I.1.2) Anatole France et la révolution scientifique : une vision du monde novatrice

I.1.2) Anatole France et la révolution scientifique : une vision du monde novatrice

Les sciences, séparées des lettres, demeurent machinales et brutes, et les lettres, privées des sciences, sont creuses, car la science est la substance des lettres.”, Anatole France, La Vie en fleur, Pléiade, tome IV, p.1044.

Comme nous venons de le voir, Anatole France lutte pour que le doute soit la clef, le primat de toute connaissance. Cependant, si ce doute est nécessaire pour débusquer les faussetés et les croyances néfastes, il n’est qu’une première étape vers la connaissance.

Notre auteur se passionne pour la science contemporaine. Cette passion doit nécessairement être étudiée par qui veut comprendre l’œuvre si complexe d’Anatole France. On va pouvoir ici constater que dès les écrits de jeunesse[1], la science est une source d’inspiration et de réflexion non négligeable, loin s’en faut, qui va présider à une appréhension du monde particulière, évidemment assise dans la conviction que le doute est une nécessité. Dès lors, nous ne pouvons pas ignorer le contexte historique dans lequel évolue Anatole France lorsqu’il écrit ses premières œuvres. La science contemporaine en est, dans ces années 1870, à un essor jusque là jamais atteint, et augure bien de ce que sera le XXe siècle.

On sort, en 1870, du IInd Empire (1852-1870). Il s’agit d’un empire autoritaire, qui toutefois prend conscience que la France ne sera prospère qu’une fois ses frontières ouvertes au monde économique ; c’est la fin d’un certain protectionnisme. Napoléon IIIa en effet une formation économique saint-simonienne : c’est ainsi qu’il pense que la production par le prolétariat entraîne la paix sociale et la prospérité économique d’un pays[2]. En clair, donc, la dimension sociale de la France est une grande préoccupation de l’Empire qui passe par la réussite économique et industrielle. L’organisation sociale s’en trouve bouleversée, et la révolution industrielle est en marche[3]. Evidemment, parallèlement, les mentalités évoluent. S’ouvre l’ère des sciences et la révolution scientifique…

 


[1] Les Poèmes dorés sont écrits pour la plupart après 1870. Pour comprendre le contexte biographique dans lequel ils sont produits, voir Marie-Claire Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, Calmann-Lévy, 1984.

[2] A ce propos, le Second Empire montre une véritable rupture avec l’état précédent, toujours organisé selon un mode de féodalité agraire. Voir S. Charlety, Histoire du saint-simonisme, Gonthier, Paris, 1965.

[3] L’arrivée de l’ère industrielle en France est une véritable révolution, qui va bien entendu transformer les esprits. Les infrastructures du chemin de fer, ainsi que le Canal de Suez, facilitent cette évolution. C’est aussi l’époque où le visage de Paris est radicalement changé par Haussmann. Le 23 janvier 1860, est signé le fameux Traité du commerce, qui, par son esprit libre-échangiste, contribue à la modernisation industrielle. Par contre, la baisse des prix promise n’a pas lieu, à cause notamment de l’afflux de l’or américain et australien. Même l’agriculture évolue, avec l’apparition du labour profond et la mécanisation. Les villes vont s’accroître très rapidement, par le grand besoin de main-d’œuvre exigé par l’industrialisation  ; les campagnes vont commencer à se vider, tandis que les banlieues des villes vont se construire. La bourgeoisie d’affaire va alors prospérer comme jamais auparavant. Voir A. Dansette, Le Second Empire, 3ème édition, Hachette, Paris, 1973-1976.

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