frottés et d’humains liquides.
Lorsqu’Adam s’expulsa du ventre de la terre pour rejoindre son bureau, à la Défense, il était pris d’un vertige épouvantable. Quoi, c’était ça finalement que tous les humains vivaient chaque jour pour bouffer ?….
Putain, mais bordel, qu’est-ce que je fous là ?….
***
Adam crispa sa main sur son Montblanc Meisterstück Diamond plume Legrand or 14 carats et regarda le plafond comme pour y trouver une aspérité à laquelle se raccrocher. Peine perdue. Il était parfaitement lisse.
Les trois téléphones sonnaient en même temps. Il ne manquait plus que son IPhone 4S. Ah non, lui aussi vibrait désormais…
Devant son bureau aux cloisons de verre, la principale salle des marchés bougeait dans tous les sens. Il devinait son bruit, ses odeurs, son agitation insensée. Son propre agenda Vuitton Monogramme Damier était rempli jusqu’à ras bord de dizaines et de dizaines de rendez-vous, réunions, briefs, points, présentations et il n’avait pas une minute pour aller pisser. De 7 h 00 à 23 h 30 tous les jours que Dieu faisait, Adam connaissait cette tempête dans un verre d’eau. Mais ce matin-là, il se sentait au centre du Procès d’Orson Welles. Il ne comprenait plus ce qui lui arrivait.
Il avait appris depuis belle lurette à gérer les priorités, mais comme tout était prioritaire, sa gestion au cordeau se fissura et l’entourage se dissout en brume hachée, en bribes de gestes et de voix et le bureau entier disparut sous la forme d’un puzzle mouvant.
Adam ressentit un inassouvissement, une hargne, une rage qui le surprirent.
Comme tous ici, Adam vouait sa vie à son entreprise. Il cherchait la totale satisfaction sociale. Analyste financier dans la plus grosse boîte de placements parisienne, elle-même affiliée à une holding interplanétaire, des dizaines de gamins sortis des plus belles écoles auraient vendu leur mère pour être à sa place. Ils l’auraient même livrée.
Mais ce matin-là, il vit avec une certitude acérée que cette reconnaissance était illusoire. En face de lui, en front office, sur le desk, tout un pool de traders s’agitait en suant, suivant parfois ses propres analyses financières, mais recherchant surtout les hormones, ces putains d’hormones, c’est toujours plus efficace que la moindre théorie. Du jeu, de la spéculation, des risques, des couilles, c’est tout de même plus amusant que l’ennui d’être dans un bureau à s’enduire l’esprit de formules mathématiques abstraites et détachées du réel.
C’était pourtant ce qu’Adam savait faire, l’analyse financière. C’était comme inné chez lui.
Tout aurait donc dû être totalement fluide, aucune question n’aurait dû émerger de cette destinée lisse et sans heurt qui l’emmènerait sans coup férir vers le long terme. Tout avait été calculé au plus près. Fatalement, il aurait dû vers 45 ans, d’ici une dizaine d’années, se retrouver au sommet de l’échelle alimentaire, au lieu exact qui ressemble à un temple et dans lequel on gagne beaucoup sans trop d’emmerdements car on peut les reporter sur les autres, sur ceux qui sont à la base.
Mais là, il comprenait que rien n’était plus tordu que cette droite réalité.
Comme par enchantement, toute son arrogance avait disparu. Et il regardait le monde, là, à ses pieds, en voyant qu’il était en train de rater sa vie.
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